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mardi 11 septembre 2012

Crimes et châtiments n°2 (Revue)

Bon, j'accuse déjà un sacré retard. Le troisième numéro de la revue est déjà en librairie depuis deux mois et voilà que je termine juste la rédaction d'un article concernant le deuxième, daté du mois d'avril. Mais je vais m'y tenir. Après tout, les anciens numéros seront a priori commandables en librairie pour ceux qui prennent le train en marche.
Ce deuxième numéro est bien évidemment dans la parfaite continuité du premier, il propose les même rubriques, le même équilibre entre faits divers, études et reportages. C'est ainsi que je peux me permettre de classer les différents articles afin d'éviter les écueils rébarbatifs d'un compte-rendu suivant leur ordre d'apparence.

Commençons par le gros morceau. Le "Dossier Bourreaux" s'ouvre sur "Une Histoire du châtiment" très instructive et pas avare du tout en détails macabres, avec un ton dont on appréciera l'ironie. Isabelle Dumas-Pelletier nous donne également un aperçu intéressant du statut social du bourreau au fil des siècles. Un rôle qui se transmettait de père en fils.
Mais il y eut une exception, et c'est à Eric Yung qu'incombe la tâche de nous présenter l'unique femme bourreau de l'histoire de France, Marguerite Le Pastour qui a réussi à se faire passer pour un homme pendant des années. Démasquée par une soubrette qui voulait s'élever socialement en s'acoquinant avec le bourreau...
"Matricule 0835333" (par Julie Brafman) est le numéro attribué à Debra Milke, condamnée à mort en 1991, accusée d'avoir commandité le meurtre de son fils de quatre ans. Toute la haine qu'elle a encaissée depuis ne tient qu'à des aveux non enregistrés mais qu'auraient entendus l'inspecteur Armando Saldate.
Dominique Cellura laisse "La parole au bourreau" Fernand Meyssonier, dernier exécuteur en Algérie française. Cellura a connu personnellement cet être très spécial et nous en dresse déjà le portrait quelques pages plus tôt dans "Ces messieurs du petit matin". Meyssonier raconte sa formation auprès de son père et les détails valent le détour.
Le dossier se conclut avec la deuxième mini-BD de la revue, rubrique qu'elle a déjà promis d'être récurrente. De la main d'Alice Bunel, elle ne présente seulement que trois couleurs: le blanc, le noir et le rouge pour une farce morbide mais qui reste paradoxalement bon enfant.

Regroupons ensuite les faits divers relatés "à la Bellemare":
-"Crime à Lacaune" par Philippe Motta: le braquage raté de cinq jeunes d'un village du Tarn, vite reconnus puisque tout le monde s'y connait. Un acte stupide généré par l'ennui. nous avons également
-"Mamie Couteau" (par Michel Mary) dresse le portrait d'une grand-mère sans scrupule qui a poignardé son petit-fils pour se venger d'une bru qu'elle trouvait indigne de son fils.
-"La dépeceuse du Rouge-Cloître" par Paul Lefèvre où comment Viola, dévorée par une passion incontrôlable va se débarrasser de son mari.
-Au rayon tueurs en série, Marie-Lys Lubrano relate dans son "Mystère du triangle maudit", comment treize affaires de jeunes femmes assassinées sont reliés en une, et comment celle-ci n'est toujours pas résolue depuis 1984, date du premier meurtre.
-"Naissance & destin d'un pyromane" se penche sur le cas d'Emmanuel, son passé et les motifs de ses agissements. Jean-Charles Marchand retranscrit fidèlement des extraits du procès.
-Bernadette Caille s'est chargée dans "La malle à Gouffé" de rappeler un fait divers de la fin du 19è siècle, à la façon d'un reportage photo. Les clichés sont d'époque et le dernier conclut ces pages d'une note ironique.

Un fait divers qui n'eut pas autant d'impact dans l'Histoire que l'assassinat de Trotski dont j'ai appris les circonstances dans "Le Roman noir de Ramon Mercader", par Vladimir Fédorovski.
Autre page historique que les passionnés du passé connaissent déjà, le cas de Gilles de Rais, que Patrick Banon (d'une humeur plus moyenâgeuse que biblique cette fois-ci) qualifie de "complot judiciaire" ("Pourquoi Gilles de Rais était innocent").

