"Rana Toad", ça se mange?

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dimanche 1 décembre 2013

Rentrée Littéraire 2013 - 11ème Partie: Arizona Tom (Norman Ginzberg), Toutes les nuits du monde (Chi Zijian) et Animaux solitaires (Bruce Holbert)

Arizona Tom de Norman Ginzberg

Décidément le genre western inspire les éditeurs (une collection est créée par Actes Sud par exemple) et les auteurs de cette rentré littéraire (Faillir être flingué de Céline Minard vient tout de suite à l'esprit). Héloïse d'Ormesson apporte sa pierre à ce mini-phénomène en publiant ce (premier?) roman de Norman Ginzberg que j'ai un peu choisi pour faire la comparaison avec celui de Céline Minard.

Ocean Miller est un shérif de Brewsterville, en Arizona. Sa petite bourgade, vestige d'une installation de colons, est typique, "un chapelet de bicoques en bois bâties à la hâte". Pas étonnant que son quotidien routinier partagé avec Abner Drinkwater, son acolyte peu bavard, le change d'un passé beaucoup plus mouvementé.

Mais un jour, il croise, stupéfait, un jeune adolescent qui traîne un bien macabre fardeau: un corps sans tête ni membre, un tronc en fait. Il se rend vite compte que Tom est muet. Il le ramènera à Brewsterville pour tenter de comprendre les circonstances d'une telle bizarrerie. Malheureusement, le maire, Artie Hackett, qui ne porte déjà pas Miller dans son coeur, lui met la pression pour condamner le gosse du meurtre de celui qui semble être son père. Persuadé par l'innocence de Tom, Miller va se lancer dans son enquête et interroger tous ceux qui pourraient lui apporter des informations et des indices.

Beaucoup moins dense que Faillir être flingué, Arizona Tom est direct, sympathique et drôle (j'ai beaucoup aimé John Winterbottom, ce solitaire qui malgré son isolement est au courant de tout ce qui se passe à des kilomètres à la ronde). On pardonne à Norman Ginzberg quelques maladresses mineures qui n'empêche pas une lecture agréable dans son ensemble.

Toutes les nuits du monde  (Titres originaux: Beijicun tonghua/Shijieshang suoyou de yewan) de Chi Zijian

Philippe Picquier est un des éditeurs sur lesquels je ne pouvais faire l'impasse pour cette série, même malgré l'impolitesse dont il a été coupable envers une bonne quarantaine d'apprentis libraires, il y a quelques années. Mon choix s'est porté sur Toutes les nuits du monde surtout parce qu'il s'agit d'un auteur venant de Chine, région du monde pas encore explorée dans les précédentes parties.

En vérité, l'ouvrage regroupe deux petits romans dont l'un est éponyme et l'autre s'intitule Enfance au village du grand Nord. Ce premier texte, qui occupe un tiers du livre, raconte la séjour de Dengzi, une fillette de sept ou huit ans, chez sa grand-mère. Elle se liera d'amitié avec Crétin, le chien de la maison, ainsi qu'avec Nainai, une vieille voisine qui vit un peu plus loin. C'est à travers les yeux de Dengzi que se dévoilent les secrets de famille.

Le second texte, éponyme donc, est le récit d'une narratrice veuve. Elle vient de perdre son mari qu'elle appelle Magicien tout le long du texte. Au souvenir d'un programme télévisé consacré au lac des Trois Monts et de gens recouverts de boue, elle décide de s'y rendre pour se recouvrir elle-même de boue pour cacher sa douleur, sa façon personnelle de faire son deuil. Mais le train qu'elle a pris subit un arrêt forcé à Wutang à cause d'un glissement de terrain.

Elle sera hébergée par Zhou'er et sa femme grâce à qui elle déambulera dans la ville et fera la rencontre d'autres personnages, comme entre autres une femme qui a perdu son mari dont le corps n'a jamais été retrouvé, ou un peintre qui psalmodie des chants populaires oubliés.

Ce qui ressort des deux récits, c'est une naïveté teintée de mélancolie qui touche à l'universel. Chi Zijian est à découvrir.


Animaux solitaires (Titre original: Lonesome Animals) de Bruce Holbert

J'ai souvent gentiment moqué les éditions Gallmeister pour leur catalogue très marqué nature-cowboy-grands espaces. Mais ce n'est jamais que pour montrer mon intérêt pour leur production comme si je taquinais un vieux pote. Surtout que c'est un peu de la mauvaise foi, ils se montrent plus variés que ça, il suffit par exemple de lire les roman de Tom Robbins. De plus, quand je jette un bref coup d'oeil sur les titres sortis ces trois dernières années, il y en a plusieurs que j'avais envie de lire en les voyant passer mais que je n'ai pas pu faire faute de temps (pour en citer deux: De flammes et d'argile de Mark Spragg et Les Voleurs de Manhattan de Adam Langer). Au moins, Animaux Solitaires échappera à ma longue liste de bouquins que merde-j'ai-toujours-pas-lu.

Nous sommes en 1932, et Russel Strawl se fait vieux mais quand on lui demande de trouver l'assassin qui sévit, ses réflexes de traqueur ne lui font pas défaut. Jouissant d'une réputation d'impitoyable individu, ce qui l'exclut de sa propre famille, Strawl est l'homme de la situation. Des cadavres d'indiens sont retrouvés mutilés dans des mises en scènes complètement barges.

Accompagné par son fils adopté, Elijah, sorte de prophète se réclamant d'une religion hybride mélangeant folklore indien, christianisme et ses pérégrinations mentales personnelles, Strawl traverse la contrée pour interroger les suspects potentiels. Chaque rencontre est prétexte à des dialogues qui dérivent toujours où le lecteur ne les attend pas.

Vous aurez remarqué qu'il y a beaucoup de points communs entre Arizona Tom et Animaux Solitaires. Mais ils divergent également sur beaucoup de choses. Là où le premier est direct et sympathique, le second est plus dense et plus sombre. Même l'humour n'est pas le même, Ginzberg est plus grand public, là où Holbert se veux métaphysique et un peu, admettons-le, frappadingue. J'aurais pu les mettre à la suite l'un de l'autre, mais j'ai préféré rester sur un ordre "podium" de préférence.

Animaux Solitaires est le premier roman de Bruce Holbert, et il faut encore remercier Gallmeister pour cette heureuse découverte. Entre le polar et le western, c'est un roman très prenant même s'il est parfois difficile de suivre l'auteur dans ses délires mystiques.

