"Rana Toad", ça se mange?

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mercredi 25 juillet 2012

L'Ivresse du kangourou de Kenneth Cook


Je ne m'en lasse pas. Probablement parce qu'Autrement (c'est le nom de la boîte d'édition pas ma manie d'utiliser trop d'adverbes) a décidé d'intercaler Le Vin de la colère divine entre La Vengeance du wombat et L'Ivresse du kangourou, histoire de varier. Rien ne vaut un petit détour par le Vietnam pour nous rappeler que Kenneth Cook n'est pas qu'un auteur comique. Enchaîner ses nouvelles comico-animalières trois années de suite aurait pu être une mauvaise opération (comme on dit au football) car elles sont répétitives et au bout d'un moment on voit les choses venir, mais, personnellement (là, oui, c'est moi qui utilise un adverbe superflu), je ne m'en lasse pas. 
Pour ceux qui ont oublié ou ceux qui ne les ont pas encore lues, je rappelle le schéma (avec quelques exceptions). Un narrateur ventripotent, souvent reporter ou aventurier du dimanche (Cook lui-même, paraît-il), qui ne sait par dire non quand on lui demande un coup de main ou qui profite d'une situation en ne se doutant pas qu'elle va déraper. Beaucoup de ces histoires contiennent un animal qui sera le centre de l'effet comique. Les exceptions? Des paris ou arnaques tenus dans un bar, par exemple. Ce troisième recueil semble d'ailleurs plus équilibré que les précédents, la faune australienne mouvementée laissant plus de place à ces "autres histoires du bush", toujours annoncées en sous-titre.

"C'est pas du jeu", est par exemple une sorte de chronique sportive loufoque où George Daniels relève le défi d'un joueur de cricket. Ce joueur célèbre participe à une exhibition ou les visiteurs tentent de le battre, auquel cas de l'argent est reversé à une association caritative. De fil en aiguille, on comprendra pourquoi le fameux George est un danger pour ce sport dont il se fout éperdument. 
Dans le même genre d'idée, le narrateur fera la connaissance de l'aborigène Joe (de son véritable prénom Jurendabillindrattului, "mais tout le monde l'appelle Joe") qui est capable de contrôler les pièces de monnaie, d'où le titre "Face je gagne, pile tu perds". L'utiliser pour se remplir les poches au jeu semble une bonne idée.
Une autre histoire de pari dans "Le Cavalier" avec Harry qui a la réputation de ne jamais avoir été désarçonné. Jusqu'à ce qu'un certain Tom lui lance le défi de monter trois chevaux. Probablement la nouvelle la plus faible. Ce qui n'est pas le cas de "Tu connais celle du...?", dont la chute clôture en beauté le recueil. Pilier de bar, Elbows Jones est un champion de bras de fer bien particulier qui aime raconter des blagues pourries à chaque victoire. C'est ce goût pour celles-ci qui le perdra.

On pourrait recenser une troisième catégorie bâtarde où Kenneth Cook s'amuse toujours à mener la vie dure à ses personnage, avec un sens de la dérision qui frôle avec le sadisme (pour sa part d'écrivain) et le masochisme (puisque ces narrateurs semblent être autant d'autres lui-mêmes). 
"Méfiez-vous des bénévoles" est une succession de mini-catastrophes lors d'une navigation sur un bateau en plus très bon état. Le ressort comique est surtout du aux compagnons de virée du narrateur qui ne font qu'empirer les problèmes ou qui chipote sur les procédures légales au lieu de réfléchir à des solutions. Cette nouvelle rappelle un peu le roman Par-dessus bord  que Kenneth Cook a écrit quelques 30 ans plus tôt, bien qu'il soit moins un peu plus dramatique. L'anti héros y tentait sa chance de prospérer grâce à la pêche. L'entrepreneur bien plus amusant de "La Roue de la fortune", Terry trouve original d'ouvrir un restaurant, non sans demander une aide financière au narrateur, pourtant bien avisé, où les gens peuvent manger sur une plaque tournante. Encore faut-il que tout soit bien réglé.
"Comment ne pas voler une voiture" donne un rôle non négligeable à un chien dans l'enchaînement vers la catastrophe. Celui-ci est persuadé qu'on lui a volé son Land Cruiser rose et jaune avec des marguerites violettes. Mais il est si tête-en-l'air! La cause de désagréments est de nouveau un chien dans "Bonnes actions et discipline". Le narrateur veut rendre service à une amie en promenant Krishna sur la plage sous la condition qu'il ne le lâche pas, car il adore nager. Bien sûr, ça ne rate pas et une troupe d'apprentis sauveteurs menée par un abruti vont en remettre une couche.

