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lundi 31 août 2009

The Great Misconception of me: La Double Vie d'Anna Song de Minh Tran Huy

En 2007, un scandale sans précédent a éclaté dans l'histoire de l'industrie discographique. Le nom de Joyce Hatto, une pianiste britannique à la renommée très relative, est crédité sur une centaine de disques. Acclamée par la critique, il s'est avéré que le mari de la pianiste, William Barrington-Coupe, n'avait fait qu'un montage numérique ingénieux des enregistrements d'autres musiciens, assez obscurs mais talentueux. Aux accusations de fraude, Barrington-Coupe prétendait avoir agi seul, plus par amour que pour les bénéfices pourtant conséquents de l'opération. Ce scandale a servi de point de départ au roman de Minh Tran Huy (pour plus de détails, je suggère la page Wikipedia, superficielle mais suffisante: http://fr.wikipedia.org/wiki/Joyce_Hatto. Pour aller plus en profondeur, référez-vous aux sources que l'auteure cite en fin d'ouvrage.)

Raconté à la première personne par le mari faussaire, renommé pour l'occasion Paul Desroches, le récit reprend les grandes lignes de l'affaire et se voit agrémenté de coupures de presse fictives où le doute des journalistes laisse place progressivemet à l'accusation. Cependant, Minh Tran Huy, moins perméable au cynisme que touchée par l'assertion (sincère ou pas) du mari, adopte une indulgence essentielle dans l'écriture de sa fiction.

Elle s'attache donc à créer un passé commun à ces deux personnages, imaginant ainsi l'origine de l'acte répréhensible mais dont la portée romantique appelle, si ce n'est à la réhabilitation du mari, du moins à la compassion. On remonte donc à l'enfance de Paul qui vit seul, orphelin à la suite d'un accident tragique, avec sa grand-mère. C'est elle qui sera la médiatrice de sa rencontre avec sa petite voisine, Anna, d'origine vietnamienne, elle aussi éduquée par sa grand-mère. Les deux femmes en effet entretiennent une amitié faite plus d'échanges de recettes de cuisine que de réelles paroles. Une première partie imprégnée de cette nostalgie des émois innnocents de l'enfance.
Mais, césure difficile à accepter pour Paul, Anna part suivre des études aux Etats-Unis. Un échange épistolaire qui s'est hélas rapidement effiloché laisse Paul au désarroi. Ce n'est que quinze ans plus tard, à la triste occasion de l'enterrement de sa grand-mère, que Paul retrouvera Anna dont la carrière musicale se trouve compromise par une crispation des doigts, fréquente chez les pianistes. C'est donc, a priori, à partir de ce moment que réalité et fiction se recoupent: Anna se retirera après quelques apparitions publiques suite à une maladie plus grave. Paul l'encouragera à enregistrer (bandes qui ne seront bien sûr pas utilisées) et l'assistera jusqu'à sa mort au fil des années.

Servi par une écriture sereine et intime, attirant la sympathie pour ce personnage néanmoins trouble, La Double vie d'Anna Song permet aussi à l'auteure d'intégrer un aspect plus personnel et familier aux les lecteurs de ses précédents efforts (La Princesse et le pêcheur et Le Lac né en une nuit, également chez Actes Sud). Le Vietnam, sa nature, son histoire, ses contes et légendes contribuent ainsi à accréditer l'amour de Paul pour Anna, une retranscription si détaillée ne pouvant être le fruit que d'une écoute totale (je ne crois pas à la possible difficulté du recul nécessaire à Minh Tran Huy pour adopter un point de vue masculin, je pense réellement qu'une telle précision est intentionnelle). Le folklore vietnamien, loin d'être un exotisme facile, apporte une allégorie métaphysique, complémentaire à la notion de mystification, centrale dans le roman.

Ne sous-estimez pas cette écriture sensible et contemplative car elle vous embarquera là où vous ne vous y attendiez pas.
La Double vie d'Anna Song, Minh Tran Huy, Actes Sud, coll. "Domaine français", 18€.

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