-Arizona Tom, Norman Ginzberg, Heloïse d'Ormesson, 17€.
-Toutes les nuits du monde, Chi Zijian, Philippe Picquier, 18€. Traduit du chinois par Stéphane Levêque et Yvonne André.
-Animaux solitaires, Bruce Holbert, Gallmeister, 23,60€. Traduit de l'américain par Jean-Paul Gratias.

1ère Partie
2ème Partie
3ème Partie
4ème Partie
5ème Partie
6ème Partie
7ème Partie
8ème Partie
9ème Partie
10ème Partie

Classement provisoire:
33.Exil de Jakob Ejersbo.
32.Les Impostures du réel de Frédérick Tristan.
31.Vie et destin de Célestin Arepo de Jérôme Millon.
30.Les Disparus de Mapleton de Tom Perrotta.
29.La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson.
28.L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas.
27.Hell de Yasutaka Tsutsui.
26.La Conjuration de Philippe Vasset.
25.Intermède de Owen Martell.
24.Uniques de Dominique Paravel.
23.Les Fuyants d'Arnaud Dudek.
22.Manuel El Negro de David Fauquemberg.
21.Parabole du failli de Lyonel Trouillot.
20.Courir sur la faille de Naomi Benaron.
19.La Main de Joseph Castorp de João Ricardo Pedro.
18.Arizona Tom de Norman Ginzberg.
17. Toutes les nuits du monde  de Chi Zijian.
16.Bleu corbeau de Adriana Lisboa.
15.En mer de Toine Heijmans.
14.Volt d'Alan Heathcock.
13.La Saison de l'ombre de Léonora Miano.
12.La fabuleuse histoire du clan Kabakoff de Steve Stern.
11.Animaux solitaires de Bruce Holbert.
10.Folles de Django d'Alexis Salatko.
9.Le Premier vrai mensonge de Marina Mander.
8.Les évaporés de Thomas B. Reverdy.
7.Arvida, Samuel Archibald.
6.La Cravate de Milena Michiko Flasar.
5.Faillir être flingué de Céline Minard.
4.La dépression de Foster de Jon Ferguson.
3.Sous la terre de Courtney Collins.
2.Un Monde beau, fou et cruel de Troy Blacklaws.
1.Et quelquefois j'ai comme une grande idée de Ken Kesey.

dimanche 29 septembre 2013

Rentrée Littéraire 2013 - 6ème Partie: La Lettre à Helga (Bergsveinn Birgison), Hell (Yasutaka Tsutsui) & Faillir être flingué (Céline Minard)

Avant de vous parler des trois livres de cette sixième fournée, je vais revenir sur certains déjà chroniqués dans les précédentes parties. En premier lieu, le premier roman de Romain Puértolas bénéficie d'un succès un peu démesuré à mon goût. Il a des aspects divertissants, je peux en convenir, mais il n'est pas incontournable, ne vous laissez pas tenter par le "léger" à tout prix sous prétexte qu'il est reproché (parfois à tort) aux auteurs français d'écrire des livres déprimants. Enfin, je suis peut-être trop blasé pour apprécier d'avoir l'esprit vidé de mes soucis par une intrigue plate. Et pour ceux qui pense sincèrement que cette aventure de fakir est incontournable, chapeau, j'aimerais avoir le même naïveté.
Par contraste, La Saison de l'ombre de Léonora Miano semble complètement éclipsée. Moi qui lui accordait un prix, c'est plutôt compromis. Moix sur la liste du Goncourt... vous n'auriez pas pu faire la substitution? Bon heureusement qu'il est tout de même sur la liste du Fémina. Le Monde beau, fou et cruel de Blacklaws est aussi victime d'une injuste indifférence.


La Lettre à Helga (Titre original: Svar vid bréfi Helgu) de Bergsveinn Birgisson

Bjarni Gislason de Kolkustadir, 90 ans, écrit à la seule femme qu'il ait jamais aimée. Helga, femme avec qui il a eu une aventure et une fille. Elle lui a proposé dans un lointain passé de s'enfuir avec lui à Reykjavik, chose qu'il a refusé en partie à cause de sa femme Unnur, gravement malade. Il commence avec l'évocation de cet amour naissant, donnant à rebours raison à des ragots.

Mais ses pensées le mènent peu à peu autre part, et l'on comprend peu à peu que son refus est aussi lié à l'attachement à sa vie rurale, à la tradition islandaise. C'est donc une certaine peur de la modernité qui l'a poussé à ne pas vivre son amour autre part et à s'enterrer en un lieu de repères confortables, quitte à souffrir en silence.

A travers cet éleveur de brebis qui a sacrifié ses sentiments et sa confession plein de regrets et d'amertume, ressort l'attachement de l'auteur lui-même pour cette Islande ancestrale, rude et imprégnée de tradition orale qui s'est désagrégée au fil des décennies.

La Lettre à Helga ne me laissera pas un souvenir indélébile, non seulement parce qu'il est expédié en peu de temps mais aussi parce que ce portrait, parfois malsain, d'un homme qui perd les pédales reste plutôt anecdotique. La compassion que j'ai pu éprouvée en commençant le roman a laissé rapidement place à l'indifférence.

Hell (Titre original: Heru (Hell)) de Yasutaka Tsutsui:

Les éditions Wombat ont encore un catalogue qui tient sur une seule page. Leur collection principale, "Les Insensés", se spécialise surtout dans l'absurde anglo-saxon (Robert Benchley et Will Cuppy notamment), mais contient également des rééditions de Roland Topor (Mémoires d'un vieux con, Vaches noires et Taxi Blues). Une collection BD, "Les Iconoclastes", composée pour le moment de seulement deux titres (Tout s'allume de Gébé et L'Angoisse de la page blanche de Kamagurka) et une troisième consacrée au Japon, "Iwazaru". Cette dernière a été inaugurée par Boy de Takeshi Kitano, qui j'ai depuis un bon moment prévu de lire et chroniquer, couplé avec La vie en gris et rose (chez Picquier celui-ci). Mais l'honneur d'être le premier Wombat dans ces pages n'ira pas en faveur du réalisateur.

Je suis tenté de décrire Hell comme un délire à plusieurs voix. Le roman débute avec trois personnages: Nobutero, Yûzô et Takeshi. Un jeu d'enfant dans une cour d'école qui se termine avec une jambe cassée, celle de Takeshi. Alors que Nabutero semble être le personnage principal, les points de vue se multiplie très rapidement et l'on passe de l'un à l'autre sans ordre particulier.