J'effectue un quatrième regroupement, à savoir celui des reportages ou études sur des thèmes bien particuliers.
Je commence avec Thierry Levèque qui nous livre un constat sur la prostitution à Paris avec "Le Pacte des esclavagistes". Prenant l'exemple de trois femmes et des évolutions du "plus vieux métier du monde", ces pages relatent des réalités que l'esprit populaire parisien relativise à l'aide de "ricanements et sourires entendus". Et si les flics brillent par leur humanité dans les pages de La Cristaine (voir la rubrique "Histoires de bitume"), ici trois d'entre en prennent pour leur grade. Un éclairage juridique vient compléter le tout.
Encore plus effrayant, le papier de Patricia Fagué, "Trafic d'enfants" met en lumière des transactions plus que douteuses, chiffres à l'appui.
Deux pages statistiques, "La France malade de ses prisons" méritent d'être citées brièvement, c'est-à-dire le temps d'écrire cette phrase.
Dans "Quand la presse dérape", Rémy Bellon illustre son propos avec l'affaire Lady Di. Il revient quinze ans après sur cet évènement qui a réveillé tout le monde après un été habituellement tranquille pour les journalistes. Il se souvient de ce capharnaüm médiatique, ou les rumeurs se disputaient avec la désinformation.
"Les Nouveaux empoisonneurs", par Christophe d'Antonio, oppose les intrigues policières à la réalité en affirmant que le poison est utilisé dans la société moderne plus comme un moyen de se servir d'autrui que de s'en débarrasser.
Audrey Goutard quant à elle se pose une intéressante question, est-il possible de nos jours, pour un malfaiteur, de disparaître sans laisser de traces? "Attrape-moi si tu peux" rappelle les cavales les plus récentes et les interventions d'Olivier Dupas (patron de la Brigade Nationale de recherche des fugitifs, BNRF) nous donne une idée de la réponse. Mais ce n'est pas le seul tête-à-tête de la revue.

Comment oublier Dominique Verdeilhan, l'auteur de l'article le plus poignant du premier numéro de la revue? Cette fois, il nous relate le parcours d'Olivia Cligman dans "Le plus de la juge pianiste". Une plongée dans le monde judiciaire magnifiquement illustrée par Claire Eisenzopf. Un des points forts de cet article est le mariage de la dualité musicienne/juriste non seulement dans les mots du journaliste mais aussi dans les illustrations.
Eric Yung est très bien placé pour reparler, dans "Caillol et moi", de l'Affaire Jean-Edouard Empain, enlèvement de ce riche industriel qui eut lieu en 1978. Ancien flic, c'est lui qui eut face à lui pendant quelques secondes intenses, l'un des kidnappeurs, Alain Caillol.

J'approche de la fin avec un rapide survol des rubriques récurrentes.
J'avais particulièrement aimé la rubrique "4 Lieux, 4 Histoires" avec les tranches d'expérience de Claude Cancès dans le n°1. C'est Martine Monteil, femme au parcours non moins impressionnant que son prédécesseur, qui nous livre les siennes. Des lignes très rudes (attentat au RER Port Royal, tueurs en série et braqueurs ultra-violents) sous lesquels pointe une sensibilité qui reste lucide.
"Planète Crimes" nous emmène brièvement dans six pays différents avec des aperçus socio-juridiques concernant entre autres un footballeur suisse corrompu, une loi sur le viol au Maroc ou des pirates somaliens incarcérés aux Seychelles. Au début de la revue on en trouve le pendant franco-français avec "Brèves France".
Patricia Fagué revient dans "#crimes 2.0", rubrique internet, en tant que créatrice du site http://www.personnedisparue.com. Pour l'anecdote ce site, cette volonté d'aider, est en lien direct avec Perdu de vue émission jadis présentée par le controversé Jacques Pradel. En effet, Patricia Fagué en a été stagiaire.
"Le Coin des polars" est constitué de quelques chroniques qui ont le mérite de ne pas présenter des titres déjà exposés par les médias généralistes.
Et enfin les brèves bios de chaque chroniqueurs auxquelles il est toujours utile de se référer pour vérifier la crédibilité de la revue.

Mes derniers mots (ou presque) seront pour saluer le beau boulot des illustrateurs. Dans l'ordre d'apparition: Alice Bunel, Luxio, Henri Nay, Alexandre d'Huy, Catherine Deux, Claire Eisenzopf, Nabla, Thomas Périno, Eluart Barajas, Pierre Roy-Camille, Victor Eremita, Roj, Grégoire Massamba, Daniel Bastide, Paul Schmir. Au vu de cette longue liste vous pouvez vous faire une idée de la diversité des talents, sans compter que certains d'entre eux apparaissent deux fois et pas toujours dans le même style (Bunel, Luxio, Eisenzopf, Roj).

