Parler de Danielle. Cinquante-six ans, les cheveux acajou, secs et cassants à force de couleurs répétées, rouge à lèvres orange, et de nombreux tatouages tristes dont elle aimerait te parler en détail. Une personne sympathique mais qui a le cœur d’une petite fille vorace, et ses yeux se plissent lorsqu’elle boit et elle te regarde comme si tu étais la dernière part de gâteau dans une fête. Du sel de Margarita s’accumule aux coins de sa bouche et tu l’emmènes parfois dans la réserve mais seulement si tu es extrêmement saoul (elle commande constamment des verres, les pose devant toi et te traite de rabat-joie si jamais tu refuses). La lumière est crue et tu voudrais briser l’ampoule pour mettre Danielle à l’aise mais, malgré son visage ravagé par le temps et les ennuis, ça n’a pas l’air de la gêner, et elle se penche en avant et se jette sur toi. Tu te retrouves le dos contre la machine à glaçons, et la réserve chavire et tu veux hurler et rire et crier et donner à Danielle un coup de poing dans le ventre, mais elle a défait ta ceinture comme un parent en colère et tu sais qu’il est désormais trop tard pour reculer et donc tu fixes l’ampoule nue au point de ne plus voir que du noir.
L’homme qui rédige mentalement ces « notes pour un roman » du fond d’un bar glauque de Los Angeles se désagrège lentement sous les incessants coups de boutoirs des petites pilules blanches et des verres de whisky qu’il s’inflige à longueur de journées et de nuits. Oscillant entre une conscience fragile et un état second plutôt tenace, il consigne au hasard les portraits et les histoires, réelles ou fabulées, de la bande hallucinée de clients à la dérive qu’il a pour métier de servir, mêlés au récit non moins affabulatoire de ses propres déconvenues. D’un côté comme de l’autre du comptoir, cette humanité pleine, les pieds pris dans un mortier de faillites et de rêves en bouillie. Le lecteur est pris dans ce va-et-vient, seul maintenu à distance par l’absence totale de cynisme ou d’excès de pathos que l’auteur-narrateur s’impose.
L’homme qui rédige mentalement ces « notes pour un roman » du fond d’un bar glauque de Los Angeles se désagrège lentement sous les incessants coups de boutoirs des petites pilules blanches et des verres de whisky qu’il s’inflige à longueur de journées et de nuits. Oscillant entre une conscience fragile et un état second plutôt tenace, il consigne au hasard les portraits et les histoires, réelles ou fabulées, de la bande hallucinée de clients à la dérive qu’il a pour métier de servir, mêlés au récit non moins affabulatoire de ses propres déconvenues. D’un côté comme de l’autre du comptoir, cette humanité pleine, les pieds pris dans un mortier de faillites et de rêves en bouillie. Le lecteur est pris dans ce va-et-vient, seul maintenu à distance par l’absence totale de cynisme ou d’excès de pathos que l’auteur-narrateur s’impose.
Il y a du Bukowski dans ce premier roman, un Bukowski sans amertume et doté d’un surcroit d’empathie. Vif et lucide, et servi par un style d’une extrême fluidité, Ablutions est composté de cette matière humaine à la fois moribonde et terriblement pugnace, qui m’a rappelé pourquoi j’aime tant les lettres américaines.
Ablutions – Notes pour un roman, Patrick deWitte, Actes Sud 2010, 198 pages, 19,50 euros. Traduit de l’américain par Philippe Aronson
3 commentaires:
Je ne sais pas pour les autres contributeurs, mais en lisant tes deux nouvelles chroniques, je me sens vraiment fier de participer à ce blog. On ne les verra nulle part ailleurs.
Ces deux dernières semaines, le blog a été très prolifique et quelle qualité!! J'pense qu'on peut tous s'auto-applaudir.
Way to go, ladies and gentlemen, way to go.
Je suis d'accord avec toi, on est les meilleurs ^^
ça me fait particulièrement plaisir de relire certaines personnes qu'on avait pas lu depuis un moment!
C'est l'avantage de ne contribuer qu'épisodiquement que d'être accueilli comme si c'était la première fois... Merci merci.
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