L'un des points communs à une grande majorité des personnages est leur mort violente: agression par un gang de yakuzas, crash d'un avion, queue de poisson par un mari cocu. Mais alors qu'ils sont morts, ils se retrouvent tous dans cet Enfer au sens japonais du terme. Il ne s'agit pas de flammes éternelles entretenues par des diablotins, mais d'une autre réalité, très similaire à celle des vivants mais où le temps et l'espace ne règnent plus. Le découpage du roman retranscrit donc cet apparent désordre qui a sa propre logique.

Je vous confie avoir été un peu déçu par Hell. Le roman se lit très vite et n'est pas désagréable, mais malgré la notoriété de Yasutaka Tsutsui au Japon dans le domaine du fantastique, c'est le genre d'histoire un peu foutraque qui ne réussit pas à me convaincre. Il faut tout de même retenir ce mélange de tons, entre violence crue et légèreté métaphysique, qui confère à Hell la couleur d'une folie toute japonaise.

Faillir être flingué de Céline Minard

Je plaide coupable, là. Oui, Céline Minard et son western ont déjà bénéficié d'un sérieux coup de projecteur. Pour tout vous dire, je n'étais pas vraiment au courant avant que deux ou trois clients ne me demandent mon avis sur ce western écrit par une française. Après tout, je n'ai rien contre un peu d'aléatoire dans l'élaboration de cette série (c'était déjà le cas pour Folles de Django, que je ne prévoyais pas forcément mais que j'ai lu dans un cadre professionnel). Alors oui, j'ai été influencé par ce qu'on appelle un buzz autour de Faillir être flingué, chose que je répugne d'habitude (j'ai lu l'histoire du fakir, un peu avant d'en voir le succès pas trop mérité), mais j'avoue avoir été curieux de ce que pouvait donner un roman de genre écrit par une française en 2013.

Les premières dizaines de pages donnent le ton avec la présentation d'une petite foule de personnages dispersés dans ce Grand Ouest américain. Les premiers à apparaître sont les frères McPherson, Brad et Jefferson, accompagné de leur mère mourante, de Josh, le fils de Brad,  et... de cette petite chinoise mystérieuse Xiao Niu qu'ils ont pour ainsi dire ramassée sur leur passage. Puis nous avons un trio de mecs endurcis qui font la connaissance chacun de l'autre de façon litigieuse: Elie Coulter vole le cheval de Bird Boisverd avant de se le faire chiper par Zébulon, dit Zeb. Il y a aussi Gifford, l'un des personnages les plus attachants du roman, rongé par la culpabilité et errant sans but, jusqu'à frôler la mort. Qui lui sera épargnée par la fascinante indienne, Eau-qui-court-sur-la-plaine, shamane solitaire sans attaches mais alliée de confiance.

Pour déstabilisant que peuvent être le nombre d'individus peuplant le roman ainsi que l'absence marquée d'un personnage plus principal que les autres (on pourrait pourtant accorder ce rôle à Zeb, qui, ironiquement, n'est même pas mentionné sur la quatrième de couverture), la confusion du lecteur est vite dissipée. On finit non seulement par les distinguer grâce à leurs traits de caractère mais aussi par leur passé. Celine Minard nous les livre par petites touches, les circonstances dans lesquelles ils convergent tous vers une ville naissante, élément archétypal du western (le saloon et les prostituées sont là bien avant d'autres commerces). Seul Zeb reste un mystère jusqu'aux dernières pages. On croisera également, le pas très fréquentable Quibble, Arcadia Craig, la contrebassiste, Sally, la patronne du saloon, Orage-grondant, chef indien... 

J'ouvre une parenthèse préventive à l'attention de ceux qui ont mis Faillir être flingué dans leur PAL (dans un jargon de bloggers dont je refuse d'abuser, la Pile à Lire). Ce roman vaut les éloges que vous avez pu en entendre. J'en pense beaucoup de bien (2ème sur 15, ça en dit assez, non?) mais je souhaite parler de quelques petits trucs (spoilers inclus!!) qui pourraient paraître un poil négatifs et je ne veux influencer personne à ne pas lire ce roman. Donc, dans le doute, lisez-le sans lire la suite de mon article. Faites-vous votre propre idée et comparez la avec la mienne après coup. Parenthèse fermée. 

Les cent premières pages de Faillir être flingué m'ont accroché, j'étais en train de me dire que ce roman allait dérober la première place de mon classement à Troy Blacklaws et son Monde beau, fou et cruel. Toutes ces figures originales, surtout Gifford, Eau-qui-court-sur-la-plaine et surtout la petite Xiao Niu, m'intriguaient au plus haut point. Je sentais l'excitation de lire un chef-d'oeuvre qui me surprendrait, m'emporterait dans l'épique, celui qui ne vous laisse pas respirer plus de dix pages d'affilée. J'ai placé mes espérances un peu trop hautes... et donc été frustré par la partie centrale du roman. 

Ce que je reproche surtout à l'auteure c'est l'ambiance qui ressort lors du développement de la ville: tout se passe dans une bonhomie (je n'utiliserai pas l'adjectif "franchouillarde", c'est un terme trop péjoratif que le roman ne mérite pas) à contrecoup de ce que la première centaine de pages promettait. Toutes les discordes sont désamorcées, annulées et l'action semble du coup moins spectaculaire. Je ne demandais pas forcément de la violence et du sang éclaboussant les pages et mes lunettes (oui, moi bigleux), mais... quelque chose de plus.... de plus prenant. Ma déception réside aussi dans la disparition des personnages qui m'intriguaient le plus: j'aurais aimé voir un peu plus, par exemple, la shamane indienne et la petite chinoise (que l'on retrouve changée par l'adolescence) ou que Gifford soit plus exploité. Mais je reste indulgent. Vu le nombre de personnages, il a certainement été difficile de ne pas s'attarder sur certains d'entre eux (j'aimerais savoir si le manuscrit n'a pas été victime de coupes). L'essentiel, c'est que le roman retombe sur ses pattes en nous ayant fait croire qu'il tombait dans le convenu. Céline Minard nous offre tout de même de l'action et sait habilement préparer le lecteur à l'arrivée d'une menace extérieure qui feront tout de même des dernières pages une satisfaisante conclusion.

Mes petites critiques ne gâchent en rien les évidentes qualités de Faillir être flingué. Ma curiosité a été agréablement satisfaite. Céline Minard a seulement fait des choix dans la construction de son roman qui ne correspondaient pas forcément à ce que j'attendais. Ce qui reste après tout légitime, j'étais peut-être trop exigeant. D'autres romans méritent moins le temps que j'ai passé à les lire. Il a donc mérité sa place sur le podium et sa médaille d'argent, même si, attention, le classement reste temporaire.