Le n°3, prochainement. Après la sortie du n°4, certainement, je me connais....

Crimes et Châtiments n°2 (Avril 2012), Editions Jacob Duvernet, 15,90€. Revue créée par Franck Hériot et Luc Jacob-Duvernet. 

dimanche 13 mai 2012

Crimes et Châtiments n°1 (Revue)

La forme éditoriale de la revue semble s’être imposée en librairie. L’exemple qui vient tout de suite à l’esprit, c’est XXI et ses reportages très intéressants. Mais on pourrait citer également Muze ou encore Alibi.

Cette dernière m’avait attiré l’oeil car je pensais retrouver quelque chose dans l’esprit de Shangaï Express (qui était plutôt un magazine vendu en kiosque uniquement), morte trop prématurément (je ne dis pas seulement ça à cause de mon abonnement non remboursé). C’est-à-dire avec des nouvelles,  en feuilleton ou pas, mais du contenu purement littéraire. Cette disparition de Shangaï Express prouve malheureusement qu’il est désormais impossible de recréer un successeur au légendaire Mystère Magazine. Je n’essaierai pas d’en trouver les causes, d’autres l’ont fait et cet article s’annonce déjà très long.

Pour en revenir à Alibi,  son feuilletage ne m’avait pas convaincu et je n’étais pas dans les bonnes conditions financières pour acheter le premier numéro sans être sûr d’avoir ce que j’en attendais (le premier numéro n’avait pas de nouvelles, peut-être que c’est différent maintenant). Je ne fais aucun jugement sur la qualité d’Alibi, je n’ai juste pas eu l’occasion d’en lire un numéro pour m’en faire une idée.

Entretemps, je me suis bouffé tous les épisodes possibles des Enquêtes impossibles sur NT1. Outre l’hilarant Pierre Bellemare, qui ne sert finalement qu’à raconter les faits divers à sa façon, puisque cette émission reprend le montage d’émissions déjà existantes (les cadres étant soit américains soit australiens), mon intérêt pour le fait divers s’est vu décupler non seulement par son côté racoleur (blood & guts, I like it) mais aussi pour la façon dont les enquêtes se déroulent. J’ai vu des choses incroyables dans cette émission: les meurtres en eux-mêmes, leur mobiles, les façons dont les coupables se font pincer, etc.

C’est donc avec tout ça en tête que j’ai vu débarquer dans ma librairie le premier numéro de Crimes et châtiments avec en couverture son hybride de la Boule et de Monsieur propre. Première chose importante, à l’instar d’Alibi, pas de contenu littéraire à proprement parlé, raison pour émousser mon intérêt. Cependant, hein, why not? Comme dans toute revue trimestrielle, on vous donne de quoi lire. Résultat, j’ai pris mon temps pour le parcourir dans sa totalité et mes souvenirs ne sont pas très frais.

L'éditorial, passage presque obligé, est une sorte de manifeste pour les créateurs de la revue, Franck Hériot et Luc Jacob-Duverney. Ils y affichent une volonté de raconter le fait divers sous toutes ses facettes, de la faute à la punition (comment ça, ça pue la paraphrase?) en passant par le procès et les considérations personnelles des protagonistes. Ils utilisent également cette unique page pour légitimiser le choix de reprendre, au pluriel cependant, le titre du célèbre roman russe (je ne ferai pas l'insulte de vous en rappeler l'auteur).

Commençons par ces histoires vraies qui bénéficient de bien plus que les habituelles quelques lignes d'une presse quotidienne, celle qui a bien d'autres priorités. Entre 6 et 12 pages chacune, c'est très consistant, même si les illustrations prennent une place importante. D'ailleurs, c'est une ficelle qui est aussi utilisée dans XXI, chaque papier se voit attribuer un illustrateur différent créant ainsi une "personnalité", une ambiance différente à chaque fois. Que ce soit le meurtre d'un touriste, un drame familial, une erreur judiciaire digne d'un texte de Kafka ou encore un flic du début du XXème siècle qui tourne ripou avant de devoir enquêter sur ses propres méfaits, je confesse que ces petites tragédies et déchéances se substituent parfaitement à mon désir de nouvelles plus littéraires.

