"Rana Toad", ça se mange?

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mercredi 29 avril 2009

Scène coupée N° 1: L'inconsciencieux, la joie des transports en commun

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais bien trop souvent lorsque l'on veut acheter un coffret DVD, on se retrouve souvent face à quelque chose d'approchant: "Inclus 6 DVD Bonus et 28 heures de suppléments". Ceci est fatalement synonyme d'un making-of tout mou qui durera 4 heures de plus que le film et qui reprendra, en plus court, l'essentiel des autres bonus.
Dans la même logique, mais sans aller dans ce genre de dérive, je vous propose une scène coupée du roman que je viens de faire publier "L'inconsciencieux" et pour lequel Gilmoutsky avait publié un article il y a quelques semaines.
Il s'agit donc d'une scène qui n'a pas "passé le cut" car elle n'apportait rien à l'histoire et parce que, à l'époque, j'avais jugé qu'elle ralentissait le rythme du récit (Ah oui et aussi parce que c'est un délire un peu trop bestialement anti-RATP (mais ça fait tellement de bien quand même) que quelqu'un qui n'a jamais pris les transports en commun ne peut comprendre). Cependant, même si le roman se porte très bien sans elle, je pense qu'elle mérite tout de même d'exister quelque part...

...Bercé par ces conditions favorables, Ford commença à laisser libre cours à son irritante habitude de dire des banalités qui n’avancent à rien.
- « Quand même, on est vraiment trop bien ici. »
- « C’est clair. » répondirent Jinn et Jester en cœur en faisant preuve d’une belle indulgence.
- « Le kiff. » ajouta Jester.
- « Là, à ce moment précis, quelle est la situation pour laquelle vous êtes le plus content d’être à des milliers de kilomètres ? Le truc vraiment lourd qui pourrit la vie parisienne ? » demanda Jinn.
- « J’en ai une bien pourrie à laquelle je pense en ce moment…» commença Ford.
- « Toi, je sens que tu vas commencer à divaguer façon Ford pur jus. » rigola Jinn en tendant la main à Jester pour qu’il lui passe la bouteille de Manzanita.
- « Et c’est quoi exactement cette situation ? » Bien qu’il n’était pas particulièrement intéressé par les errements verbaux de Ford, Jester savait qu’en disant cela, il s’assurait une bonne demi-heure de repos, c'est-à-dire se laisser bercer par les divagations de Ford sans avoir besoin de parler. Il prit une bonne lampée de Manzanita puis la passa à Jinn, à regret.
- « Alors voila, je rentre dans le métro un matin pour aller bosser, c’était un des trop rares moments de ma vie où j’avais un travail… mais bon passons, donc je pars travailler et je rentre dans le wagon. Il n’est pas plein mais je ne peux toutefois pas m’asseoir. J’attends une bonne minute mais les portes sont toujours ouvertes et le train ne démarre pas. Encore une bonne minute et le wagon commence à se remplir sérieusement. J’imagine aussi les gens qui s’agglutinent sur les quais des stations suivantes et je commence à comprendre que mon voyage de dix-huit stations va être chaud et long. Quand je suis entré dans le métro il devait faire dans les vingt degrés, maintenant avec les gens les uns sur les autres, il doit faire dans les vingt-cinq degrés. Devant moi il y a un homme d’une quarantaine d’années, légèrement plus grand que moi qui préfère inexplicablement se tenir à la barre horizontale accroché au plafond plutôt que la barre verticale qu’il a juste devant lui. Le douloureux résultat de ce choix est que son aisselle est à quelques centimètres de mon visage et que je n’ai absolument aucune marge de mouvement tant le wagon est blindé. »
A ce stade du récit Jester dormait déjà du sommeil de celui qui sait qu’il ne rate rien. Ford continua sur sa lancée.
- « Finalement le train démarre et à ce moment précis je me dis que tout va se dérouler à peu près normalement. Sauf que quelques mètres avant l’arrivée au quai de la station suivante, le train s’arrête net. Quelques secondes passent durant lesquelles rien ne se passe, sauf lesdites secondes justement. Les secondes se transforment en minutes. La température qui montait régulièrement depuis le début atteint les trente deux/trente cinq degrés. A ce moment, on entend tout le monde souffler d’exaspération. Une sonnerie de portable retentit mais le propriétaire du téléphone ne peut l’atteindre car il est dans sa poche et trop de gens sont collés à lui. La température dépasse les quarante degrés et cela me permet de vérifier deux choses. N°1 : la température de fusion du plastique des sièges est supérieure à quarante degrés et N°2 : le déodorant de mon voisin dont l’efficacité était supposée durer quarante-huit heures vient de craquer environ quarante-sept heures trop tôt. De mon côté une goutte de sueur coule sur mon dos en suivant ma colonne vertébrale et se précipite, comme si sa vie en dépendait, vers ce qu’elle croit être la terre promise. »
Jinn devait le fait qu’il ne dormait pas encore à une ingestion massive de Red-Bull durant le début de soirée. Sans quoi, il aurait été difficile de résister au sable douillet et au délicat bruit des petites vaguelettes venant caresser la plage à quelques mètres d’eux. De son côté, Ford continuait sans se disperser.
- « Alors que cela fait dix bonnes minutes que nous sommes arrêté, on entend un bruit de micro puis le chauffeur fait cette annonce :

