"Rana Toad", ça se mange?

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samedi 29 avril 2017

  Le mythique hôtel Myrtle Bank, construit au milieu du XIXe siècle par l’Écossais James Gall, situé sur Harbour Street, près du front de mer à Kingston, joua un rôle majeur au regard de l'accueil et de l'hébergement des 300 000 visiteurs attendus pour l'exposition [internationale de Kingston en 1891]. A partir des années 1930, ce grand hôtel international et beaucoup d'autres commencèrent progressivement à employer des groupes de mento pour divertir leur clientèle composée majoritairement de riches Américains en vacances ou en séjours d'affaires. Pour ces Blancs fortunés, le mento symbolisait le folklore caribéen par excellence à l'instar des fruits exotiques, des jolies filles au teint bronzé et des cocktails faits à base de bon rhum local. Ainsi, de nombreux musiciens et chanteurs de mento quittèrent leur village pour venir tenter leur chance dans des hôtels de luxe (même si en réalité ces lieux ne les payaient guère).
  Sur le plan musical, cette migration du mento vers les villes touristiques entraîna quelques changements. Le style perdit de sa rusticité et se poliça davantage: les instruments conçus de manière artisanale furent remplacés par de véritables instruments; le piano, le saxophone, la contrebasse et la guitare électrique firent progressivement leur apparition aux dépens parfois d'instruments traditionnels tels que le banjo (ce qui donna à la musique une sonorité plus jazzy); les percussionnistes introduisirent une touche latine à leur jeu; l'anglais standard supplanta le patois local et certains chanteurs de mento essayèrent même de perdre leur accent local afin d'être plus audibles (ce qui ne manqua pas d'amuser l'auditoire) etc. Ainsi, un nouveau style de mento plus urbain et plus formaté émergea dont le but principal était de plaire au public blanc en quête d'exotisme. A noter que ce formatage ne toucha pas seulement la musique, mais aussi l'allure des artistes. En effet, les hôteliers qui recrutaient les groupes de mento étudiaient leur style vestimentaire dans le moindre détail et ce, afin de renforcer l'exotisme et le folklore tant recherchés par les visiteurs. Nul besoin de préciser que ce type de mento reflétait la mentalité paternaliste et coloniale de l'époque.

Vibrations Jamaïcaines - L'Histoire des musiques populaires jamaïcaines au XXe siècle, Jérémie Kroubo Dagnini, Camion Blanc.

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