"Rana Toad", ça se mange?

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jeudi 27 août 2009

Sorj Chalandon répond à Rana Toad!

Eh bien voilà, j'inaugure une nouvelle section sur Rana Toad : les interviews des auteurs qu'on aime et qu'on défend. J'ai bien sûr commencé par Sorj Chalandon, puisque son livre (La légende de nos pères) est l'un des premiers à m'avoir plu, de bout en bout, en cette rentrée littéraire 2009.
Il faut dire aussi que Sorj Chalandon, qui ballade derrière lui 30 années de journalisme autour du monde pour Libération et 4 très bons livres, est un auteur ouvert, à l'écoute. N'hésitez pas à le rencontrer en dédicace, c'est toujours très intéressant!

Morgane Vasta (aka Susan Calvin) : Ce même jour (27/08/2009), « Mon traître » en poche et votre nouveau livre « La légende de nos pères » font leurs entrées dans les librairies. Pourriez-vous tout d'abord nous expliquer le cheminement qui vous a poussé à aborder le thème de la résistance dans « La légende de nos pères »?

Sorj Chalandon : La Résistance française, et la résistance menée en France par les étrangers comme ceux célébrés par le poème d'Aragon l'Affiche Rouge, ont toujours été au centre de mes engagements et de mes préoccupations. Comme journaliste, j'ai suivi les procès de Barbie le SS, de Touvier le milicien et je savais qu'un jour je rendrais hommage aux hommes qui ont combattu cette cruauté-là. La Légende est une manifestation de cet hommage. C'est aussi l'exploration des zones grises de l'homme. De celles qui font de nous ni des traîtres ni des héros mais des frôleurs de murs. Qui ici, pour juger les uns et louer les autres? Qui ici, pour être certain de ce qu'il aurait été. Nous sommes portés par le doute. Et je voulais mettre en scène cette confrontation.

MV : Pierre Frémaux est un personnage auquel je me suis beaucoup attachée, à cause de la sensibilité de ses introspections. Pourquoi avoir volontairement différencié au cour du récit le passé du père et celui de Beuzaboc?


Sorj Chalandon : Justement, par souci de la confrontation. Un fils de résistant renouant fil à fil la vie d'un combattant de l'ombre présentait pour moi une situation moins vertigineuse que ce même fils qui, fil à fil, déconstruit la vie rêvée d'un autre. Ce texte est une succession de rendez-vous manqués. La fille avec son père, le fil avec son père, le biographe avec son sujet, ces hommes et ces femmes avec la vérité. Tous sont arrivés trop tard et je tenais à ce que le temps perdu garde cette avance.

MV : « Le doute et le mensonge », « le traître », vos derniers ouvrages abordent des faiblesses très humaines. On s'attache pourtant à ces personnages qui faillissent. Il s'agit le plus souvent d'apprendre à comprendre leurs points de vue. Serait-ce une volonté d'ouvrir le lecteur à d'autres angles que ceux véhiculés par la morale et les médias ? une manière aussi de sortir définitivement du carcan du journaliste pour rentrer dans un corps beaucoup plus subjectif : celui d'écrivain ?


Sorj Chalandon :
Je ne délivre aucun message, je raconte. Et lorsque j'étais journaliste, j'avais la même volonté de transformer en histoires mes reportages. En cela, je n'ai pas varié. Je montre, je ne juge pas. Tout est plus compliqué que le noir et le blanc. J'emmène celui ou celle qui le veut bien, en lisière. Le reporter que j'étais écoutait ce que le tueur en guerre avait à dire et rapportait la façon qu'il avait de le dire. Non pas pour le comprendre, mais pour le deviner.
Non pas pour approuver l'homme, mais pour l'expliquer. Je n'ai pas jugé Mon Traître. Je ne juge pas le vieil homme de La Légende. Juste, je vous demande d'écouter ce que l'un et l'autre ont à dire. Même si ça fait mal. Et ça fait mal.

MV : Avez-vous un nouvel ouvrage à l'esprit et nous en délivreriez-nous le thème ?

Sorj Chalandon : Oui. Mais c'est prématuré. Disons que Mon Traître n'est pas refermé.
Je l'ai raconté. J'aimerais maintenant qu'il s'explique, lui. Je veux lui donner cette chance. Et ce sera toujours une fiction.

MV : Enfin, auriez-vous des conseils de lecture pour nos amis lecteurs et libraires sur Rana Toad ? (toujours avides de découvertes !)

Sorj Chalandon : J'ai lu et aimé "Est-ce ainsi que les femmes meurent", de Didier Decoin (Grasset). Nous sommes au coeur, au creux du sombre de l'homme. Exactement aux marches de l'inhumain. Le silence, l'indifférence, la lâcheté, la peur. Le monstre en nous qu'il faut combattre sans relâche.

MV : Merci beaucoup pour vos réponses!


Mon traitre, Livre de Poche 2009 - 6€
La légende de nos pères, Grasset 2009 - 17€

*Photo : © P. Swirc
La page de Sorj Chalandon chez Grasset

3 commentaires:

La liseuse a dit…

Génial ! Bravo pour cette nouvelle rubrique. et en plus, elle s'ouvre sur un auteur que j'appécie particulièrement. Ce livre a l'air encore une fois très émouvant. Sorj Chalandon est un auteur qui touche par ses mots. j'apprends en plus qu'il n'en a pas fini avec Mon traître. Pour infos, il sera en dédicace au salon de Fuveau (13) les 5 et 6 septembre.

Gilmoutsky a dit…

Le mystère n'est plus, on se demandait tous qui se cachait sous le pseudo de Susan Calvin!

Taly Lefèvre a dit…

Effectivement! Tant de suspense pour nos chers lecteurs éventé si vite ;) Mais ce n'est pas le plus intéressant de cet interview qui apporte de véritables éclairages sur ce livre magnifique! Un grand merci à l'auteure que notre Morgane démasquée ce fera un plaisir de transmettre ;)