-La Lettre à Helga, Bergsveinn Birgisson, Zulma, 16,50€. Traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson.
-Hell, Yasutaka Tsutsui, Wombat, 17€. Traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier.
-Faillir être flingué, Céline Minard, Rivages, 20€.

1ère Partie
2ème Partie
3ème Partie
4ème Partie
5ème Partie
7ème Partie
8ème Partie
9ème Partie
10ème Partie
11ème Partie

Classement provisoire:
18.Les Impostures du réel de Frédérick Tristan.
17.Les Disparus de Mapleton de Tom Perrotta.
16.La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson.
15.L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas.
14.Hell de Yasutaka Tsutsui.
13.Intermède de Owen Martell.
12.Uniques de Dominique Paravel
11.Les Fuyants d'Arnaud Dudek.
10.Manuel El Negro de David Fauquemberg.
9.Courir sur la faille de Naomi Benaron.
8.En mer de Toine Heijmans.
7.Volt d'Alan Heathcock
6.La Saison de l'ombre de Léonora Miano.
5.Folles de Django d'Alexis Salatko
4.Le Premier vrai mensonge de Marina Mander.
3.La Cravate de Milena Michiko Flasar.
2.Faillir être flingué de Céline Minard.
1.Un Monde beau, fou et cruel de Troy Blacklaws.

dimanche 4 mars 2012

Pierrot-La-Gravité de Kôtarô Isaka

J'ai une bonne raison de garder rancune envers un certain Philou qui s'est montré extrèmement mal élevé à l'encontre d'une quarantaine d'apprenti libraires il y a quelques années. Et pourtant, la plupart de ces libraires continuent à lire et à vendre ses livres. Et moi, la bonne poire, je consacre même un petit article à l'une de ses publications les plus récentes, Pierrot-La-Gravité, qui n'y est pour rien, et d'un, mais qui est tout simplement bon, et de deux.

2011 avait déjà vu sortir La Prière d'Audubon, Picquier pouvant se targuer de faire découvrir le livre et son auteur au public français onze ans après sa publication originale. Kôtarô Isaka semble bénéficier d'une belle popularité au Japon, beaucoup de ses romans ayant été adaptés en manga ou en films. Il existe par exemple une version cinématographique de Pierrot-La-Gravité, mais je n'ai aucun détail à vous fournir. Sa littérature n'a pas l'air uniforme et s'inspire tour à tour du fantastique ou du policier, mais la constante de ses romans se trouve être une préférence aux petits tiroirs, à l'énigme.

Dans Pierrot-La-Gravité, la principale énigme ce sont ces incendies en série qui semblent avoir un signe précurseur sous la forme d'étrange mots tagués à proximité des incendies. C'est Haru, artiste dans l'âme, qui se charge d'effacer ces tags qu'il considère avec mépris. Izumi, son frère, enfin, techniquement, son demi-frère, et narrateur va se prendre au petit jeu qu'Haru lancera en évoquant le modus operandi du ou des pyromanes. Une véritable enquête va donc se lancer. La situation professionnelle d'Izumi, employé d'une entreprise sur le recherche ADN, s'imbrique totalement dans l'intrique et au fil de celle-ci, on rencontrera un proxénète, un détective mystérieux, ou encore une jeune fille éperdument amoureuse de Haru et qui le suit à la trace. Même le père des deux protagonistes, atteint d'un cancer et alité dans l'attente d'une opération, mènera sa petite enquête parallèle un peu à la façon de Nero Wolfe, pour ceux qui connaissent.

Truffées de références culturelles (de Jean-Luc Godard à Roland Kirk en passant par Tolstoï; le titre lui-même correspond à la figure symbolique du clown blanc) et scientifiques (très abordables, n'ayez crainte), les pages se tournent comme si de rien n'était et enfument le lecteur par leur aspect ludique alors qu'elles cachent une profondeur que l'on ne finit par évaluer pleinement une fois atteintes les dernières explications.

C'est un puzzle de 460 pages. Chaque référence (l'auteur réutilise même, pour un bref moment, le personnage principal issu de La Prière d'Audubon, chose que j'aurais ignoré si ce n'était pas signalé en note de bas de page), chaque personnage et chaque souvenir d'Izumi a son rôle. Certaines pensées du narrateur ou dialogues peuvent sembler naïfs à un esprit occidental, mais cette "naïveté" japonaise est toujours un leurre, pas forcément volontaire, et dissimule, on s'en doute, des choses que les auteurs français enveloppent parfois (souvent) de pompôsités ou les anglo-saxon de mélancolie.

Ceci dit, il n'est pas impossible que je me plonge un jour ou l'autre dans La Prière d'Audubon, moins urbain, plus fantasmagorique. Philou a pu se montrer malpoli une fois dans sa vie (à ma connaissance), mais il se trompe rarement lorsqu'il s'agit d'éditer des livres de bonne facture.

Pierrot-La-Gravité, Kôtarô Isaka, Philippe Picquier, 22,50€. Traduit du japonais par Corinne Atlan.

dimanche 13 juin 2010

En attendant New York

On change pas mal de registre avec ce roman englouti d'une traîte. "En attendant New York" est écrit par Mitali Perkins, américaine née à Calcutta, et traduit de l'anglais par Valérie Dayre (ed. Thierry Magnier).

Année 75 tumultueuse, Asha, sa grande soeur Reet et leur mère quittent Dehli pour rejoindre leur belle-famille à Calcutta. Elles attendent de recevoir le télégramme salvateur de leur père annonçant qu'il a trouvé du travail à New York afin de le rejoindre.
Vivre avec une belle-famille emprunte de tradition, c'est loin d'être facile, surtout pour Asha qui a des rêves d'études plein les poches et la furieuse envie de revêtir des shorts pour jouer au tennis! C'est sans compter le mariage arrangé que l'on organise pour sa soeur.

On le devine, le roman est en mi-teinte, à la fois léger, avec des personnages que l'on vient à cotoyer comme si l'on vivait sous leur toît, mais également extrèmement dûr. Asha va de sacrifices en sacrifices ; le contexte social pour la femme comme pour l'homme est très cloisonné, les ragots hantent les voisinages et détruisent des vies entières. Face au difficulté, Asha devient "l'espoir", cette source de lumière et de bonheur qui sauvera - peut-être - les pots cassés.

