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dimanche 13 mai 2012

Crimes et Châtiments n°1 (Revue)

La forme éditoriale de la revue semble s’être imposée en librairie. L’exemple qui vient tout de suite à l’esprit, c’est XXI et ses reportages très intéressants. Mais on pourrait citer également Muze ou encore Alibi.

Cette dernière m’avait attiré l’oeil car je pensais retrouver quelque chose dans l’esprit de Shangaï Express (qui était plutôt un magazine vendu en kiosque uniquement), morte trop prématurément (je ne dis pas seulement ça à cause de mon abonnement non remboursé). C’est-à-dire avec des nouvelles,  en feuilleton ou pas, mais du contenu purement littéraire. Cette disparition de Shangaï Express prouve malheureusement qu’il est désormais impossible de recréer un successeur au légendaire Mystère Magazine. Je n’essaierai pas d’en trouver les causes, d’autres l’ont fait et cet article s’annonce déjà très long.

Pour en revenir à Alibi,  son feuilletage ne m’avait pas convaincu et je n’étais pas dans les bonnes conditions financières pour acheter le premier numéro sans être sûr d’avoir ce que j’en attendais (le premier numéro n’avait pas de nouvelles, peut-être que c’est différent maintenant). Je ne fais aucun jugement sur la qualité d’Alibi, je n’ai juste pas eu l’occasion d’en lire un numéro pour m’en faire une idée.

Entretemps, je me suis bouffé tous les épisodes possibles des Enquêtes impossibles sur NT1. Outre l’hilarant Pierre Bellemare, qui ne sert finalement qu’à raconter les faits divers à sa façon, puisque cette émission reprend le montage d’émissions déjà existantes (les cadres étant soit américains soit australiens), mon intérêt pour le fait divers s’est vu décupler non seulement par son côté racoleur (blood & guts, I like it) mais aussi pour la façon dont les enquêtes se déroulent. J’ai vu des choses incroyables dans cette émission: les meurtres en eux-mêmes, leur mobiles, les façons dont les coupables se font pincer, etc.

C’est donc avec tout ça en tête que j’ai vu débarquer dans ma librairie le premier numéro de Crimes et châtiments avec en couverture son hybride de la Boule et de Monsieur propre. Première chose importante, à l’instar d’Alibi, pas de contenu littéraire à proprement parlé, raison pour émousser mon intérêt. Cependant, hein, why not? Comme dans toute revue trimestrielle, on vous donne de quoi lire. Résultat, j’ai pris mon temps pour le parcourir dans sa totalité et mes souvenirs ne sont pas très frais.

L'éditorial, passage presque obligé, est une sorte de manifeste pour les créateurs de la revue, Franck Hériot et Luc Jacob-Duverney. Ils y affichent une volonté de raconter le fait divers sous toutes ses facettes, de la faute à la punition (comment ça, ça pue la paraphrase?) en passant par le procès et les considérations personnelles des protagonistes. Ils utilisent également cette unique page pour légitimiser le choix de reprendre, au pluriel cependant, le titre du célèbre roman russe (je ne ferai pas l'insulte de vous en rappeler l'auteur).

Commençons par ces histoires vraies qui bénéficient de bien plus que les habituelles quelques lignes d'une presse quotidienne, celle qui a bien d'autres priorités. Entre 6 et 12 pages chacune, c'est très consistant, même si les illustrations prennent une place importante. D'ailleurs, c'est une ficelle qui est aussi utilisée dans XXI, chaque papier se voit attribuer un illustrateur différent créant ainsi une "personnalité", une ambiance différente à chaque fois. Que ce soit le meurtre d'un touriste, un drame familial, une erreur judiciaire digne d'un texte de Kafka ou encore un flic du début du XXème siècle qui tourne ripou avant de devoir enquêter sur ses propres méfaits, je confesse que ces petites tragédies et déchéances se substituent parfaitement à mon désir de nouvelles plus littéraires.

La part reportage n'est certainement pas en manque. Jugez-en plutôt: un dossier en trois temps consacré aux femmes et leur rapport au crime (femmes tueuses, femmes flics ou compagnes de criminels), le parcours d'anciens détenus, les ressorts de la cavale à la Corse, les coulisses du RAID, une explication des techniques balistiques, la relation entre le crime réel et la littérature... Tout ça écrit par des contributeurs qui savent de quoi ils parlent, voir leur présentation dans les dernières pages.

