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dimanche 8 septembre 2013

Rentrée Littéraire 2013 - 4ème Partie: Les Impostures du réel (Frédérick Tristan), En mer (Toine Heijmans) & Un Monde beau, fou et cruel (Troy Blacklaws)

Un mois après avoir entamé cette série, je suis très content de voir que j'ai déjà rempli les 4/5èmes de l'objectif que je m'étais fixé pour trois mois. J'ai donc lu douze romans et j'ai eu le droit au pire comme au meilleur. Ce qui me donne une idée. Aussi dérisoire, futile et subjective que soit la démarche je vais établir mon classement personnel (voir en fin d'article). Sans aller jusqu'à mettre des notes, j'espère donner quelques idées de lecture aux deux ou trois ou quatre ou, allez soyons fous, dix personnes qui me lisent régulièrement ou pas.

Les Impostures du réel de Frédérick Tristan:

Je ne sais pas par où commencer la chronique de ce roman. Peut-être en vous disant que j'ai lu, il y a plusieurs années, Les Egarés, le titre qui a valu le Prix Goncourt à Frédérick Tristan en 1983, mais dont je n'ai gardé aucun souvenir particulier. Il me semblait l'avoir plutôt aimé. Je pourrais mettre également l'accent sur le bandeau proposé par l'éditeur, sur lequel on peut lire une éloge de Bernard Pivot.

Paul est un jeune homme dont la vie de famille a été mouvementée. Elevé par l'Adrienne, femme détestable et par un père forcé au mariage d'intérêt, il découvre ce monde adulte où règne intérêt et mesquineries. Manipulés par un escroc cultivé, tout ce petit monde baigne dans une mélasse juridique où ne compte que l'argent.

Paul tente de se détourner de tout ça en ayant des ambitions d'écrivain. Il rencontrera son destin à travers plusieurs visages: Phèdre, la perverse Nadia Ferenzi, Danielle à la psyché très fragile, Joseph Stekel, loufoque directeur de théâtre....

Le premier terme qui m'est venu à l'esprit dès les premières pages des Impostures du réel, c'est "classique". C'est très old school comme écriture. Être apprécié par Pivot et être auteur d'une oeuvre très prolifique, inspire le respect envers l'auteur. On imagine Frédérick Tristan chez lui à peaufiner ses romans comme seuls un écrivain archétypal en est capable. Je ne mets aucunement en doute la qualité de son écriture.

Mais ce livre ne m'a pas touché. Trop cérébral, il s'embourbe dans des considérations métaphysico-littéraires, une symbolique indigeste qui ne me parlent pas personnellement. Les personnages ne m'ont procuré aucune émotion. Stekel avait du potentiel de personnage secondaire à la Dickens, mais il est bien trop inexistant. Je suis allé jusqu'au bout, difficilement (à vrai dire, ce fut une torture), uniquement par honnêteté (si je dois mal en parler, autant l'avoir lu dans son intégralité). Mais je me demande, du coup si je ne vais vraiment continuer à respecter certaines prérogatives de cette série d'articles consacrés à la Rentrée Littéraire. Dois-je encore me farcir des romans que je n'ai pas envie de finir juste pour perdre encore mon temps à en dire du mal? Après Les Disparus de Mapleton, Le Voyage extraordinaire du fakir... (j'ai vu qu'il faisait couler beaucoup d'encre d'ailleurs), c'est donc le troisième ouvrage à ne pas bénéficier de ma modeste approbation. Il plaira certainement à son public.

En mer (Titre original: Op zee) de Toine Heijmans:

Il serait de mauvais esprit pour moi de faire la remarque sarcastique du choix de la couverture. Mais je vais la faire quand même, ne serait-ce que pour remplir un peu plus cet article de peur que les 150 pages du roman ne me donnent pas assez de matière. J'imagine la réunion chez Christian Bourgois: "Bon , avec un titre pareil, il faut forcément une photo ou une image de mer... voyons nous avons 158 954 possibilités." Combien de temps ont-ils délibéré avant de se dire: "Celle-là, c'est la bonne!"? Pour rattraper un peu cette crétine digression, je pourrais analyser que la photo est prise du bord signifiant que quelqu'un attend le retour de quelqu'un d'autre.

J'ironise, j'ironise, mais que raconte-t-il donc ce roman? Un huis-clos? Une traversée de Paris en métro? Non, un homme sur un bateau bien sûr! Suis-je bête! Donald est un employé d'une firme qui ne reconnaît pas ses qualités et son ancienneté. Il commence surtout à trouver son fonctionnement absurde et hypocrite. C'est pour cela qu'il décide de s'octroyer trois mois de congés sabbatiques pour partir en mer, à l'aventure, sans but précis.

Très attaché à transmettre son goût pour la liberté à sa fille Maria, il souhaite l'emmener avec elle. Après une discussion avec Hagar, sa femme, il obtient l'autorisation de celle-ci. Malgré la réprobation tacite de tout marin qui se respecte, il va prendre donc un énorme risque en trimbalant une fillette de sept ans en pleine mer.

