Ceux qui me connaissent personnellement savent que, ces derniers mois, j'ai été radicalement déconnecté de la production du monde littéraire. La seule façon concrète de me tenir au courant des sorties était (internet excepté) de visiter les librairies les plus achalandées. J'y ai passé ainsi plusieurs heures à fouiller les rayons qui m'intéressaient le plus. C'est lors d'une de ces errances que je suis tombé sur Les Imperfectionnistes.
Publié chez Grasset en février, ce premier roman semble avoir fait de belles vagues depuis sa parution en Grande-Bretagne l'année dernière. Mais ce qui m'a le plus attiré, c'est la promesse de lire un de ces trop rares romans dignes de bons souvenirs.
Tranches de vies croisées de onze figures orbitant autour du même journal anglophone basé en Italie, ce roman se découpe en onze chapitres intitulés comme des titres d'articles. Si tous ces personnages n'étaient pas liés, on pourrait les lire comme des nouvelles. En guise d'interludes, l'histoire du journal nous est racontée sur quelques pages (entre deux et quatre) en fin des chapitres. On comprend peu à peu qu'on assiste à ses derniers balbutiements.
Parmi les personnages les plus marquants, on trouve le freelance Lloyd Burko, correspondant à Paris, qui est peu à peu oublié par toutes les parutions auxquelles il a pu contribuer. Il va tenter de dégoter un scoop en se servant de Jérôme, son fils, censé travailler pour le ministère des Affaires étrangères. D'une relation plus que frileuse, père et fils finiront par se rapprocher.
Arthur Gopal lui s'occupe nonchalamment de la rubrique nécrologique pour petites et grandes célébrités. On lui confie l'interview d'une obscure féministe autrichienne, Gerda Erzberger, dont la mort est pressentie pour pas trop longtemps. Une rencontre est donc organisée et Arthur se rend en Suisse pour cueillir certaines informations de première main. Mais un coup de fil interrompt l'entretien.
Sur un ton plus comique, Winston Cheung postule pour le poste de correspondant international. Son premier reportage se situe au Caire, mais ce n'est qu'un test pré-embauche, il se voit malheureusement attribuer un concurrent de poids, Rich Snyder, vieux baroudeur à l'expérience écrasante. Si ce n'était que ça... mais Snyder en prend un peu trop à ses aises avec ce rookie. Des scènes hilarantes pour le lecteur mais éprouvantes pour le pauvre Winston.
Ornella de Monterecchi ne contribue en aucun cas au journal mais elle en est une fervente lectrice d'un genre très particulier. Elle le lit comme un feuilleton et elle a accumulé au fil des années un retard irrattrapable. Personnage le plus décalé du roman, autant au sens littéraire que temporel, Ornella rythme donc son existence sur ce journal et ne semble pas se rendre compte que les événements qu'elle pense d'une actualité brûlante font déjà partie de l'histoire...
Je finis cette présentation non exhaustive avec Oliver Ott, petit-fils du créateur du journal, Cyrus Ott. Avec Oliver, Tom Rachman a gardé son personnage le plus attachant pour la fin. On le croise déjà une fois mais brièvement et sous un point de vue trop partial. Ce dernier chapitre m'a beaucoup plu, je me suis senti très proche d'Oliver, auquel la direction du journal a été imposée contre son gré. Il est d'un tempérament maladivement timide au point d'ignorer tous les appels téléphoniques qu'il reçoit. Il laisse ça à son répondeur, dont le compteur reste bloqué sur 99. Il préfère lire des romans policiers en compagnie de son seul ami, Schopenhauer. Non pas le philosophe, son chien. C'est lui (Oliver, pas le chien) qui est malheureusement chargé d'annoncer l'ultime mauvaise nouvelle aux employés du journal.
Premier roman d'une intelligence impressionnante, Les Imperfectionnistes marque par son réalisme. Tout ces points de vue interagissent finement, leurs psychologies sont parfaitement dépeintes, multitude de caractères et de réactions qu'aucun lecteur ne manquera de reconnaître comme faisant partie de son quotidien (on excepte quelques excentricités, surtout celle d'Ornella).
Tiens, tiens, je me rends compte que je n'ai jusqu'ici pas fait de comparaison. Bon, toutes superficielles qu'elles paraissent et à la demande générale: Raymond Carver m'est venu à l'esprit, même si l'on peut en retirer le minimalisme excessif (joli oxymore, don't you think?), et y ajouter une écriture plus britannique, celle d'un William Boyd par exemple. En bref, dans une coquille de noix comme dirait les anglophones, une découverte qu'il aurait été dommage de manquer.
Bonus, petite interview de l'auteur: http://www.culture-cafe.fr/site/?p=2009&page=2
Bonus, petite interview de l'auteur: http://www.culture-cafe.fr/site/?p=2009&page=2
The Imperfectionists, Tom Rachman, Quercus Books. Les Imperfectionnists, Grasset, 20€. Traduit de l'anglais par Pierre Demarty.
1 commentaire:
Bonsoir, j'ai dit tout le bien que je pensais de ce roman le 03/05/11. Roman que je conseille vraiment pour les tranches de vie de quelques journalistes. Bien construit, bien écrit (traduit). Bonne soirée.
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