Deux papiers sont particulièrement dignes d'être mentionnés: la relecture, par Patrick Bannon, du mythe de Caïn et Abel sous le prisme d'un système judiciaire est plus qu'un exercice de style, il démêle les ambiguïtés et les contradictions du texte bibliques. Je tiens également à mettre en exergue les pages rédigées par Dominique Verdeilhan. Il travaille pour France 2 et couvre ce qu'on appelle les grands procès. Dans "Les Affres du chroniqueur judiciaire", il nous raconte une expérience unique, vécue par très peu de monde. La visite du lieu des exactions de Marc Dutroux. Il a approché l'horreur et l'insoutenable et ses mots nous emmènent avec lui. Un reportage d'une puissance qui vous serre littéralement la gorge.

Comme tout magazine ou revue qui se respecte, telle les tranches de pain d'un hamburger, des rubriques, que l'on peut prédire récurrentes, s'intercalent entre ces ingrédients plus consistants. Une première salve de brèves, concernant principalement les rangs policiers, est tirée par Franck Hériot avec "Annus Horribilis" (on remarquera le changement entre le premier et le deuxième numéro tant au niveau du titre qu'à la façon de présenter les infos). Christophe d'Antonio propose quelques instantanés du fait divers mondial (les Etats-Unis, la Pologne, l'Espagne) avec "Planète Crime", le même concept se retrouvant plus loin teinté d'insolite dans les "Drôles d'affaires" d'Eric Yung. Dans "Histoires de bitume" est laissé libre cours à une verve tant littéraire que journalistique à La Cristaine, pseudonyme qui cache un capitaine de police que l'on suppose toujours en exercice; contrairement à l'ancien directeur de 36, Quai des Orfèvres, Claude Cancès qui raconte avec "4 Lieux, 4 Histoires" des petites tranches de son expérience. Deux pages statistiques, carte de France à l'appui, "Crime 2.0" qui s'intéresse aux sites internet (ici une mine d'information sur d'innombrables affaires crée par Philippe Zoummeroff, industriel à la retraite et collectionneur), une série de photos légendées, une mini-BD de Gabriel Germain et Eric Yung qui revient pour chroniquer quelques bouquins (pages sobrement intitulées "Polars") achèvent cette énumération que j'espère ne pas sembler trop laborieuse à lire.

J'ai appris que Crimes et châtiments avait bénéficié d'un accueil, public et critique, très encourageant. Pour ma part, je ne m'oppose pas à cette opinion partagée et, tout en ignorant l'impact de ce modeste blog, j'en recommande la lecture partielle ou totale (le n°1 devrait rester facilement disponible), c'est mieux, à tous ceux et celles qui souhaitent voir par de trou de la serrure le pendant réaliste à ce que propose l'imaginaire d'un support plus littéraire (Tiens, par association d'idées, je salue Ingrid Astier, en passant, et lui réitère mon soutien pour la suite de ses aventures.)

J'avais initialement prévu de consacrer un seul article pour les deux numéros, mais (outre la longueur déjà satisfaisante) ma lecture du premier, trop irrégulière, ne m'a pas permis d'aller beaucoup dans les détails. Je pense donc préparer pour le deuxième un brouillon que j'alimenterai au gré de mon avancée, pour fournir quelque chose de moins survolé. J'ai le n°2 à portée de main et je m'apprête à peine à le commencer que j'ai vent de la parution d'un hors-série (déjà?!?) pour l'été. Et cerise sur le gâteau, il figurera  au sommaire, entre autres réjouissances, cinq nouvelles originales. Vous savez à quoi vous attendre...

Crimes et châtiments, n°1 (Janvier 2012), 15€ (à moins que la hausse à 7% soit passée depuis), Editions Jacob-Duvernet. Revue créée par Luc Jacob-Duvernet et Franck Hériot. Illustrations: Piotr Krazynski, Roj, Simone Tabouret, Stéphane Berthier, Daniel Bastide, Alexandre d'Huy, Aurore Dupin, Leslie O'meara, Catherine Deux, Estéban.

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