Sur "le quai de Ouistreham" je ne m'éterniserai pas. Florence Aubenas n'en a volontairement pas fait un ouvrage de recherche sociologique, plutôt un témoin.
Journaliste elle se glisse dans la peau d'une chômeuse en situation précaire, dans la région de Caen. Elle rejoint ces hommes et femmes à la recherche d'une heure ou deux, du sacro-saint "CDI", quitte à en baver, à devoir dire "oui" à tout et au pire, pour ne pas être hors-course, à travailler au delà de ses heures, sans reconnaissance, remuant la crasse dissimulée sous les intentions mielleuses d'un patron. C'est la crise, c'est le pôle emploi qui se mord la queue, c'est l'homme que l'on ne regarde plus ou que l'on essaye d'ignorer et qui lance cet appel : où allons-nous? et qu'arrive t'il à ceux qui baissent les bras?
Pour continuer sur ma lancée, je viens de finir "Le Bateau-usine", grand classique de la littérature prolétarienne nippone, paru en 1929, écrit par Kobayashi Takiji qui mourra 4 ans plus tard sous la torture policière. Depuis 2008, le livre connait une recrudescence populaire au Japon. On comprend aisément pourquoi dans le contexte actuel.
Le texte nous fait partager la vie (la survie) d'ouvriers et marins qui partent à la pèche aux crabes à bord de "bateaux-usine", vieilles carcasses remises à neuf, dans des eaux froides et hostiles entre le Japon et la Russie.
Brimés, malades, abrutis par le travail, ces hommes que l'auteur n'a volontairement pas identifiés se regroupent, et finissent par se révolter.
Le texte dépasse les idéaux propagandistes de l'époque et s'ancre dans la réalité. Kobayashi Takiji a fait des recherches et écrit d'après témoignages, inspiré par des évènements réels. Il en profite pour dresser le portrait de différents corps de métier, du mineur aux ouvriers du batiment dans l'île d'Hokkaido nouvellement exploitée, aux noms de grands patrons.
Il y a plusieurs éléments de qualité dans cet ouvrage édité chez Yago. D'une part sa traduction par Evelyne Lesigne-Audoly, qui rend hommage au style visuel et réaliste de l'auteur. Ce dernier qui nous emporte littéralement à bord du bateau, ses odeurs infectes, ses poux, ses maladies, les tempêtes, la sueur mêlée aux odeurs rances d'entrailles de crabes. De ses hommes que l'on imagine aisément, auxquels on s'identifie, pour leurs forces et leurs faiblesses ; et puis à la fin du livre, une postface explicative réalisée par la traductrice, assez bien foutue ma foi, qui remet les choses en contexte, depuis l'oeuvre et la vie de Kobayashi Takiji jusqu'à son impact dans le Japon contemporain.
On n'a pas fini d'en parler, sera t'il un jour temps d'agir?
Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas Ed de l'Olivier 19€
La Bateau-usine, Kobayashi Takiji, trad Evelyne Lesigne-Audoly Ed Yago 18€
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