L'intimité de cette famille blessée mais empreinte de fierté se reflète dans un style sans fioriture, très agréable. Pour ma part, je n'ai pas laché le livre avant la fin et je me suis attachée rapidement à chaque personnage.

Une histoire de vie engagé et dépaysante, à partir de 15 ans.

dimanche 7 mars 2010

Du Bateau-usine au quai de Ouistreham..

Deux lectures aux thèmes similaires, deux époques, deux lieux, mais toujours la même idée suscitée : à l'homme en situation précaire on lui enlève sa dignité, ses droits, jusqu'à en faire une chose, une "main d'oeuvre" et à en oublier son humanité.

Sur "le quai de Ouistreham" je ne m'éterniserai pas. Florence Aubenas n'en a volontairement pas fait un ouvrage de recherche sociologique, plutôt un témoin.

Journaliste elle se glisse dans la peau d'une chômeuse en situation précaire, dans la région de Caen. Elle rejoint ces hommes et femmes à la recherche d'une heure ou deux, du sacro-saint "CDI", quitte à en baver, à devoir dire "oui" à tout et au pire, pour ne pas être hors-course, à travailler au delà de ses heures, sans reconnaissance, remuant la crasse dissimulée sous les intentions mielleuses d'un patron. C'est la crise, c'est le pôle emploi qui se mord la queue, c'est l'homme que l'on ne regarde plus ou que l'on essaye d'ignorer et qui lance cet appel : où allons-nous? et qu'arrive t'il à ceux qui baissent les bras?

Pour continuer sur ma lancée, je viens de finir "Le Bateau-usine", grand classique de la littérature prolétarienne nippone, paru en 1929, écrit par Kobayashi Takiji qui mourra 4 ans plus tard sous la torture policière. Depuis 2008, le livre connait une recrudescence populaire au Japon. On comprend aisément pourquoi dans le contexte actuel.
Le texte nous fait partager la vie (la survie) d'ouvriers et marins qui partent à la pèche aux crabes à bord de "bateaux-usine", vieilles carcasses remises à neuf, dans des eaux froides et hostiles entre le Japon et la Russie.
Brimés, malades, abrutis par le travail, ces hommes que l'auteur n'a volontairement pas identifiés se regroupent, et finissent par se révolter.

Le texte dépasse les idéaux propagandistes de l'époque et s'ancre dans la réalité. Kobayashi Takiji a fait des recherches et écrit d'après témoignages, inspiré par des évènements réels. Il en profite pour dresser le portrait de différents corps de métier, du mineur aux ouvriers du batiment dans l'île d'Hokkaido nouvellement exploitée, aux noms de grands patrons.

Il y a plusieurs éléments de qualité dans cet ouvrage édité chez Yago. D'une part sa traduction par Evelyne Lesigne-Audoly, qui rend hommage au style visuel et réaliste de l'auteur. Ce dernier qui nous emporte littéralement à bord du bateau, ses odeurs infectes, ses poux, ses maladies, les tempêtes, la sueur mêlée aux odeurs rances d'entrailles de crabes. De ses hommes que l'on imagine aisément, auxquels on s'identifie, pour leurs forces et leurs faiblesses ; et puis à la fin du livre, une postface explicative réalisée par la traductrice, assez bien foutue ma foi, qui remet les choses en contexte, depuis l'oeuvre et la vie de Kobayashi Takiji jusqu'à son impact dans le Japon contemporain.

On n'a pas fini d'en parler, sera t'il un jour temps d'agir?

Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas Ed de l'Olivier 19€
La Bateau-usine, Kobayashi Takiji, trad Evelyne Lesigne-Audoly Ed Yago 18€

lundi 15 février 2010

Sur la route à dix-huit ans de Yu Hua


Après avoir lu l'inoubliable Brothers il est très difficile de ne pas remarquer la sortir d'un nouveau livre de Yu Hua. Encore un auteur dont il faudra se procurer les précédentes publications et que j'ai bien l'intention de suivre à l'avenir.

Ce recueil, plus propice à la lecture en transports que Brothers, présente 11 nouvelles publiées dans diverses revues entre 1987 et 1997. Malgré leurs différences et cet étalement dans le temps, on ne manque pas de retrouver les éléments narratifs qui constituent le roman déjà cité deux fois.

A l'absurde décalé de "Sur la route à dix-huit ans" répond l'inéluctable tragique de "Récit de mort" où les héros ne sont pas épargnés par l'irrationnel furie des foules. Intercalé entre ces deux récits, la légèreté de "Un midi où hurlait le vent du nord-ouest" nous fait croire que l'humour va dominer le recueil et ne nous prépare pas à la violence de la nouvelle suivante. Une douche écossaise mais chinoise.

Le conte traditionnel a toujours sa place, l'exemple le plus explicite étant "Fleurs de prunier ensanglantées" qui voit Ruan Haikuo partir sur les routes pour résoudre le meurtre de son père. Dans cette quête, longue de plusieurs années, les fausses impasses, les errances, sont réduites à quelques pages. Procédé aussi employé pour "Histoire de deux êtres" qui survole un demi-siècle en seulement 7 pages. Autre jeu avec le temps, moins réussi, selon moi, dans le trop long "Passé et châtiment" où le protagoniste est confronté à ses souvenirs. Bien écrit mais un peu indigeste.

L'enfance et ses rapports de force occupent une part importante du recueil. Le vagabond châtié en public pour avoir volé une pomme dans "L'enfant dans le crépuscule" clôt le recueil. L'amitié de deux gamins dans "Prédestination" et sa chute fantastique est suivie par les humiliations, de la part de ses camarades, que subit l'anti-héros de "Je n'ai pas de nom à moi". Celui de "J'ai un sang de navet" est dans une situation similaire où il n'est pas facile de s'affirmer. La mort du père est le passage le plus épique du recueil.

Je finis, une fois n'est pas coutume, par mon coup de coeur. Dans "Un jeu plein d'entrain", un vieux commerçant, dont l'épicerie se trouve en face d'un hôpital, observe un couple et son enfant. D'une simplicité poignante.

Sur la route à dix-huit ans, ne décevra pas les amateurs de Brothers. On y trouve une écriture et des thèmes identiques mais de manière, bien évidemment, plus éclatée. C'est peut être un bon aperçu si vous n'avait pas encore osé lire le pavé. En espérant que vous vous laissiez tenté par la suite.


