Une claque. Ce roman m'a foutu une claque. Un petit bijou. Je ne sais pas comment m'y prendre pour vous en convaincre. J'ai presque envie de crier au chef-d'oeuvre, mais ce n'est pas mon genre. Scott O'Connor, après avoir accumulé les casquettes de scénariste, réalisateur, acteur et de codirecteur de postproduction et d'animation (là, j'ai bêtement recopié la mini-bio sur la quatrième), il s'est lancé avec un premier roman. Et, bordel de merde à cul, j'en veux encore des premiers romans de cette trempe!!
David Darby vit seul avec son fils Whitley, alias le Kid, depuis la disparition de sa femme. Son boulot est assez particulier. Everclean Industrials est une petite entreprise que l'on appelle une fois que la police a fait son boulot. En cas de meurtre, une fois que les indices sont récoltés, en cas de suicide une fois que la cadavre a été emporté tout simplement. Laissant le ou les membres de la famille avec ce qu'il reste de la tragédie. Incapables de nettoyer eux-même. C'est là qu'interviennent David et ses collègues et leur routine bien huilée, leur jargon volontairement euphémisant, pour ne pas être contaminé par la folie que la tristesse engendre. Un équilibre qui peut se briser plus insidieusement qu'ils le pensent.
De son coté le Kid est persuadé que son père lui a menti sur ce que sa mère est devenue. Elle va revenir s'il s'astreint à un sacrifice, celui de ne plus parler, quitte à ne plus communiquer qu'avec un stylo et un cahier. C'est ce dont il se persuade dans sa caboche de môme de sixième. Un gamin déjà chamboulé, chahuté par ses camarades. Méprisé et piétiné, il tient sa langue quand on lui demande qui est l'auteur de ses humiliations. Il fait partie du plus bas de la hiérarchie absurde que les enfants adoptent inconsciemment. Matthew, son seul ami avec qui il a créé un petit magazine de bande dessinée, et Michelle en souffrent aussi. Le Kid tentera cependant de trouver une main amicale chez la nouvelle qu'il surnommera Arizona, de son état d'origine.
Contrairement à où ce cliché du gosse harcelé par ses camarades mène souvent, Le Kid restera enfermé dans son monde, il ne se rebellera pas et ne cherchera ni à se venger ni à s'attirer les grâces de ses persécuteurs. Son salut, il le trouvera dans sa passion pour le dessin. Son principal objectif étant de réaliser une fresque sur le mur d'une maison en ruines, fraîchement détruite par les flammes. Une oeuvre qu'il exécutera en nocturne, tout comme le boulot de son père, à la lumière d'une lampe torche ou de bougies. J'ai l'air d'en avoir raconté un peu trop, mais je vous assure que j'occulte beaucoup de détails qui participent à ce qui fait la force de ce roman.
En passant, le titre original, Untouchable fait bien sur référence à la caste des parias d'Inde. On comprend le choix de l'éditeur (ou du traducteur?) de ne pas l'avoir traduit de manière littérale. On aurait pu taxer Belfond de surfer sur le succès encore trop récent d'un film que chacun reconnaîtra, ou pas. Tiens, en parlant de traduction littérale, il faudra dire à Joseph Antoine que certaines expressions anglo-américaines passent affreusement mal si on ne les adapte pas. Je ne veux pas donner de leçons, je n'ai jamais traduit un roman en américain de plusieurs centaines de pages (en ancien islandais, par contre, ça m'arrive de temps en temps, c'est beaucoup plus facile, y'a qu'à inventer, qui connaît l'ancien islandais de toutes façons?) mais cette notion basique a été ignorée au moins deux fois.
Je me suis virtuellement baladé sur un site de lecteurs anglo-saxons, la note était déplorablement basse. Toutefois c'était une moyenne, certains l'ont encensé, d'autres l'ont descendu. J'ai même pu lire un avis critique sur la structure dont la principale cible était cette alternance entre point de vue du père et celui du fils, qui trahissait soi-disant un manque de cohérence. J'y ai personnellement vu surtout une volonté de Scotty (vous permettez que je vous appelle Scotty?), le père et le fils combattant l'absence à leur façon, d'amener, depuis le début, une folie et une violence qui se déchaînent après avoir été pudiquement retenues. Et croyez-moi, préparez vos mouchoirs, Scotty est un enfoiré qui vous fera chialer. Si votre coeur est assez fort, vous n'en serez pas moins bouleversés, le livre fermé dans les mains, sous le choc. Pour ma part, il est inscrit, gravé même, dans la liste des bouquins les plus émouvants, les plus puissants qu'il m'ait été donnés de lire.
Quoi, déprimant? Si vous cherchez à être juste divertis, si les émotions authentiques vous font peur, il existe des tonnes d'autres niaiseries surestimées et trop vendues pour ce qu'elles méritent vraiment. Allez-y, jetez vous sur (insérez ceux que je ne citerai pas, je suis un lâche), mais Ce que porte la nuit fait partie de ces livres, oui tristes, oui sombres, mais magnifiques, si rares qu'il est regrettable de les négliger. J'en fais des tonnes? Vous voulez que je me mettes à genoux pour vous supplier de le lire? mais j'étais à genoux depuis le début et vous n'êtes pas convaincus? Vous avez un coeur de pierre.
Ce que porte la nuit, Scott O'Connor, Belfond, 22€. Traduit de l'américain par Joseph Antoine, qui, j'espère, n'enverra pas ses hommes de main me casser la gueule à coup de batte. Merci à Philippe Favereau.
4 commentaires:
Votre analyse de ce livre rejoint la mienne : c'est un livre magnifique, émouvant, violent, décrivant très justement le sentiment d'abandon. Si parfois la traduction laisse à désirer, cela n'enlève rien à la force de cette histoire.
Mes compliments pour votre résumé : je suis persuadée qu'à la lecture de celui-ci, plus d'un lecteur aura couru chez son libraire pour acheter ce livre. Pour ma part, je vais le défendre dans notre "Passeurs de mots" à Bourgoin-Jallieu.
Encore merci, cordialement,
Marysette Mathevon
Merci beaucoup pour ce commentaire. J'ai été agréablement surpris de voir ce post atteindre la centaine de visites. C'est un livre qui ne se vend pas tout seul et qu'il faut conseiller.
En ce qui concerne la traduction, il n'y a que deux exemples qui m'ont vraiment choqué, des erreurs qu'on ne peut normalement pas faire.
Ce que porte la nuit est toujours en tête sur mon podium 2012, pour l'instant.
Merci à vous,
Gilles
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