Alors que soit disant tout le monde parle d'un bouquin de cul de mes couilles à la con (belle allitération, pas très fine mais que voulez-vous, c'est dans l'air du temps), et que beaucoup se laisse laver le cerveau par une médiocrité pourtant évidente, de bonnes choses qui n'ont pas le droit au présentoir à l'entrée des librairies restent intouchées, en pile, sans qu'un client ne pense à les adopter. Elles ont beau gratter à la cage, on a beau faire des fiches coup de coeur... c'est triste. Le nombre de personnes qui préfèrent investir 17 euros pour un bouquin juste parce qu'il parle de cravache et, nous libraires, passionnés et tout ça tout ça, qui jouons le jeu parce que, hey, heureusement, ça remplit les caisses, réjouissons-nous, c'est un succès de librairie, youkaïdi youkaïda, à la pêche aux moules moules moules moules... Dois-je continuer à m'énerver? Pardonnez-moi, je me suis un peu emporté, les gens font ce qu'ils veulent ou plutôt ce que l'on leur dit de vouloir (voilà, ça c'est de la nuance...).
Bon j'embraye sur un roman qui, à l'instar de l'excellent Quelque part dans la nuit des chiens de Sandrine Bourguignon (éditions Sulliver), forme des piles un peu partout sans attirer l'attention. Mais je suis sûr qu'une libraire de Montpellier (salut Lorraine!) a hâte de lire mon avis sur Chapardeuse. Donc, sans plus attendre, without further ado, attendez j'ai une démangeaison dans le dos, ah en plus à un endroit inatteignable, arghh!!
Lucy Hull est bibliothécaire, section jeunesse, dans une bourgade du Missouri un poil perdue appelée Hannibal. Elle s'y est incrustée depuis quatre ans, alors qu'elle considérait ce poste temporaire, de peur de se transformer progressivement en une caricature (une running joke bien entretenue). Son célibat, elle le craint, est un premier symptôme. Oh merde, je suis en train de présenter le roman comme si c'était du Harlequin. Bon enchaîne, enchaîne, personne n'a rien vu.
Parmi les usagers les plus assidus, non en fait il n'y a pas plus assidu que lui, Ian Drake, 10 ans. Bouillonnant d'énergie et d'intelligence, c'est un gamin que Lucy prend beaucoup en affection. Le temps qu'il passe à la bibliothèque, elle le suspecte, est peut-être un moyen de fuir le contrôle totalitaire que ses parents fondamentalistes tentent de lui imposer. La visite de la mère Drake avec à la main une liste de ce que Ian n'a pas le droit d'emprunter ainsi que la découverte que dissimule un cadeau de lui en origami fini de la convaincre: ils veulent le façonner à une image précise qui va à l'encontre de sa personnalité. Ils vont même jusqu'à l'inscrire dans un programme puant proposé par un pasteur sensé rassurer les parents qui craignent que leur enfant soit gay. Un pasteur fortement soupçonné de pédophilie, en passant.
Lucy va voir son quotidien bouleversé un lundi matin, à l'ouverture de la bibliothèque. Elle découvre que Ian s'y est planqué pendant tout le week-end. Elle prend la décision de le ramener chez lui, comme une bonne petite citoyenne. Sauf que Ian lui donne de mauvaises indications et elle va finir, sur un coup de tête, par s'improviser des vacances sur la route, avec le gamin.
Oscillant entre la culpabilité et son désir de "sauver" Ian des griffes de ses parents bornés, Lucy va entretenir une succession de mensonges, rendre visite à ses parents, éconduire un potentiel prince charmant, tout cela dans une fuite en avant illusoire qui pourtant lui révélera quelques secrets inattendus.
Un des personnages les plus présents à son esprit, son père, qu'elle a toujours soupçonné de s'être inventé un passé en édulcorant le véritable, est à la source d'un malaise qui ne la quittera pas de tout le roman. Malaise qu'elle tente de chasser grâce aux jeux de Ian, des références à la littérature de jeunesse (Le Magicien d'Oz, Huckleberry Finn, pour les plus connus) et beaucoup d'autodérision. Tout s'imbrique en vous donnant l'impression d'une naïveté humoristique assumée, mais c'est un leurre de la part de Rebecca Makkai. Derrière cette fausse naïveté se cache d'authentiques thèmes profonds sur les origines et la nature de l'individu, de ses choix et de ses peurs.
Chapardeuse, Rebecca Makkai, Gallimard, coll. "Du Monde entier", 21€. Traduit de l'américain par Samuel Todd.
1 commentaire:
Je viens d'en terminer la lecture, et j'ai adoré ! Bibliothécaire moi-même, je l'avais d'abord acheté pour la bib, je l'ai emprunté pour le lire et j'ai tellement aimé que je vais vite filer chez le libraire pour l'ajouter à mes étagères ;)
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