Il s'avéra que l'Afrique noire possédait des styles d'interprétation distinctifs, tout aussi formels que ceux d'Europe de l'Ouest. De plus, ces schémas expressifs représentaient et renforçaient clairement les structures fondamentales de la société africaine. Leur présence diffuse dans toute l'Afrique subsaharienne indiquait que, même transmises oralement et non verbalement, ces traditions culturelles étaient puissantes et stables à la fois. Une comparaison attentive montrait que les traditions noires africaines d'interprétation non verbale avaient survécu virtuellement intactes dans l'Amérique africaine et formé tous ses arts rythmiques distinctifs, tant dans la période coloniale que postcoloniale. C'est cette riche tradition africaine non écrite qui donnait sa puissance à la créativité que nous avions rencontrée dans les bas-fonds du delta du Mississippi. L'erreur des études afro-américaines avait consisté à chercher dans les écrits et dans le langage les preuves de survivances africaines. Par exemple, les musicologues avaient découvert que les Noirs américains interprétaient de nombreuses mélodies de types européen, mais sans s'apercevoir que tout le contexte interprétatif - phrasé, organisation rythmique, orchestration - restait essentiellement africain. Une telle érudition avait détourné les intellectuels et les écrivains noirs formés à l'université de l'héritage de leurs parents, qui avaient un patrimoine non écrit, non verbalisé, qualifié à tort d'"ignorance" par les gens éduqués. Néanmoins, et du fait même qu'on l'avait ignorée par préjugé culturel, la culture africaine s'était largement transmise en Amérique - c'est-à-dire, par des voies non verbalisées, orales et hors d'atteinte de la censure.
Le Pays où naquit le blues, Alan Lomax, Les Fondeurs de Briques. Traduit de l'américain par Jacques Vassal.
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