Sur la route à dix-huit ans, Actes Sud, 19€. Traduit du chinois par Jacqueline Guyvallet, Angel Pino et Isabelle Rabut.

dimanche 7 février 2010

Cristallisation secrète

"Tu ouvres les yeux un matin dans ton lit et quelque chose est fini, sans que tu t'en sois aperçue. Essaie de rester immobile, les yeux fermés, l'oreille tendue, pour ressentir l'écoulement de l'air matinal. Tu sentiras que quelque chose n'est pas pareil que la veille. Et tu découvriras ce que tu as perdu, ce qui a disparu de l'île."

C'est dans cette atmosphère de décrépitude silencieuse que Yoko Ogawa nous projette : une île coupée du monde et condamnée par l'oubli.

Les parfums, les bateaux, les fleurs,.. chaque objet s'efface progressivement du coeur de ses habitants pour laisser place au néant. Le chant d'un oiseau, les battements de ses ailes n'éveillent plus la moindre émotion. Et pour s'en assurer, la Police secrète veille.

La mémoire de la narratrice se disloque également (Cela ne donne pas lieu à une expérience stylistique tordue, pas d'inquiétude!) Cette dernière témoigne au fil des pages avec impuissance de l'infinie poésie des choses avant leur anéantissement.

Je ne dévoilerai pas tout, mais évoquerai surtout mon ressenti.
Il me semble que la mémoire est la clef de voute de l'oeuvre de Yoko Ogawa. La mémoire, et ce en quoi elle consolide l'identité des hommes. Le style de Yoko Ogawa est d'une précision, d'une beauté extraordinaire, peaufiné jusqu'au dernier détail. Son texte m'a laissé une très forte impression.

Si l'on pouvait associer ce livre à plusieurs lectures, j'aurais cité Farenheit 451 de Bradbury et La femme des sables d'Abe Kobo (lisez l'un et l'autre, et même le troisième!).

Un article qui m'a donné envie de me lancer, merci Actualitte ^^ (en même temps la lecture de "La formule préférée du professeur" chez Babel m'avait déjà bien motivée!)

Cristallisation secrète, Yoko Ogawa trad Rose Marie Makino, Actes Sud 22€

samedi 19 septembre 2009

La formule préférée du professeur

Pour souffler entre deux livres de la rentrée (le dernier Carlos Ruis Zafon - très décevant - et la double vie d'Anna Song - pour l'instant prometteur et intelligemment critiqué par mon confrère - comment ça je lance des fleurs?!- entre autres), je me suis permise la lecture d'un p'tit Babel.

Yoko Ogawa n'est plus à présenter à ceux qui connaissent la culture nippone, et aux japonais également, puisque ses livres ont récolté nombre de prix et sont déclinés parfois en films. L'auteur est influencée par l'écriture de Murakami (le gentil Haruki) et ça se sent. En France, elle est traduite chez Actes Sud par Rose-Marie Makino-Fayolle.

Hakase no aishi ta sūshiki, autrement dit "La formule préférée du professeur" est un livre singulier. On se cantonne à trois personnages principaux, de trois générations : une aide ménagère très patiente, son fils très poli et un ancien professeur de mathématiques dont la veste est recouverte de petites notes, la plus importante étant : "ma mémoire n'excède pas 80 minutes".
La vie de ces trois personnages devient une répétition d'actes quotidiens, avec pour seule constante l'amour des mathématiques (et du base-ball japonais).

La patience des personnages, leur envie de lier une relation avec le professeur sans cesse renouvelée car sitôt oubliée, donnent au récit un aspect mélancolique et humble, typique et révélateur de l'expression des sentiments au Japon. Le temps s'écoule, invisible, il efface les mémoires et les sentiments. Le corps vieillissant est le seul témoin visible de son avancée.
La force du récit réside dans sa poésie et dans sa philosophie. Les passions du professeur sont magnifiées par leur côté éphémère. On finit par entrevoir la beauté insoupçonnée des chiffres et des formules mathématiques (ce qui ne m'avait jamais été donné jusqu'alors)

Je supposais que pour compenser sa mémoire défaillante au bout de quatre-vingt minutes il notait les choses qu'il ne devait pas oublier, et que pour ne pas oublier où il avait mis ses notes il les agrafait sur son corps, mais de quelle manière accueillir sa silhouette était une question bien plus difficile pour moi que de lui dire ma pointure.

lundi 9 février 2009

I have the fire/I have the force


Aoki Junko possède le pouvoir de pyrokinésie. Et elle s'en sert pour châtier les criminels impunis ou mal punis. Mais ses agissements ne restent pas inconnus et sont même très médiatisés. Elle réussit à ne pas être découverte car sa manière de procéder destabilise les meilleurs enquêteurs. Les incendies qu'elle déclenche sont si localisés, si précis et d'une efficacité telle qu'ils ne peuvent pas expliquer une combustion si rapide sans traces d'agent inflammable à proximité. Les affaires sont donc closes avec les suppositions les plus probables.
Ishizu Chikaku, enquêtrice du service des incendies criminels, va cependant creuser un peu plus loin, sans jamais croire cependant à la pyrokinésie. C'est Makihara qui essaiera de la convaincre d'un tel phénomène, lui qui a vu son frère s'enflammer vif tout d'un coup alors qu'ils n'étaient qu'enfants.

Avec une narration alternée entre les deux femmes, Crossfire, paru en feuilleton en 1998, ne pose pas de lapin au rendez-vous des surprises et autres rebondissements. Bien qu'une certaine révélation au milieu du roman m'a fait un peu tiquer, la suite ne déçoit pourtant pas. Miyabe Miyuki mélange habilement enquête, fantastique et chronique sociale dans un Tokyo moderne que la violence a envahi pernicieusement au fil des décennies.
Une postface du traducteur qui survole de façon concise l'histoire du polar japonais (notamment la place des femmes dans ce genre) nous offre de plus amples détails sur le roman et son auteure.

Petite opinion pour les connaisseurs, en passant, je pense que Junko est très proche d'une certaine Lisbeth Salander (bien que celle-ci ne fut créée qu'ultérieurement).