« Votre attention s’il vous plait, en raison d’un problème technique de signalisation je vous prie de bien vouloir patienter quelques instants. »

Et là j’hallucine, je deviens fou. Entendre ça c’est au-dessus de mes forces, mon cerveau n’arrive pas à assimiler l’information…
Déjà d’une, ils nous demandent « …de bien vouloir patienter quelques instants » - Comme si on avait le choix ?? Comme si on pouvait dire « Non je ne patiente pas ». Comme si une alternative raisonnable à l’attente serait d’aller bousculer tout le monde jusqu'à la paroi en métal pour la déchirer avec un petit chalumeau portable que l’on aurait branché à la batterie du téléphone, puis de descendre dans le tunnel dans le noir sur les voies électrifiées à trente mille volts pleines de courant vagabond d’un côté et de rats de l’autre, pour courir jusqu’à la station suivante tout en esquivant les autres trains sans oublier d’éviter de se salir car on est en route pour bosser après tout.
De plus, ils nous préviennent alors que l’on est arrêté depuis déjà dix minutes et que l’on est déjà en train d’attendre, ce qui, selon leurs dires, est le fruit ultime recherché par leur requête.
Enfin voila leur excuse « un problème technique de signalisation » Mais c’est totalement sous leur contrôle ! Ils pourraient tout aussi bien dire:

« Votre attention s’il vous plait, vous attendez depuis dix minutes sans aucune explication, eh bien ça va continuer. En raison de notre totale incompétence nous sommes incapable de faire marcher un truc qui est totalement sous notre contrôle et dont la technologie à près de cent ans. Je ne sais pas si ça vous convient comme explication mais c’est la seule que vous aurez. En tout cas, vous ne pouvez rien y faire car peu nombreux sont ceux qui se déplacent au travail avec un chalumeau de poche, des bottes en bois, un vaccin contre la peste et un imperméable. Enfin toutefois si vous étiez sérieusement en train de contempler cette alternative, nous vous prions de bien vouloir patienter, ce n’est pas que nous allons repartir bientôt, mais plutôt que nous risquons bien de repartir un jour ou l’autre. »

Enfin je veux dire, ils nous sortent comme excuse « un problème technique » tout naturellement comme un cas de force majeure inévitable et totalement hors de leur fait, comme s’ils s’attendaient à ce qu’on dise « Ouh là ? Vraiment ? Oh le coup dur, on aurait jamais pu prévoir ça les gars, bon ben c’est pas grave, allez continuer de bien bosser et ne vous en faites pas pour nous. ».
Imaginez ce qu’il se passerait si quelqu’un qui ne travaillait pas à la RATP essayait de dire truc pareil ? Imagine que tu dises à ton chef « Bonjour chef, je n’ai rien fait du boulot d’une importance cruciale que vous m’aviez confié, et oui je l’aurais bien fait mais j’ai été empêché par un accès irrépressible et imprévu de flemme totalement indépendante de ma volonté. » ou encore essaie de visualiser un chauffard qui vient de faucher deux enfants en bas âge avec sa voiture disant au juge « … Mais monsieur le juge, je n’ai pas pu les éviter car je ne les avais pas vus pour la raison simple et naturelle que j’étais totalement bourré, vous ne pouviez pas savoir monsieur le juge, je ne vous en veux pas, allez hop, c’est oublié. »
Jinn commença par attendre quelques secondes afin d’être certain que le fleuve de paroles de Ford était bel et bien asséché pour le moment avant d’essayer d’en placer une.
- « Et alors à ce moment, qu’est ce que tu as fait ? »
- « Ce que tout Français bien éduqué aurait fait dans mon cas, j’ai soufflé bruyamment à pleins poumons puis j’ai pris un air exaspéré comme si tout était de la faute de mes voisins. »
- « Et c’est tout ? » glissa Jinn.
- « Oui, je ne pouvais rien faire d’autre. »
Jinn jaugea la situation dans son ensemble et fit profiter l’assemblée de son verdict d’expert.
- « Oui c’est vrai que c’est une situation bien pourrie. »
- « Le problème de cette situation c’est que je la vis une fois sur deux quand je prends le métro…


N'hésitez pas à donner vos impressions si vous pensez que ce type de libellé est une bonne idée. Si oui, peut-être que les autres auteurs de ce magnifique blog auront envie, eux aussi, de faire revivre de pauvres scènes qui n'ont jamais pu voir le jour.

1 commentaire:

Gilmoutsky a dit…

Alors que la situation serait plus joyeuse s'ils diffusaient du easy-listening pendant l'attente.