Ce n'était pas la première fois que ce lieu avait été rasé. Avant que ne s'élèvent les tours, un lacis de ruelles animées parcourait cette partie de la ville. Robinson Street, Laurens Street, College Place: toutes avaient été détruites dans les années soixante pour laisser place aux bâtiments du World Trade Center et toutes étaient oubliées aujourd'hui. Disparu, aussi, le vieux Washington Market, les embarcadères industrieux, les poissonnières, l'enclave chrétienne établie ici à la fin du XIXe siècle. Syriens, Libanais et autres Levantins avaient été repoussés derrière la rivière, à Brooklyn, et s'étaient enracinés sur Atlantic Avenue ou Brooklyn Heights. Et avant? Quels sentiers indiens Lenape se cachaient sous les décombres? L'endroit était un palimpseste, comme l'était toute la ville, écrite, effacée, réécrite. Il y avait eu des communautés ici avant même que Colomb ne prenne la mer, avant que Jean de Verrazane n'ancre ses navires dans ces pertuis ou que le marchand d'esclaves portugais Esteban Gomez ne remonte l'Hudson; des êtres humains avaient vécu ici, construit des maisons et s'étaient querellés avec leurs voisins bien avant que les Hollandais ne voient une opportunité commerciale dans les somptueuses fourrures et le bois de l'île, ainsi que dans sa baie calme. Les générations se sont ruées à travers le chas d'une aiguille, et moi, un des individus de cette foule encore lisible, je suis entré dans le métro. Je voulais trouver le fil qui me reliait à mon propre rôle dans ces histoires.
Open City, Teju Cole, Denoël. Traduit de l'américain par Guillaume-Jean Milan.
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