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lundi 23 septembre 2013

Rentrée Littéraire 2013 - 5ème Partie: Uniques (Dominique Paravel), Volt (Alan Heathcock) & Folles de Django (Alexis Salatko)

Avec cette cinquième partie, j'ai atteint mon objectif premier. Le mois de septembre n'étant même pas achevé et vu que je me suis donné jusque fin novembre (pourquoi pas continuer sur décembre? on verra...) pour chroniquer ma partie personnel de cette rentrée, la série continue pour au moins cinq parties de plus. 30 ouvrages sur 555, c'est déjà pas mal et si je peux en faire plus, je ne me gênerai pas. Le classement est toujours en fin d'article.


Uniques de Dominique Paravel:

Au rayon premier roman chez un petit éditeur, Uniques n'est pourtant pas la première publication de Dominique Paravel chez Serge Safran. Remarquées et primées, ses Nouvelles vénitiennes (2011) ont eu leur petit impact. Peut-être que vivre vingt ans à Venise vous aide à transcrire l'ambiance d'une ville si archétypale. Je ne peux pas parler davantage du recueil, becoz il me reste encore à le lire, mais je me rattrape avec ce premier roman.

Uniques a aussi en grande partie pour cadre une ville, une seule rue même. Nous sommes le 6 janvier, l'Epiphanie, à Lyon, là où l'auteur à vécu sa jeunesse (selon la bio en quatrième de couverture), dans la rue Pareille où se croisent plusieurs personnages qui ne se connaissent pas. Une petite foule dont on découvre les individualités, les préoccupations quotidiennes. Elisa qui survit avec une maigre retraite, Violette, fillette qui souffre de l'exclusion de ses camarades d'école, Jean-Albert le DRH ou encore Angèle, piégée dans son boulot de télé-opératrice. 

Dans la première partie (UN A UN) des trois dont est constitué le roman, nous les découvrons tous à travers des fragments de vie successifs mais qui se chevauchent dans la narration. Seule Susanna bénéficie d'un traitement différent: non seulement elle apparaît furtivement, telle une Hitchcock à son échelle d'artiste contemporaine, dans chacun des fragments évoqués plus haut, mais elle a aussi la deuxième partie (UNE) pour elle seule. On a son point de vue, par exemple au moment où Elisée, chauffeur de car pour touristes à l'étranger a une vue moins furtive que les autres personnages... On apprend que, dans le cadre d'une manifestation d'art contemporain organisée par Rodalpa, une entreprise historique de Lyon, l'oeuvre de Susanna n'est autre qu'un plan video de la rue Pareille retouché subtilement.

La troisième partie (MULTIPLES) reprend l'aspect fragmenté et raconte dans les grandes lignes, les origines de Rodalpa ainsi que celles des personnages, par de brefs coups d'oeil aux générations précédentes. Un entremêlement qui rejoint inexorablement le présent des deux premières parties.

Roman très contemporain dans sa construction et son contenu très social, on peut aussi y voir un effort de l'auteure de dissimuler inconsciemment une envie de continuer d'écrire des nouvelles. Ce n'est pas un reproche, c'est juste que tous ces personnages vivent chacun de son côté et auraient pu être le centre d'autant de nouvelles indépendantes. Mais elles sont brillamment reliées l'une à l'autre et si les subtilités qui ponctuent le tout vous échappent, Uniques mérite une relecture.

Volt (Titre original: Volt) de Alan Heatchcock:

Volt est ce qu'Uniques n'est pas ou aurait pu être: un recueil de nouvelles mettant en scène des personnages d'un même lieu mais n'étant pas liées dans l'objectif de faire un roman. Le regroupement de ces deux ouvrages dans cet article était décidé avant que je réalise ce qui les rapproche. C'est donc par pure coïncidence que j'ai pu écrire ces lignes d'introduction.