Et bien sûr, L'Ivresse du kangourou ne ferait pas partie de la trilogie comico-animalière si il ne contenait pas cette marque de fabrique, ces rencontres avec le monde animal de l'outback australien. 
"Des souris et des taupes" est cependant un cas particulier puisqu'elle nous emmène dans un passé aborigène mais toujours dans l'esprit de Kenneth Cook. Perdus aux environ du lac Eyre, les touristes croisent très souvent Bill, un vieil aborigène qui précédera toujours son aide avec une histoire familiale de son cru, en l'occurrence une rivalité entre tribus. Une petite particularité: Bill est très expressif... des doigts de pieds.
La nouvelle éponyme prend la forme d'un souvenir d'enfance. Le voisin Benny a domestiqué Les, un kangourou. Le marsupial pose déjà quelques petits soucis pas très méchants du à son caractère fugueur. Mais cela prend des proportions autres quand il se découvre un goût soudain pour la bière. Encore un à qui sera donné du fil à retordre, c'est le narrateur dans "La Ruse du rat" qui, pris dans un blizzard, se planque dans un refuge. Il organise ses provisions pour quelques jours tout en se résignant car il n'a rien pour se distraire. Il ne comptait pas sur l'apparition d'un rat.
Dans "Tempête de lézards à colerettes" nous est présenté Alex Robinson, non pas dessinateur, mais pilote d'avion qui a la phobie de toutes les bestioles que porte la terre. Surtout les reptiles. Une recherche d'or infructueuse décide le narrateur de s'envoler avec Alex pour rentrer à Perth. Les accompagnent une japonaise distinguée et un homme louche avec une mallette qui pourrait contenir, je sais pas, du fric ou de la drogue...
C'est dans un but scientifique que le narrateur est embringué dans une chasse burlesque à l'oeuf d'autruche dans "Renoncez à aimer les autruches". Classique mais toujours efficace.
"Un  truc bizarre" est une hilarante histoire (la meilleure à mes yeux) de chercheur d'or à la Mark Twain. Un écrivain qui part à l'aventure et qui croise les chemins de deux rivaux: un molosse et un énorme chat noir. Tout lui semble gérable jusqu'à ce qu'il tombe sur un tableau qu'il ne pourra s'expliquer. Et personne d'autre d'ailleurs. Une fausse escapade dans le fantastique M. Cook?

Me voilà donc à jour dans les parutions posthumes traduites en français de Kenneth Cook. Je ne doute pas qu'Henry Dougier et Emmanuel Dazin (co-directeurs de la collection "Littératures" d'Autrement) ont déjà en tête l'édition d'un de ses ouvrages pour le premier trimestre 2013. J'ai bien évidemment jeté un coup d'oeil sur la bibliographie de l'auteur, mais je n'ai aucune idée du contenu des écrits qu'il reste à publier. Les courts romans qui nous été donnés de lire ont un ton plus nuancé que la trilogie de nouvelles. Plus dramatiques, plus sérieux on y sent quoiqu'il en soit l'envie qu'avait Cook de raconter des histoires concises et maîtrisées, tout en y injectant une certaine dose d'ironie. Je serait présent au prochain rendez-vous.

L'Ivresse du kangourou, Autrement, 17€ (et quelques poussières, hausse de la TVA à 7% oblige, qui risque, tant mieux de rebaisser). Traduit de l'anglais (Australie) par Mireille Vignol.

2 commentaires:

dasola a dit…

Bonjour, moi aussi je suis fan de Kenneth Cook que j'ai découvert grâce à un collègue et le Koala Tueur. L'ivresse du Kangourou est un bon cru et j'apprécie aussi les romans: Cinq matins de trop et A coups redoublés (les deux que j'ai lus). Qu'est ce que cela fait du bien de rire. Bonne fin d'après-midi.

Anonyme a dit…

Chez "J'ai lu", en Poche, c'est 6 euros. ;)