Tout le début du roman, raconté à la première personne, Donald se persuade que tout va bien, qu'avec une organisation routinière, rien de grave ne peut arriver. L'orage qui menace n'est qu'un mauvais moment à passer et il faut juste renforcer les précautions de base. Sauf que... lors d'une visite nocturne pour voir sa fille, il ne la retrouve plus.

Arrivé aux quinze dernières pages, En mer passe à la troisième personne, avec le point de vue de Hagar, qui attend le retour de son mari après trois mois d'absence (vous voyez que mon analyse n'était pas sans fondement! Et l'auteur lui-même me donne raison dès la première phrase du chapitre 24, pages 140: "Hagar attend son mari, qui vient de la mer"). Ne pas se fier à la simplicité et à la longueur du roman, un auteur peut surprendre même avec seulement 150 pages. Bon d'accord c'est une grosse ficelle maintes fois employée, mais vous ne verrez pas vraiment la chose venir. Encore une bonne lecture pour cette rentrée et elle ne vous bouffera pas du temps inutilement comme les plus de 1000 pages du mégalo monsieur "Naissance".

(Mise à jour du 12 novembre 2013: En mer a obtenu le Prix Médicis étranger)

Un Monde beau, fou et cruel  (Titre original: Cruel Crazy Beautiful World) de Troy Blacklaws:

Le premier roman de Troy Blacklaws s'appelle Karoo Boy. Et je n'ai pas encore eu l'opportunité de le lire. Alors je me suis vengé sur le temps (qui en passant, l'enfoiré, ne m'a pas non plus permis de lire le deuxième, Oranges sanguines) en lisant le troisième roman de ce sud-Africain dont le titre est inspiré d'une chanson de Johnny Clegg & Savuka.

Jerusalem, vingt-quatre ans, est un coloured (terme péjoratif désignant les métis) poète, musicien dans l'âme et il aimerait faire autre chose que suivre son père dans ses combines trop terre à terre. Il passe ses journées sur le marché à vendre ces animaux en perles destinés aux touristes, mais il observe aussi autour de lui, cette Afrique du Sud post-Apartheid où "les choses peuvent devenir dangereuses", comme le répète Hunter, sa voisine de stand. Il se liera à plusieurs personnages dont Buyu, un jeune garçon vagabond et surtout la jolie Lotte.

De son côté, Jabulani Freedom Moyo, professeur zimbabwéen déchu pour avoir dit un mot de trop, se rend en Afrique du Sud, seul moyen de trouver l'argent qui nourrira désormais sa femme et ses deux enfants. Une échappée qui tournera en véritable cavale, puisqu'il sera poursuivi par ce Cowboy Fantôme, terrible albinos dont je vous laisse découvrir les crimes.

Deux personnages, donc, qui se partagent le mérite d'être appelés principaux. Mais tous ceux appelés secondaires le sont à tort puisqu'ils ont chacun leur puissance, chacun leur consistance. Même les marginaux, ce clochard avec sa chienne Moonfleet par exemple, sont un rouage du roman. Que dire de la bande de mercenaires vengeurs menée par Zero, le père de Jerusalem? Impossible d'oublier Phoenix, ce hors-la-loi atypique. Il y a également un personnage, ou plutôt une entité prépondérante dans ces pages: le règne animal. Chiens, mouettes, requins, crocodiles, moutons... un véritable bestiaire, où l'homme trouvera bien sa place, défile devant les yeux du lecteur.

Ce pays est imprégné de misère et de violence, mais Troy Blacklaws y insuffle une poésie sombre et inoubliable. Les quelques notes d'une bande originale où se côtoient Bob Marley, Chopin (mal joué par un prêtre pour son chien sourdingue) et Nina Simone ajoutent à ce ravissement.

Il y a des romans qui nous plonge dans l'ennui et qu'on ne finit pas assez vite (voir plus haut) et d'autres qui nous enchantent et que l'on ferme bien trop vite. Vous ai-je suffisamment donné d'indices pour vous dire dans laquelle des deux catégories se situe Un Monde beau, fou et cruel?

-Les Impostures du réel, Frédérick Tristan, Le Passeur, 22€.
-En mer, Toine Heijmans, Christian Bourgois, 15€. Traduit du néerlandais par Danielle Losman.
-Un Monde beau, fou et cruel, Troy Blacklaws, Flammarion, 19€. Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Pierre Guglielmina.

1ère Partie
2ème Partie
3ème Partie
5ème Partie
6ème Partie
7ème Partie
8ème Partie
9ème Partie
10ème Partie
11ème Partie

Classement provisoire:
12.Les Impostures du réel de Frédérick Tristan.
11.Les Disparus de Mapleton de Tom Perrotta.
10.L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas.
9.Intermède de Owen Martell.
8.Les Fuyants d'Arnaud Dudek.
7.Manuel El Negro de David Fauquemberg.
6.Courir sur la faille (Titre original: Running the Rift) de Naomi Benaron.
5.En mer de Toine Heijmans.
4.La Saison de l'ombre de Léonora Miano.
3.Le Premier vrai mensonge de Marina Mander.
2.La Cravate de Milena Michiko Flasar.
1.Un Monde beau, fou et cruel de Troy Blacklaws.

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