La part reportage n'est certainement pas en manque. Jugez-en plutôt: un dossier en trois temps consacré aux femmes et leur rapport au crime (femmes tueuses, femmes flics ou compagnes de criminels), le parcours d'anciens détenus, les ressorts de la cavale à la Corse, les coulisses du RAID, une explication des techniques balistiques, la relation entre le crime réel et la littérature... Tout ça écrit par des contributeurs qui savent de quoi ils parlent, voir leur présentation dans les dernières pages.

Deux papiers sont particulièrement dignes d'être mentionnés: la relecture, par Patrick Bannon, du mythe de Caïn et Abel sous le prisme d'un système judiciaire est plus qu'un exercice de style, il démêle les ambiguïtés et les contradictions du texte bibliques. Je tiens également à mettre en exergue les pages rédigées par Dominique Verdeilhan. Il travaille pour France 2 et couvre ce qu'on appelle les grands procès. Dans "Les Affres du chroniqueur judiciaire", il nous raconte une expérience unique, vécue par très peu de monde. La visite du lieu des exactions de Marc Dutroux. Il a approché l'horreur et l'insoutenable et ses mots nous emmènent avec lui. Un reportage d'une puissance qui vous serre littéralement la gorge.

Comme tout magazine ou revue qui se respecte, telle les tranches de pain d'un hamburger, des rubriques, que l'on peut prédire récurrentes, s'intercalent entre ces ingrédients plus consistants. Une première salve de brèves, concernant principalement les rangs policiers, est tirée par Franck Hériot avec "Annus Horribilis" (on remarquera le changement entre le premier et le deuxième numéro tant au niveau du titre qu'à la façon de présenter les infos). Christophe d'Antonio propose quelques instantanés du fait divers mondial (les Etats-Unis, la Pologne, l'Espagne) avec "Planète Crime", le même concept se retrouvant plus loin teinté d'insolite dans les "Drôles d'affaires" d'Eric Yung. Dans "Histoires de bitume" est laissé libre cours à une verve tant littéraire que journalistique à La Cristaine, pseudonyme qui cache un capitaine de police que l'on suppose toujours en exercice; contrairement à l'ancien directeur de 36, Quai des Orfèvres, Claude Cancès qui raconte avec "4 Lieux, 4 Histoires" des petites tranches de son expérience. Deux pages statistiques, carte de France à l'appui, "Crime 2.0" qui s'intéresse aux sites internet (ici une mine d'information sur d'innombrables affaires crée par Philippe Zoummeroff, industriel à la retraite et collectionneur), une série de photos légendées, une mini-BD de Gabriel Germain et Eric Yung qui revient pour chroniquer quelques bouquins (pages sobrement intitulées "Polars") achèvent cette énumération que j'espère ne pas sembler trop laborieuse à lire.

J'ai appris que Crimes et châtiments avait bénéficié d'un accueil, public et critique, très encourageant. Pour ma part, je ne m'oppose pas à cette opinion partagée et, tout en ignorant l'impact de ce modeste blog, j'en recommande la lecture partielle ou totale (le n°1 devrait rester facilement disponible), c'est mieux, à tous ceux et celles qui souhaitent voir par de trou de la serrure le pendant réaliste à ce que propose l'imaginaire d'un support plus littéraire (Tiens, par association d'idées, je salue Ingrid Astier, en passant, et lui réitère mon soutien pour la suite de ses aventures.)

J'avais initialement prévu de consacrer un seul article pour les deux numéros, mais (outre la longueur déjà satisfaisante) ma lecture du premier, trop irrégulière, ne m'a pas permis d'aller beaucoup dans les détails. Je pense donc préparer pour le deuxième un brouillon que j'alimenterai au gré de mon avancée, pour fournir quelque chose de moins survolé. J'ai le n°2 à portée de main et je m'apprête à peine à le commencer que j'ai vent de la parution d'un hors-série (déjà?!?) pour l'été. Et cerise sur le gâteau, il figurera  au sommaire, entre autres réjouissances, cinq nouvelles originales. Vous savez à quoi vous attendre...

Crimes et châtiments, n°1 (Janvier 2012), 15€ (à moins que la hausse à 7% soit passée depuis), Editions Jacob-Duvernet. Revue créée par Luc Jacob-Duvernet et Franck Hériot. Illustrations: Piotr Krazynski, Roj, Simone Tabouret, Stéphane Berthier, Daniel Bastide, Alexandre d'Huy, Aurore Dupin, Leslie O'meara, Catherine Deux, Estéban.