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mardi 22 décembre 2015

Une Histoire populaire de l'Humanité: Existe-t-il des traits communs  à toutes les sociétés?

Raconter et expliquer toute l'histoire de l'Humanité en un récit intelligible, porteur de sens,est un véritable défi pour quiconque se lance dans ce type d'entreprise. L'homme s'y risquant devra, non seulement opérer des choix de développement de telle civilisation ou période au détriment de telles autres; mais aussi trouver un fil conducteur, une intrigue qui soutienne le récit et son argumentation. Intellectuel et militant communiste, Chris Harman nous propose ainsi une Histoire mondiale centrée sur les populations, et non plus sur les grands personnages.

Trois axes principaux peuvent être dégagés de cette analyse:
- le premier axe porte sur  le rapport des sociétés avec leur environnement, un thème encore  sous-exploité, mis à part pour quelques civilisations dites "exotiques", comme celle des amérindiens, ou des cités-états mésopotamiennes. Étudier ce rapport permet de comprendre la gestion des ressources, mais aussi les mythologies et les univers mentaux.
- le deuxième point d'analyse est sûrement le plus présent et le plus développé de l'ouvrage: l'explication des sociétés par le concept de la lutte des classes chère à François Guizot et Karl Marx. La lutte des classes, puisque nous devons la définir, est l'opposition des diverses forces économiques et sociales  coexistant dans une société donnée. L'analyse mériterait d'être plus poussée, étant donnée les nombreux écrits sur le sujet. Elle reste néanmoins le principal fil conducteur de cette étude.
- enfin, et c'est le grand attrait du livre, Chris Harman  replace l'histoire des sciences, techniques, idées, religions dans les espaces et contextes politiques, sociaux et économiques dans lesquels ils sont nés et se sont épanouis. Le "progrès", les "grandes découvertes", ce que nous identifions comme des avancées significatives ne viennent jamais d'esprits touchés par une grâce divine, comme nous avons encore trop souvent l'habitude de le croire, mais sont le fruit d'un rapport, positif ou négatif, entre les diverses forces d'un groupe ou d'une société.
L'ouvrage nous rappelle que l'histoire de l'Homme ne fut pas une simple ligne droite: chaque évènement, souverain, personnage, groupe social ou société s'est retrouvé devant plusieurs choix, plusieurs bifurcations, et que leur devenir aurait pu être différent. L'histoire est avant tout une succession de décisions, conscientes ou non, prises dans un contexte et un terrain social précis.

D'aucun reprocheront à Harman son approche marxiste, matérialiste, gauchiste (le mot étant ici utilisé dans son sens le plus péjoratif): en bref, une approche qui semble dépassée à l'heure de la mondialisation et du triomphe du libéralisme sans entraves.
Pourtant, Une histoire populaire de l'Humanité est plus qu'une énième synthèse historique: c'est un livre avant tout politique. Il nous questionne sur notre rapport aux dominants, au pouvoir, sur notre modèle économique et social, qui ne peut être critiqué efficacement que si nous sommes conscients de ses conditions de naissance, et des autres modèles qui ont pu exister (et existent toujours, en certains coins du globe). L'Histoire (et les sciences sociales en général), ses acteurs et ses évènements, sont autant de leçons qui doivent nous aider à la refondation de nos questionnements sur nos propres sociétés, et sur celles que nous souhaitons bâtir.

Chris Harman, Une histoire populaire de l'Humanité, Paris, Editions La Découverte, 2011, 29,50€/2015, 15€.

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