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mardi 25 août 2009

The Rhythm has my soul: Jazz Me Blues (Anthologie)

Contrairement à Fantômes du Jazz cette anthologie a pour ligne directrice, non exclusive pourtant, de garder les pieds sur terre. Mais la musique et les passions qui s'y associent n'en sont pas moins omniprésentes. Les fantômes qu'on y croisent se déguisent plutôt en obsessions ou en tragédies, les rancoeurs et les vengeances sont les instruments que l'on peut écouter et sentir tout au long de ce concert littéraire. La petite bibliographie sélective en fin d'ouvrage trahit les goûts de l'anthologiste Jean-Paul Gratias, portés principalement sur la collection Rivages/Noir.

Hybride mais cohérent, Jazz Me Blues, regroupe morts et vivants, auteurs mélomanes et musiciens écrivains, anglophones et francophones et les compositions s'enchaînent, dans la chaleur d'un bar ou celle du sud américain, ou d'autres lieux moins clichtons...

Trois auteurs sont privilégiés avec deux nouvelles chacun:
-Charles Beaumont (notamment auteur de nombreux épisodes de La Quatrième Dimension), et ses personnages condamnés par leurs obsessions ("Black Ride") ou possédés inoxérablement par la musique ("Black Country"), où l'irreversible est une loi.
-Davis Grubb (La Nuit du Chasseur) avec "Un fruit encore plus étrange", où la jalousie dissimulée provoque un bien mauvais tour, et "Tous les chemins que j'ai parcourus" qui développe la fascination d'un admirateur envers une chanteuse un peu oubliée.
-et John Harvey avec "Minor Key" et "Batteur inconnu", toutes deux imprégnées d'une violence d'un milieu pourri par le racisme et la drogue.

Je m'attarde subjectivement sur les trois récits suivants:
Auteur qui s'illustre aussi dans la "Série Noire" de Gallimard, James Sallis nous offre une nouvelle très courte, "Le Ukulélé et le chagrin du monde" où se déroule une session d'enregistrement. Le narrateur y prend un peu trop au sérieux l'utilisation de Miss Shelley, surnom donné affectivement à cet instrument si inhabituel dans le jazz qu'il déclenche quelques moqueries.
"Le Gig" de Laurent de Wilde (pianiste français et auteur d'une biographie sur Thelonious Monk), et son narrateur, pianiste lui aussi, remplace au pied levé mais un contrecoeur un confrère au sein d'"une bande de tarés" censée assurée la bande sonore d'un mariage dans les Vosges. Tout commence par une virée avec son lot de galères, futures anecdotes à raconter aux potes. S'ensuit la soirée, bien agréable, et le rythme s'accélère de façon démentielle, sans crier gare, sur les dernières pages. Une conclusion maîtrisée, une boucle bouclée.
Nathan Singer, artiste à plusieurs facettes (romancier, dramaturge et compositeur) raconte dans "Dog Thunder Blues" l'histoire de Big Junior Slides qui, à l'occasion d'un bal à Clarksdale, tombe nez à nez avec les assassins de son père, quatorze ans après les faits. La vengeance aura un prix et à de fortes émotions s'ajoutent, exception faite à mon affirmation introductive, un élément mystérieux qui termine la nouvelle en beauté.


Jazz Me Blues , anthologie proposée par Jean-Paul Gratias, Moisson Rouge, 18€. Traduction des textes américains collective.

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