"Rana Toad", ça se mange?

Nous sommes libraires de divers horizons, bibliovoraces friands de découvertes, ici pour partager!

vendredi 22 juillet 2011

Iron Council/Le Concile de fer de China Miéville

Après la croisière épique des Scarifiés, China Miéville distribue des tickets pour une randonnée ferroviaire avec Le Concile de fer. Tiens ça me fait penser aux films avec Steven Seagal, Piège en Haute mer ("Un simple petit cuisinier...", et le terme de "navet" auquel on peut l'y associer) et Piège à grande vitesse. Piège en trottinette décapotable était en projet, mais les scénaristes se sont demandés pour quel motif des terroristes prendrait une trottinette et son propriétaire en otage. Mais les fans de Steven Seagal m'excuseront, je ne fais ce rapprochement qu'à des fins humoristiques (c'est à se taper le cul par terre).

Situés dans le même univers, j'avais évoqué le fil ténu entre Perdido Street Station et Les Scarifiés. Dans Le Concile de fer, nous n'aurons qu'une fugace allusion au "cauchemar" vécu par New Crobuzon dans Perdido et une guerre lointaine et interminable dont il est déjà question dans Les Scarifiés, il me semble. Les trois romans sont donc indépendants. Je les ai lu dans l'ordre juste par purisme.

Le roman débute par la recherche d'un des personnages principaux, Cutter (traduit par Le Faucheur), à travers des territoires hostiles, d'on ne sait pas trop qui ou quoi. Une sorte de légende. Il est accompagné de toute une bande hétéroclite, et le groupe semble être suivi de très près par un être mystérieux, qui garde contact avec eux sans se dévoiler.

Une vingtaine d'années antérieure au début du roman, nous apprenons qu'un puissant magnat, Weather Wrightby (ou Valentin Mistral si vous lisez la version française), s'est lancé dans un projet ferroviaire grandiose et dangereux: une traversée constituée de prostituées, de "Recréés" (criminels dont la punition est une mutilation chirurgicale monstrueuse) et autres travailleurs surexploités. Judah Law (traduit par Judas Bezaille), embauché dans cette aventure comme éclaireur, a découvert des autochtones camouflés dans une sorte de jungle, les Stiltspears (je ne sais pas comment le terme a été traduit en français). C'est avec une profonde tristesse qu'il préviendra, en vain, ce peuple qui l'a accueilli et lui a appris à fabriquer des golems. En effet l'avancée du projet ne se fera pas sans dommage pour eux. D'autre part, les conditions imposées aux participants ne sont pas au goût de tout le monde et une rébellion s'est déclenchée jusqu'à la prise du train lui-même par les ouvriers. C'est ce qui deviendra le Concile de Fer.

Une autre rébellion fomente dans New Crobuzon, où nous découvrons Ori, un jeune révolutionnaire frustré par les grands discours sans mise en pratique des milieux qu'il fréquente. Il finira par faire son trou jusqu'à Toro, un personnage casqué et mystérieux, ennemi public numéro un dont l'action radicale semble plus proche de ses aspirations. Une aide précieuse et improbable lui sera fournie par Spiral Jacobs, un clochard apparemment sénile qui dessine des symboles à la craie tout au long de ses non moins énigmatiques errances (ceux qui ont lu Date d'expiration de Tim Powers comprendront alors pourquoi Miéville cite cet auteur en référence dans ses remerciements en début d'ouvrage).

Ces trois lignes narratrices sont bien entendues liées et finiront par se rejoindre. Car Cutter et ses compagnons sont à la recherche du Concile de Fer, qui lui est poursuivi opiniâtrement et sans pitié par la milice envoyée par les autorités de New Crobuzon. Mais je vais m'arrêter là en ce qui concerne l'intrigue, très dense comme vous pouvez le constater. Tout comme Les Scarifiés, il faut un certain temps pour s'immerger totalement dans cet univers et s'habituer au style très touffu de Miéville. Un vocabulaire riche (une pensée pour la traductrice), des créatures toutes plus originales les unes que les autres et des batailles spectaculaires que l'on peut visualiser s'il l'ont connaît le bordel qu'un jeu de stratégie peut provoquer sur un écran d'ordinateur (je n'ai pas approfondi la chose mais le terme d'"Iron Council" semble aussi être associé à un de ces jeux), tout cela contribue à la fascination qui nous emporte au plus profond dans la lecture. Tout comme dans les romans de Tim Powers, les choses ne sont pas expliquées d'emblée et les révélations sont distillées en temps voulu, effets dramatiques toujours efficaces.

Plus qu'un roman de SF moderne (Miéville est rangé, en tant que successeur présumé de Lovecraft, dans la catégorie Weird Fiction), Iron Council intègre des éléments le plus souvent inhabituels dans le genre. On peut ainsi déceler une ambiance de pionniers, de traversée propres aux western et des idées politiques (en fouillant un peu, on peut lire que Miéville est très impliqué de ce point de vue là, dans le mouvement socialiste anglais, tendance marxiste) ne manquent pas d'y être mises en scènes. Une sexualité évoquée sans complexe peut choquer les lecteurs trop conservateurs (Cutter et Judah sont amants, et des ébats entre races différentes sont parfois légèrement imposés, chose que l'on pouvait déjà lire dans Perdido Street Station). Cela n'a pas empêché China Miéville d'emporter deux prix prestigieux du milieu SF (l'Arthur C. Clarke Award et le Locust Award du meilleur roman Fantasy en 2005) et d'avoir été nommé au non moins célèbre Prix Hugo.

J'avais un peu rongé mon frein et laissé passer quelques mois avant d'attaquer Iron Council. J'ai eu l'opportunité de me procurer la quasi intégralité (j'ai laissé pour l'instant de côté le tout récent donc un peu plus cher Ambassytown) de l'oeuvre de China Miéville. Préparez-vous donc à ce que je vous reparle prochainement de cet auteur. Le prochain bouquin de lui que je chroniquerai sera Looking For Jake, un recueil de nouvelles non traduit en français. Pour l'instant, avec les romans que j'ai cité dans mes chroniques, à savoir cette "trilogie" et Le Roi des Rats, seul Un Lun Dun, à ranger plutôt dans la littérature jeunesse (ce qui ne m'empêchera pas de le lire et d'en parler ici) a bénéficié d'une traduction française, Lombres (Au Diable Vauvert, 20€. Traduction de Christophe Rosson). Croisons les doigts pour que cela soit pris en considération pour les autres (Looking for Jake, The City & The City, Kraken et Ambassytown).



Iron Council, China Miéville, Pan Books, première édition Macmillan (2004). Le Concile de Fer, Fleuve Noir, 2008, 22€. Traduit de l'anglais par Nathalie Mège.

Aucun commentaire: