C'est donc à Benjamin Percy qu'est consacré mon premier tir groupé recueil de nouvelles/roman publié par Albin Michel dans sa collection "Terres d'Amérique". Je tiens à renouveler la démarche de façon régulière et la matière déjà proposée par Francis Geffard me permet d'avoir déjà les trois suivants en tête, plus des romans isolés. Si j'arrive à les faire en moins d'un an, je serai plus que satisfait.
Lire, du même auteur, un recueil de nouvelles et un premier (je me trompe peut-être là-dessus) roman me parait être une bonne façon d'appréhender ses thèmes de prédilection. Sous la bannière étoilée (Refresh, Refresh, 2008) est constitué de 10 nouvelles avec pour cadre exclusif l'Oregon, état natal de l'auteur.
La nouvelle éponyme raconte le quotidien de deux adolescents à Tumalo, patelin dont l’installation d’une base de marines réservistes emploie une bonne partie des pères de famille du coin. Alors qu'ils sont envoyés en Irak, un jeune officier de recrutement grande gueule traverse les rues du patelin en Vespa pour, entre autres choses, annoncer de bien mauvaises nouvelles. Le narrateur et son ami Gordon s’occupent entre boxe, virées en motos et partie de chasse.
Un couple s’est acheté une maison construite contre l’ouverture d’une grotte. L’occasion pour eux de nombreuses descentes exploratrices mais aussi d’inconvénients domestiques. Becca (sa descritpion du début ne vous rappelle pas quelqu'un?) a fait une fausse couche, et à sa froideur envers Kevin s'ajoute une animosité envers la maison.
Dans "Liens de sang" Jim héberge son petit-fils Cody. La mère s'est acoquiné avec Dwayne, encore une de ces pourritures violentes dont elle a la fâcheuse manie de tomber amoureux. Après une dispute à laquelle il a assisté par téléphone, Jim demande à sa fille de venir chez lui. Archétype du père bourru, proche de la nature mais chasseur endurci, Jim est du genre à écouter ses émotions plus que sa raison.
Percy fait dans l'anticipation avec "Fusion". Un test dans la centrale nucléaire de Trojan tourne mal et provoque une catastrophe. Cinq ans après (2015), Darren Townsend (fils de Rick Townsend, le responsable de l'explosion), muni d'une combinaison et d'un compteur Geiger retourne dans ce qui a été appelé la Dead Zone. Dans une ambiance à la Mad Max, il fera la rencontre d'une petite fille et croisera un Los Angeles, un gang hyper violent.
"Murmure" commence avec la mort de Jacob suite à une chute d'un arbre. On fait un peu plus connaissance de son frère Gérald, qui lui en a toujours voulu d'avoir eu une vie qu'il n'a pas eue (Jacob est professeur, Gérald s'occupe de ses vaches). Gertie, la femme de Jacob est paralysée et n'est capable de prononcer que le mot "cookie". Ce qui n'empêche pas Gérald de la désirer autant qu'il l'a fait toutes ces années. Gérald est un de ces personnages pathétiques que l'on hésite à plaindre ou à mépriser.
Dans "Une pièce sans fenêtres", John, surmené et sujet à de mauvaises habitudes alimentaires, part en vacances avec sa femme Linda. Malgré l'annonce d'une tempête et les doutes de Linda, ils partent quand même. Sur leur trajet ils rencontreront un routier et un jeune routard trop confiant. Ils se retrouvent tous enfermés dans une station service, piégés par la tempête. Ce besoin d'ailleurs, d'échapper de ces pièces sans fenêtre que sont son travail et ce qu'est devenu sa vie amène John à braver une nature qu'il sait implacable.
David, l'employé au service des eaux de "Quelqu'un va devoir payer pour ça" est chargé de purger les bornes à incendie. Quand son supérieur, Joe lui annonce qu'il va lui octroyer un collègue, David s'étonne car son boulot ne nécessite qu'une seule personne. Mais ce superflu au nom de Stephen Franklin, de retour d'Irak va lui passer le goût de la solitude et une amitié va se développer.
La femme du narrateur meurt dans un accident de voiture (d'où le titre, "Crash"), le laissant seul avec leur fille Hannah. Un récit désespéré et désabusé d'un homme détruit par la perte. Hannah marque par sa façon de vivre son deuil, mais elle reste ce qui le retient avant tout de mettre en pratique ses idées noires.
C'est "Quand l'ours est venu" qui clôture Sous la bannière étoilée. Suite à l'agression de deux jeunes filles par un ours, Tumalo est en effervescence, tant la population que les journalistes. Le narrateur se lance dans une quête personnelle et va s'employé à retrouver l'ours. Le dernier paragraphe contient à mes yeux les meilleures lignes de tout le recueil.
Passons maintenant au roman. Le Canyon (The Wilding, 2010) se déroule, surprise, surprise en Oregon, toujours dans le même coin que les nouvelles ci-dessus.
Le couple de Justin et Karen présente dès le début ses fissures, irréversibles malgré la présence de leur fils Graham. Le père de Justin, Paul est tout aussi important. Ces deux-là n'entretiennent pas non plus une relation des plus chaleureuse. Paul dirige une entreprise de construction, métier physique qui correspond à son tempérament rude et bourru. Il aurait préféré que son fils soit autre chose que professeur, un métier moins intellectuel, moins chochotte pourrait-on dire.
C'est à lui qu'incombe la charge d'aménager le canyon dont il est question en gigantesque complexe pour riches, casino et golf compris. Projet qui semble déclencher des inimitiés entre les riverains, que ce soit la communauté indienne ou les chasseurs et autres amoureux de la nature. Mais le promoteur richissime et puant de prétention qu'est Bobby Fremont ne semble pas plus s'en inquiéter.
Paul et Justin, avant la disparition de l'espace sauvage (traduction plus littérale du titre original), souhaitent y passer pour la dernière fois quelques jours, comme ils en avaient l'habitude dans le bon vieux temps. Cette fois-ci, ils emmenent Graham avec eux. Enfant introverti, Graham semble avoir pour vocation de devenir un programmeur et se passionne pour la revue National Geographic. Autant dire un futur geek en puissance, ce qui ne plait pas à son grand-père qui s'evertue plutôt à lui apprendre à jouer au bowling ou à l'initier aux plaisirs de la chasse. Et quoi de plus opportun que cette virée au canyon pour en faire quelqu'un de plus viril? Et ce n'est pas la rumeur bien fondée de la présence d'un ours dangereux dans les parages ou un pompiste forcené qui vont les faire changer d'avis.
De son côté, Karen est restée seule. Une bonne opportunité pour cette enflure de Bobby Freemont de la poursuivre de ses assiduités. Sans oublier que Brian, gérant d'une serrurerie, revenu d'Irak et un peu instable sur les bords (comment appelez-vous un gars qui court dans la forêt déguisé en Bigfoot?), a eu le coup de foudre pour Karen le jour où elle s'est retrouvée enfermée dehors. Vous vous doutez bien qu'un double de ses clés est vite fait et que la traque en est plutôt facilitée.
Un roman plein de tensions, donc. A un niveau autre que purement narratif, on peut déceler au moins deux thèmes prédominants déjà évidents dans les nouvelles de Sous la bannière étoilée. Tout d'abord, ce renouvellement de la violence universelle dont je parlais déjà à propos de Dans le terrier du lapin blanc de Villalobos (Actes Sud). Que ce soit par le biais d'une figure paternelle ou par un instinct de défense, les faibles sont forcés de prendre le pli. Il est difficile d'y échapper, chaque génération ayant sa guerre traumatisante ou à une échelle réduite, ses rapports de force quotidiens entre dominants et dominés.
Le second thème qui saute aux yeux est la sempiternelle opposition culture/nature, civilisation/état sauvage. Elle se manifeste dans la relation Paul/Justin (ouvrier/professeur), dans l'inévitable (puisque décidée par les plus puissants) transformation du paysage et aussi à un niveau domestique: ces hibous qui tombent dans la cheminée, punition pour avoir voulu se réchauffer puis s'être endormi par la chaleur, ne font-ils pas écho aux chauve-souris qui envahissent le foyer ("Les Grottes")? L'affolement que ressentent ces animaux sauvages dans ces espaces fermés s'inverse quand les trois générations du Canyon se trouvent sur le territoire de l'ours.
Les points communs entre les nouvelles et le roman ne se situent pas seulement à un niveau thématique. En effet on retrouve éclatés tout au long de Sous la bannière étoilée beaucoup d'éléments qui vont se retrouver dans Le Canyon: le mythe de Bigfoot à travers le déguisement de Gordon et de Brian, la fausse couche de Becca et de Karen (sous une autre forme avec Linda), le grand-père qui veut éduquer son petit fils (Jim/Cody, Paul/Graham), Brian et David ("Quelqu'un va devoir payer pour ça") partagent certains traits de caractère, l'agression des jeunes filles par un ours, j'en oublie peut-être d'autres.
L'exemple le plus parlant se trouve être la nouvelle “Les Bois”. Vous aurez remarqué son absence plus haut. Je ne l'avais pas oubliée, mais volontairement mise de côté, car c'est un cas particulier. En effet, nous avons en vingt pages, je ne vais pas dire le brouillon du
Canyon, mais un flagrant premier jet que l’auteur a développé ensuite
dans une fiction plus longue. Un père et son fils qui partent passer un moment
entre hommes avec un chien. J’ai fini Le Canyon juste avant de lire le recueil et j’ai compris la nature de cette dernière alors que les ressemblances
avec le roman se multipliaient (c’est à peu de choses près du copié/collé!). Je
ne vais pas en faire la liste, c’est inutile. Idem quant aux quelques
différences (la principale étant qu’il n’y a pas de petit-fils). Une comparaison
poussée serait plus pertinente pour un cours de creative writing ou autre
effort universitaire. D’ailleurs, petite question à M. Geffard, “Les bois” et Le Canyon ne partageraient-ils pas, traduit différemment, le même titre original (The Wilding)?
Je pense que si j'avais lu le roman après les nouvelles, j'aurais été plus gêné par cette presque redite. Je n'ai pas spécialement choisi de lire le roman avant les nouvelles, mais la perspective s'en est retrouvée plus intéressante. Ceci dit je ne reprocherai pas à l’auteur de se recycler.
Cette réécriture est totalement acceptable si on la considère comme une
progression, une volonté de consolider un parcours personnel. Benjamin Percy
pourrait toutefois se poursuivre lui-même en justice pour plagiat.
Ces deux ouvrages ne constituent pas l'ensemble de ce que l'auteur a publié. Il reste une pièce au puzzle, un recueil de nouvelles qui précède Refresh, Refresh intitulé The Language of Elk (2006). Sa lecture dans un futur indéfini pourrait compléter l'image que je me suis faite de la plume de Benjamin Percy. Peut-être est-il en prévision dans la collection "Terres d'Amérique"?
Sous la bannière étoilée/Le Canyon, Benjamin Percy, Albin Michel, coll. "Terres d'Amérique", 20,30€/21,20€. Traduction de l'américain par Renaud Morin.
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