Je n'ai pas pu m'empêcher de caler un recueil de la collection "Terres d'Amérique" dans cette série consacrée à la Rentrée Littéraire. J'ai quelque retard sur les dernières publications récentes de cette collection:  La décapotable rouge de Louise Erdrich (qui date de la Rentrée Littéraire 2012!), Le Livre de la Vie  de Stuart Nadler et Seuls le ciel et la terre de Brian Leung sont trois bouquins qui sont en attente de lecture. Techniquement, Volt fait partie de la Rentrée Littéraire étrangère, même si on en parle moins que Transatlantique de Colum McCann ou Comme les amours Javier Marias. C'était donc le prétexte tout trouvé pour placer un ouvrage de la collection pour laquelle je ne cache pas un léger favoritisme.

Pour ceux à qui ça dit quelque chose, l'auteur du roman Le Diable tout le temps (même éditeur, même collection...), Donald Ray Pollock a rédigé une préface au recueil d'Alan Heathcock. Elle est un peu trop explicite à mon goût et j'ai bien eu raison de la lire après avoir lu toutes les nouvelles. J'aime en savoir le strict minimum avant de commencer un livre.

On pourrait comparer Volt à Winesburg, Ohio de Sherwood Anderson, même si ce dernier lie davantage ses nouvelles que ne le fait le premier. Nous sommes à Krafton, village imaginaire de l'Amérique profonde où les jeunes habitants s'amusent comme ils peuvent (détruire le centre-ville avec des boules de bowling, par exemple, dans "Fort Apache" ou en torturer un vieux pervers supposé dans "Permission") et où les fâcheux accidents arrivent d'un coup, sans qu'on les voit venir ("Fumée", "La Fille"). Les nouvelles se répondent ainsi les unes aux autres, Vernon aide son père ("Fumée") et Evelyn aide Miriam ("La Fille") à cacher l'irréparable.

Helen Farraley, personnage récurrent dans trois des huit nouvelles (dont deux en personnage principal), dissimule aussi le crime impardonnable de Robert Joakes dans "Gardienne de la paix", non pour qu'il échappe à la justice mais afin qu'il subisse la sienne à elle. "Gardienne de la paix" est d'ailleurs à mes yeux l'une des meilleures nouvelles du recueil. Sa construction, qui alterne deux temporalités différentes, décembre 2007 et Printemps 2008, lorsque le village est victime d'une biblique inondation, peut-être déstabilisante, mais sert justement à la dramaturgie.

"La Fille" mérite aussi que je m'y attarde un peu plus que les autres nouvelles. Miriam vient de perdre sa mère (on ne saura pas trop s'il s'agit d'une agression ou d'un accident de la route) et s'est cloîtrée chez elle avec sa fille Evelyn. Elles ont élaboré un labyrinthe dans leur champ de maïs et s'y amusent à retrouver leur jeunesse. Mais deux petits voisins turbulents ont aussi trouvé le labyrinthe propice comme terrain de jeux et la cohabitation forcée ne plait pas à Miriam.

On comprend bien l'attachement à Donald Ray Pollock pour Volt. On y retrouve le genre d'ambiance décrite dans Le Diable tout le temps (la démence en moins...), les mêmes préoccupations d'habitants confinés dans leur village, la religion, la famille, la fuite vers un ailleurs qu'ils craignent, paradoxalement. La violence imprègne les actes, les non dits empoisonnent l'atmosphère. Cela n'empêche pas l'évidente compassion de l'auteur envers ses personnages et la puissance de son écriture réussit à accrocher le lecteur. 

Folles de Django d'Alexis Salatko:

J'ai bien vu ce bouquin arriver en rayon, mais je n'avais pas vraiment prévu de le lire dans l'immédiat. Ce fut donc comme qui dirait impromptu. Etant un humble amateur de jazz, il m'est impossible de ne pas connaître la musique de Django Reinhardt. J'avais déjà entendu par ci par là quelques éléments biographiques ou autres anecdotes, mais je n'avais pas lu de biographie. Mais voilà le truc, ce n'est pas une autobiographie pure et dure. Oui, on a bien la vie de Django Reinhardt qui défile au long des pages, et tout est plus ou moins authentique (un romancier brode toujours dans une certaine mesure).

