Héctor Tobar a déjà fait une petite apparition dans ce blog. Vous ne vous souvenez pas? Allez, un petit effort! Faut dire qu'il n'était pas tout seul, seize autres auteurs partageaient l'affiche et la star de l'article c'était Los Angeles et son côté obscur proposé par Johnny Temple et Denise Hamilton. La nouvelle de Tobar, Lazare à Hollywood était frappante par son ironie et sa lucidité. On retire l'ironie et on garde la lucidité avec ce Printemps barbare.
On reste en Californie, dans le foyer Torres-Thompson. Scott Torres et Maureen Thompson ont deux garçons Brandon et Keenan et une petite fille, Samantha. Plutôt aisée, la famille vit sur les anciens succès de Scott en programmation informatique, mais plusieurs transactions ont mal tourné et la situation financière s'est dégradée au fil des ans. C'est pour ça qu'ils doivent faire des économies drastiques et virer deux domestiques sur trois et ne garder qu'Araceli Ramirez.
Cette dernière regrette le départ de ses collègues, le jardinier pour lequel elle en pinçait un poil et la nourrice avec qui elle pouvait partager ses confidences en toute complicité. Elle assiste d'autre part aux disputes de plus en plus fréquentes du couple. Ce jardin tropical par exemple qui dépérit depuis le départ de Pepe le jardinier, Maureen pense qu'il faut y remédier d'une façon ou d'une autre. Et voilà que les choses s'enveniment, une goutte fait déborder le vase.
Maureen et Scott s'évitent et partent chacun de leur côté pendant quelques jours en pensant que l'autre est resté à la maison. Restée seule avec des enfants qu'elle n'aime pas vraiment, Araceli s'occupe pourtant de Brandon et Keenan (Samantha est avec sa mère) et s'impatiente du retour de ses employeurs. Elle attend quatre jours, pendant lesquels les malentendus et les actes manqués s'accumulent, puis elle décide à contre-coeur d'emmener les deux enfants chez leur grand-père afin de se débarrasser de ce double poids qui ne figure pas vraiment dans ses attributions.
A leur retour, les parents paniquent dans leur maison vide et appellent la police. Et l'histoire prend alors des proportions absurdes et injustes envers Araceli qui se retrouve recherchée pour kidnapping. Tout le monde aura son mot à dire sur l'affaire et Héctor Tobar amène tous ces points de vue en les imbriquant sur le parcours d'Araceli et du couple Torres-Thompson. Chaque personnage secondaire apporte beaucoup plus qu'une simple apparition. Nous avons en effet une objective multitude d'opinions qui constituent un tableau dont aucun détail nous est occulté. Le lecteur comprendra presque toute la situation des immigrés mexicains acculés, méfiants, en proie au communautarisme et celle des Américains condescendants, paranoïaques et/ou racistes.
Et pourtant, même s'il est clairement du côté mexicain, peu de jugements tranchés et convenus de la part de l'auteur sur les Américains. Le couple Torres-Thompson n'est pas totalement antipathique, il fait juste des erreurs, il comprend que les choses sont allées trop loin pour la pauvre Araceli. Leurs principaux défauts sont des préjugés un peu trop ancrés et des petits mensonges pour ne pas perdre la face. Seule Janet Bryson, conservatrice chevronnée et activement anti-mexicaine, semble être le personnage le plus négatif de Printemps barbare. L'auteur en brosse tout de même un portrait loin d'un cliché anti-droite conservatrice primaire. Oui, elle est une ennemie, mais écoutons-là.
Araceli, dont les ambitions artistiques avortées sont le plus grand regret, se montre de son côté une personnalité forte, d'une attitude irréprochable pourtant teintée d'une rancoeur étouffée envers ses employeurs. Mais avant tout, elle touche le lecteur. Même s'il n'est pas mexicain.
J'ai deux réserves à émettre. Je n'irai pas d'une part jusqu'à corroborer les différents commentaires encenseurs figurant sur la jaquette, je trouve qu'ils en font des tonnes. Bon, c'est un peu logique pour l'éditeur de vendre son bouquin du mieux possible. D'autre part les nombreuses phrases espagnoles non traduites sont très irritantes pour quelqu'un qui a malheureusement fait allemand en deuxième langue (quoique mettez-en autant dans la langue de Jürgen Klinsmann (on a les références qu'on peut, hein) et j'en n'aurais pas pigé plus). On pourrait m'objecter que de trop nombreuses notes de bas de pages gêneraient le flot de la lecture ou que Tobar les laisse telles quelles en version originale (écrite en anglais) et que c'est un choix de traduction de ne pas s'en occuper. Mais je trouve quand même bizarre de laisser des choses, même si c'est du dialogue parfois sans impact sur l'intrigue, qui restent indéchiffrables pour les non hispanophones alors que le moindre personnage secondaire dévoile sa personnalité de façon très précise.
Malgré ces réserves totalement personnelles, je reste convaincu que Printemps barbare est une très bonne lecture qui reste préférable à ce que la majorité des auteurs français (merci, je ne vais pas retenter le diable, sans façons... bon d'accord je ferai des efforts) nous a pondu pour la rentrée littéraire prochaine. J'espère qu'on me détrompera.
Printemps barbare, Héctor Tobar, Belfond, 22,50€. Traduit de l'américain (inclus des morceaux d'espagnols non traduits) par Pierre Furlan.
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