Crossfire, Miyabe Miyuki, Philippe Picquier, 22€50. Traduit du japonais par Gérard Siary et Mieko Nakajima-Siary.

mardi 20 janvier 2009

Strange World


J'avais repéré ce roman à la rentrée littéraire, fin août, et vu qu'il a échappé aux retours, j'en ai profité pour le lire.
Dans un Tokyo terne et peu à peu gagné par la "grisaille", Tôru Ujiié, douze ans, est un élève particulier car il est le seul à voir Hikaru, personnage irrespectueux et agité. Mais Hikaru, d'aussi loin que Tôru s'en souvienne l'a depuis toujours suivi comme une ombre. C'est en fait un ami, un confident. C'est Hikaru qui le divertit et l'avertit d'une sorte de corruption pernicieuse qu'il appelle la "grisaille", une sorte d'entité immatérielle qui donne une triste teinte à la réalité (vous avez vu l'allitération en "t", c'est même pas voulu!).
Le souvenir du meurtre d'une petite fille, trois ans plus tôt, pèse encore dans les mémoires, la rumeur court qu'un fantôme hante le collège et un autre élève disparaît. C'est donc une atmosphère angoissante et fantasmagorique qui plane au-dessus de Tôru et de ses camarades. Mais Tôru va faire la rencontre de Yûki Shirato, personnage androgyne qui jouera un rôle très important dans la vie de Tôru. Son rapport avec Hikaru, par exemple, va être remis en cause: est-il une partie de lui? un fantôme? C'est plus compliqué que ça.
Pianissimo Pianissimo est un roman imprévisible et troublant. Oscillant entre rêve et réalité, quelque part entre Stephen King et Haruki Murakami. Je pense que son ambiance, aux mains d'un bon réalisateur, pourrait être brillamment adaptée au cinéma.
Pianissimo Pianissimo, Hitonari Tsuji, Phébus, 22€50. Traduction du japonais par Ryôji Nakamura et René de Ceccaty.

mardi 12 août 2008

Brothers


Pour mon premier conseil, je choisis ce fabuleux pavé paru chez Actes Sud en avril. J'avais été invité à un petit déjeûner par l'éditeur pour faire un peu connaissance avec ce roman et son auteur. Présentation très convaincante surtout quand on nous offre un exemplaire. J'ai pris mon temps pour le lire mais je n'ai jamais eu l'envie de le lâcher.

C'est l'histoire d'une petite bourgade chinoise, microcosme de la Chine à elle toute seule, de la Révolution Culturelle à nos jours. Les deux personnages principaux, Song Gang et Li Guangtou, demi-frères (comme l'indique presque le titre en islandais), vont vivre et symboliser ces décennies chinoises, avec un parcours commun dans la première partie du livre: une fraternité viscérale et sans bornes. Puis la seconde partie, plus longue, voit les deux héros aller leur bonhomme de chemin, chacun de leur côté: éloignement, trahisons, et... une femme Lin Hong.
Mais tout au long des (presque) 700 pages du roman nous sont également présentés d'autres personnages que j'ai du mal à qualifier de secondaires, vu leurs péripéties si bien imbriquées dans celles des demi-frères.

Texte très dense enveloppant violence crue et tragédies dans un style proche des contes traditionnels, Brothers vous arrachera tout de même de nombreux sourires. Un des livres les plus attachants de 2008, pas moins.

Brothers, Yu Hua chez Actes Sud (28 euros, mais moi je l'ai eu gratos)

mardi 29 juillet 2008

La vie rêvée des plantes

La vie rêvée des plantes, Lee Seung-U (Trad. C. Mikyung et J-N Juttet) - Zulma

Contraint d'espionner sa propre mère pour un mystérieux commanditaire, Kihyon est confronté à d'obscurs secrets de famille. Par tous les moyens, il tente de réparer les blessures du passé, entre une mère au comportement étrange, un père réfugié dans la culture des plantes et un grand frère adoré et haï, amputé des deux jambes à l'armée. La folle passion de Kihyon pour l'ancienne petite amie de son frère n'arrange en rien la situation. Dès lors, sa confession, lourde de silence et de résignation, de culpabilité et d'espoir insensé, nous plonge dans les formes les plus crues et les plus élevées de l'amour.

Un huis clos au sein d'une famille qui ne se dit rien, deux histoires d'amour qui transcendent l'espace et le temps, un narrateur qui d'un bout à l'autre de l'histoire grandit, voila ce que nous livre Lee Seung-U, dans le contexte coréen que l'on connaît.
La progression du narrateur et de son image auprès des différents protagonistes est à mes yeux la phase la plus intéressante du livre. C'est sans compter l'intensité narrative qui nous emporte crescendo jusqu'à la fin de l'histoire.

Un roman intimiste qui se lit encore mieux à haute voix.

«Y en a pas deux comme elle, vous pensez pas ?» je me suis dégagé d'elle et je suis parti avec l'envie de l'injurier. Je hurlais en moi même que des mères, y en avait pas deux comme elle. Non, pas deux ! Et cette voix, au fond de moi, faisait voler mon cœur en éclats.

Dogra Magra

Une victoire que la lecture de cette œuvre décalée et immersive, elle m'aura pris deux mois. Dogra Magra titre du livre, formule cabalistique nipponne, fait pour moi écho aux infinis retournements de cet étrange investigation. Notre narrateur (si tant est qu'il y en ait un) se réveille commotionné dans une cellule psychiatrique sans aucun souvenir, même de son propre prénom. Pris en charge par deux savants confrères, on tente petit à petit de lui faire prendre conscience de ses actes: il aurait tué 7 personnes, victime d'un crime d'un genre nouveau: "le crime à l'arme psychologique".

Mais voila, est-il vraiment ce qu'on prétend qu'il est? et puis, pris dans un tourbillon de faits, de preuves mais aussi de mensonges, la vérité se fait confuse, au grand plaisir des docteurs. Eux même ne seraient-ils pas peu ou prou mêlés à cette histoire ésotérico-scientifico révolutionnaire?! Beaucoup de questions tournoient, les styles, et les genres s'alternent et embrouillent le lecteur qui sent lui même poindre une certaine folie..

Magistral, décalé, Dogra Magra est un Ovni inclassable édité en 1932 au Japon, réédité bien des fois, étudié, et ici en France, traduit avec brio par Patrick Honnoré qui nous en laisse un gout indescriptible..

[...]Alors, les yeux fixés de toutes mes forces sur le Dr Masaki, je sentis qu'il me fallait à tout prix attendre, fût-ce au péril de ma vie, jusqu'à ce que ces lèvres noires et difformes s'ouvrent et s'expliquent...... sans doute parce que mon âme avait été entièrement aspirée par les deux docteurs au nom de la beauté d'une expérience de psychiatrie au comble de l'étrange qu'ils cherchaient à se voler mutuellement et pour laquelle ils épuisaient, non pas leurs forces vitales, mais bien leurs forces de mort...... [...]

Enfance au féminin

Je suis l'enfance de Taslima Nasreen, la bas au Bengladesh. Une enfance terrible ou le droit humain, celui de la femme est bafoué. Taslima Nasreen est exilée, fuyant une fatwa prononcée par les fanatiques de son pays pour ses publications.

