"Rana Toad", ça se mange?

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mercredi 7 octobre 2015

  Ma chambre ressemblait toujours à une tanière. C'est ici que j'avais grandi. Ici que j'avais, au sens le plus strict du terme, perdu mon innocence. Je veux dire que devenir grand représente une perte. On croit gagner quelque chose. En vérité, on se perd. Je portais le deuil de l'enfant que j'avais été jadis et que j'entendais, en de rares instants, cogner sauvagement dans mon cœur. A treize ans, c'est devenu trop tard, trop tard. A quatorze ans. A quinze ans. La puberté, un combat au terme duquel je m'étais perdu. Je haïssais mon visage dans le miroir, ce qui était en train d'éclore, de bourgeonner en lui. Les cicatrices que je porte à la main viennent toutes de la tentative de réparer cela. D'innombrables miroirs, brisés. Je ne voulais pas être un homme qui croit gagner. Je ne voulais pas grandir dans un costume. Ne pas être un père qui dit à son fils: On doit fonctionner. La voix de mon père. Mécanique. Lui fonctionnait. Quand je le regardais, je voyais un avenir dans lequel je perdrais la vie lentement, trop lentement. Rien ne fonctionne, avais-je répliqué. Et puis: Je ne peux plus. Cette dernière phrase était ma devise. La devise qui devint mon exergue.

La Cravate, Milena Michiko Flasar, Edition de l'Olivier. Traduit de l'allemand (Autriche) par Olivier Mannoni.

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