Tout au long du livre, un gros doute me turlupinait: le titre fait référence à deux femmes en particulier, Maggie et Jenny Kuipers, respectivement mère et fille. Sont-elles inventées par l'auteur et s'accorde-t-il quelques libertés sur la vie de Django? Ou ont-elle réellement existé? En cherchant superficiellement sur Internet, je n'ai rien trouvé de concluant. Il faut donc croire l'auteur sur parole, Maggie, Jenny et même Dinah, fille de Jenny ont bien joué un rôle dans la vie du guitariste tzigane.

Maggie Kuipers, veuve d'un aviateur mort au combat pendant la Première Guerre Mondiale, aurait été en quelque sorte le déclencheur de la carrière flamboyante de Django Reinhardt. Elle l'aurait découvert lors d'une ses nombreuses sorties avec des amis de feu son mari. Époustouflée par ce manouche de dix-huit ans au banjo, elle l'aurait convaincu de voir plus grand que les petits troquets dans lesquels il se produisait en compagnie de son frère Joseph. Une forte relation les aurait liés jusqu'à l'ultime sacrifice de Maggie, résistante tombée entre les mains pas très propres de Klaus Barbie.

Les mordus de Django n'apprendront peut-être pas grand-chose du roman d'Alexis Salatko. Son enfance dans le bidonville belge de Liberchies, l'accident qui lui coûta deux doigts, son introduction dans le milieu musical, les figures influentes qu'il a rencontrées (Maurice Alexander, Jack Hylton ou Jean Sablon), sa relation orageuse avec le violoniste Stéphane Grappelli, avec lequel il fondera le légendaire Quintette du Hot Club de France, sa traversée tranquille (en tout cas au début) de l'Occupation, sa retraite pendant laquelle il préférera sa canne à pêche à sa guitare, son bref retour et les deux versions différentes de son décès... tout ça doit leur est connu. Quant à ceux qui cherchent une biographie accompagnée de détails discographiques ou guitaristico-techniques, ils ne trouveront pas leurs bonheur.

Il faut donc prendre Folles de Django soit comme une introduction littéraire à sa musique soit comme une biographie légère qui relatent les grandes lignes et anecdotes parsemant le parcours d'un musicien unique. On y découvre une personnalité attachante, agitée par une liberté, au sens tzigane du terme, et par "ce mélange d'exubérance et de taciturnité" selon les mots de l'auteur. L'objectif avoué de ce dernier est de raconter une vie et de la faire swinguer avec les mots. Objectif atteint, c'est un régal.


-Uniques, Dominique Paravel, Serge Safran, 15€.
-Volt, Alan Heathcock, Albin Michel, coll. "Terres d'Amérique". Traduit de l'américain par Olivier Colette.
-Folles de Django, Alexis Salatko, Robert Laffont, 20€.

1ère Partie
2ème Partie
3ème Partie
4ème Partie
6ème Partie
7ème Partie
8ème Partie
9ème Partie
10ème Partie
11ème Partie

Classement provisoire:
15.Les Impostures du réel de Frédérick Tristan.
14.Les Disparus de Mapleton de Tom Perrotta.
13.L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas.
12.Intermède de Owen Martell.
11.Uniques de Dominique Paravel
10.Les Fuyants d'Arnaud Dudek.
9.Manuel El Negro de David Fauquemberg.
8.Courir sur la faille de Naomi Benaron.
7.En mer de Toine Heijmans.
6.Volt d'Alan Heathcock
5.La Saison de l'ombre de Léonora Miano.
4.Folles de Django d'Alexis Salatko
3.Le Premier vrai mensonge de Marina Mander.
2.La Cravate de Milena Michiko Flasar.
1.Un Monde beau, fou et cruel de Troy Blacklaws.

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