"Rana Toad", ça se mange?

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mercredi 30 novembre 2016

  [...] Les Africains déportés ne purent évidemment pas emporter leurs instruments de musique sur les bateaux négriers. C'est donc de leur mémoire et de leur volonté de ne pas rompre avec leur héritage culturel qu'ils ressurgirent à la Jamaïque. L'île possédant des ressources naturelles similaires à celles que l'ont pourrait trouver sur le continent africain (de nombreuses variétés de bois par exemple), les marrons et les esclaves, ainsi que leurs descendances, ne rencontrèrent aucune difficulté matérielle pour reconstituer les djembés, congas et autres instruments de musique originaires d'Afrique. Pour conclure sur l'instrumentation, évoquons cet autre instrument qui joua un rôle tout aussi primordial dans la musique africaine: la voix. Sans nul doute l'un des plus anciens instruments de musique du monde, la voix revêtait une importance capitale dans les musiques d'Afrique du fait, notamment, que les sociétés africaines étaient essentiellement de tradition orale. La voix était et reste le médium le plus efficace pour véhiculer des émotions, des croyances, des idées, des messages, des histoires ou des rêves. En ce sens, nous pouvons souligner la pertinence des textes et l'importance du commentaire social dans les chants africains. Enfin, il est utile de noter que la voix est le seul instrument sur lequel l'esclavage n'eut quasiment aucune répercussion, contrairement aux tambours et autres instruments "palpables" qui, étant fabriqués à partir de la mémoire des esclaves, ressemblaient à leurs équivalents africains mais n'étaient pas complètement identiques.
  Un autre trait distinctif de la musique africaine était le rythme qui se caractérisait par une véritable polyphonie développée par l'utilisation de divers instruments (chacun d'entre eux possédant des vibrations et des sonorités particulières) et soutenue par les voix des chanteurs. De plus, les musiciens et chanteurs africains jouaient le plus souvent de manière instinctive et totalement libre, utilisant généralement l'éventail entier des notes et produisant une très large gamme de sons tout en changeant régulièrement de tonalité.
  Une troisième caractéristique était l'improvisation. Comme nous venons tout juste de l'expliquer, les musiciens africains jouaient complètement à l'instinct dans un contexte d'improvisation libre. Les chanteurs et musiciens improvisaient des mélodies traditionnelles, les adaptant en fonction de l'atmosphère et de l'ambiance générale. Cet art de l'improvisation se trouve d'ailleurs également au cœur de la danse africaine; nous pourrions même ajouter qu'il définit la danse africaine même. L'improvisation est sans doute l'un des critères de différence les plus notables entre la tradition musicale (cette expression englobe ici la musique et la danse) africaine et la tradition musicale européenne qui s'inscrit depuis des siècles dans une tradition académique/intellectuelle de l'enseignement/apprentissage de la musique via notamment les écoles et conservatoires de musique et l'utilisation de partitions musicales.

Vibrations Jamaïcaines - L'Histoire des musiques populaires jamaïcaines au XXe siècle, Jérémie Kroubo Dagnini, Camion Blanc.

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