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dimanche 4 mars 2012

Pierrot-La-Gravité de Kôtarô Isaka

J'ai une bonne raison de garder rancune envers un certain Philou qui s'est montré extrèmement mal élevé à l'encontre d'une quarantaine d'apprenti libraires il y a quelques années. Et pourtant, la plupart de ces libraires continuent à lire et à vendre ses livres. Et moi, la bonne poire, je consacre même un petit article à l'une de ses publications les plus récentes, Pierrot-La-Gravité, qui n'y est pour rien, et d'un, mais qui est tout simplement bon, et de deux.

2011 avait déjà vu sortir La Prière d'Audubon, Picquier pouvant se targuer de faire découvrir le livre et son auteur au public français onze ans après sa publication originale. Kôtarô Isaka semble bénéficier d'une belle popularité au Japon, beaucoup de ses romans ayant été adaptés en manga ou en films. Il existe par exemple une version cinématographique de Pierrot-La-Gravité, mais je n'ai aucun détail à vous fournir. Sa littérature n'a pas l'air uniforme et s'inspire tour à tour du fantastique ou du policier, mais la constante de ses romans se trouve être une préférence aux petits tiroirs, à l'énigme.

Dans Pierrot-La-Gravité, la principale énigme ce sont ces incendies en série qui semblent avoir un signe précurseur sous la forme d'étrange mots tagués à proximité des incendies. C'est Haru, artiste dans l'âme, qui se charge d'effacer ces tags qu'il considère avec mépris. Izumi, son frère, enfin, techniquement, son demi-frère, et narrateur va se prendre au petit jeu qu'Haru lancera en évoquant le modus operandi du ou des pyromanes. Une véritable enquête va donc se lancer. La situation professionnelle d'Izumi, employé d'une entreprise sur le recherche ADN, s'imbrique totalement dans l'intrique et au fil de celle-ci, on rencontrera un proxénète, un détective mystérieux, ou encore une jeune fille éperdument amoureuse de Haru et qui le suit à la trace. Même le père des deux protagonistes, atteint d'un cancer et alité dans l'attente d'une opération, mènera sa petite enquête parallèle un peu à la façon de Nero Wolfe, pour ceux qui connaissent.

Truffées de références culturelles (de Jean-Luc Godard à Roland Kirk en passant par Tolstoï; le titre lui-même correspond à la figure symbolique du clown blanc) et scientifiques (très abordables, n'ayez crainte), les pages se tournent comme si de rien n'était et enfument le lecteur par leur aspect ludique alors qu'elles cachent une profondeur que l'on ne finit par évaluer pleinement une fois atteintes les dernières explications.

C'est un puzzle de 460 pages. Chaque référence (l'auteur réutilise même, pour un bref moment, le personnage principal issu de La Prière d'Audubon, chose que j'aurais ignoré si ce n'était pas signalé en note de bas de page), chaque personnage et chaque souvenir d'Izumi a son rôle. Certaines pensées du narrateur ou dialogues peuvent sembler naïfs à un esprit occidental, mais cette "naïveté" japonaise est toujours un leurre, pas forcément volontaire, et dissimule, on s'en doute, des choses que les auteurs français enveloppent parfois (souvent) de pompôsités ou les anglo-saxon de mélancolie.

Ceci dit, il n'est pas impossible que je me plonge un jour ou l'autre dans La Prière d'Audubon, moins urbain, plus fantasmagorique. Philou a pu se montrer malpoli une fois dans sa vie (à ma connaissance), mais il se trompe rarement lorsqu'il s'agit d'éditer des livres de bonne facture.

Pierrot-La-Gravité, Kôtarô Isaka, Philippe Picquier, 22,50€. Traduit du japonais par Corinne Atlan.

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