Elle dont le cœur ne bat que pour un lieu sur terre a choisi son exutoire: l'écriture.


Dès l'âge de 6 ans, j'avais compris la très grande cruauté de ce monde dans lequel il n'est guère de plus grande misère que de vivre au féminin.

La femme des sables

Heurs et malheurs d’un homme qui, parti à la recherche d’un insecte des sables, échoue dans un petit village perdu au fond des dunes. Commence alors un étrange cauchemar… La Femme des sables est incontestablement l’un des plus grands romans de la littérature japonaise contemporaine. Traduit dans le monde entier, il a été couronné, au Japon, par le prix Akutagawa (1962) et, en France, par le prix du Meilleur Livre étranger (1967).

Classique littéraire nippon paru dans les années 60, ce roman a une portée énorme, la nature humaine et ses passions sont mises à nu.

"L'homme" et "la femme" n'ont pas de noms; cloitrés dans une maison ou il faut sans cesse écoper les pellicules de sable qui se déposent, ce sont deux entités qui pourrait symboliser l'humanité entière.
Abe Kobo apporte tellement de messages, de métaphores à son roman, qu'une simple analyse comme celle ci ne parviendrait jamais à aborder dans son ensemble!

(livre paru chez Stock et en poche)

La traduction est très textuelle, un choix volontaire de Georges Bonneau, le traducteur. Ça ne facilite pas la lecture, mais finalement préserve tout l'effet de la tournure nippone, ce qui permet d'autant plus de s'approprier le texte.

La femme dormait parfaitement nue. Dans son champ visuel tout embrumé de pleurs, la femme apparaissait comme une ombre flottante. Elle dormait à même la natte, couchée sur le dos, et, à l’exception du seul visage, le corps entier tout découvert. Le bas-ventre était ferme, tendu, avec, de chaque côté, un pli étranglé ; et la main gauche, si légèrement, y reposait. […] Sur l’entière surface du corps, une couche de sable à fine texture posait, on eût dit, une tunique aussi fine et souple qu’une membrane. Noyant les détails, le sable détachait, en les forçant et en les magnifiant, les courbes où se révèle et s’offre l’éternité de la femme. A s’y méprendre, sous son placage de sable, la Femme des sables était, au regard, devenue Statue…

Les bébés de la consigne automatique

Hashi et Kiku, deux bébés abandonnés dans une consigne de gare, passent leur petite enfance dans un orphelinat. La recherche de leur identité les entraînera dans les bas-fonds de Tokyo, où Hashi se prostitue avant de devenir un chanteur de rock adulé, tandis que Kiku, champion de saut à la perche, se retrouve en prison pour parricide.
Le roman suit en parallèle les destins des deux frères, décrivant le mécanisme qui les pousse à revivre sans cesse le traumatisme de leur enfance, racontant comment ces enfants purs et attachants passent du statut de victimes à celui de bourreaux.


S'il fallait un meilleur, ce serait celui-ci. Murakami emploie des mains de chirurgien afin de trancher les veines battantes de Tokyo, toujours aussi acide, toujours aussi froid.

Hashi et Kiku, deux destins bien différents unis par le battement de cœur d'une mère. Deux folies destructrices qui entraineront le monde avec elles.

Traduit du japonais par Corinne Atlan (Picquier), un roman qui se dévore littéralement.

dimanche 27 juillet 2008

Miso Soup

Kenji, un jeune Japonais de vingt ans, gagne sa vie en guidant des touristes dans le célèbre quartier louche de Kabukichô, à Tôkyô. C'est en compagnie de Frank, un client américain, qu'il parcourt durant trois nuits les lieux de plaisir de Shinjuku : trois nuits de terreur auprès d'un meurtrier inquiétant avec qui il joue au chat et à la souris.

Ce thriller sur fond de prostitution traduit par Corinne Atlan est, toujours dans la veine des autres Murakami, une critique froide de la société nippone. Tandis que les hommes et femmes que Kenji cotoie perdent de leur humanité au fur et à mesure de la lecture, Frank lui devient le symbole de l'homme qui resiste à la condition dans laquelle se vautre le reste du genre humain.

Incisif mais parfois décousu, ce roman d'abord paru sous forme de feuilleton dans un journal puis revu et assemblé pour former Miso Soup, reste un très bon thriller psychologique.

Miso soup, Murakami (trad. Corinne Atlan) - Picquier

La littérature, consiste à traduire les cris et les chuchotements de ceux qui suffoquent, privés de mots... En écrivant ce roman, je me suis senti dans la position de celui qui se voit confier le soin de traiter seul les ordures. - Murakami

lundi 21 juillet 2008

Chemins de poussière rouge

Chemins de poussière rouge de Ma Jian est édité aux éditions de l'Aube tout comme Le livre d'un homme seul du prix nobel Gao Xingjiang.
Il s'agit d'un roman autobiographique se passant en Chine dans les années 80, après la révolution culturelle et les année Mao. Ma Jian est un artiste dissident qui à cause de ses penchants artistiques se voit obligé de quitter Pekin. Il entame alors un long voyage à travers toute la Chine et partage la culture de nombreuses minorités.

Un portrait de la Chine immuable, un détour par le Tibet, dans un roman politique, carnet de voyage poétique incontournable.

Le livre d'un homme seul

Tout ce que tu sais, c'est que tu n'es en rien l'incarnation de la justice. Si tu écris, ce n'est que pour dire que cette vie a existé, plus infecte qu'un bourbier, plus réelle qu'un enfer imaginé [...] et qu'elle risque de revenir un jour ou l'autre une fois que son souvenir sera estompé. Le livre d'un homme seul, Gao Xingjian trad. Noël Dutrait - l'Aube

Gao Xingjian est en exil en France depuis 1988; prix Nobel de littérature, il écrit avant tout ce roman pour lui même et comme témoignage sous le règne du Grand Timonier; "La littérature permet de conserver sa conscience d'homme" dit-il d'ailleurs dans un entretien. Ce roman est poignant, jusqu'à horrifiant, on partage avec l'auteur l'envers du décor de la Grand Chine de Mao, depuis les combats politiques de Pékin jusque dans les campagnes. On passe par tous les sujets: la condition de la femme, la torture, les retournements de veste, la fuite, l'injustice, l'homme retranché dans sa plus basse et vile condition.

C'est en choisissant un texte non linéaire qu'il nous décrit l'emprisonnement de tout à chacun dans un masque moulé à l'effigie du bon travailleur, sous peine d'être dissident et jugé.