Pete Dexter ne donne d'habitude pas forcément dans le pavé. Ses romans sont plus noirs et courts que longs et comiques. Je n'ai lu que Paperboy et je ne me souviens pas d'avoir beaucoup souri ou de l'avoir comparé à du John Irving et par extension à du Charles Dickens. Spooner répond, à mes yeux, à ces deux critères, la force comique et la comparaison. Autant vous dire que j'ai beaucoup de plaisir à le lire. Et c'est redondant. Le simple fait qu'il soit présenté sur ce blog en atteste déjà.
Dans la grande tradition, le roman débute avec la naissance de Warren Whitlowe Spooner. Sans père, ni frère, son jumeau ayant échoué aux examens préliminaires à l'entrée de ce monde. Une grande soeur brillante, envers laquelle, il ne développera pourtant pas de complexe d'infériorité, une mère taciturne et une grand-mère insupportable, sont déjà un point de départ contrariant à la suite de son existence. Son enfance, il la passera, entre autres crimes, à pisser dans les chaussures de ses voisins, carrière qui restera impunie.
Calmer Ottoson entre très vite en scène pour remplacer le père de Spooner. Le personnage du beau-père est souvent représenté de manière négative. C'est tout le contraire ici. Calmer est une crème avec Spooner et sa soeur. C'est d'ailleurs autour de la relation entre Calmer et Spooner que tourne tout le roman. Une relation où l'affection n'est jamais manifeste, mais toute en pudeur, où l'un comme l'autre sait les sentiments de l'autre sans en demander confirmation. La figure paternelle de Calmer sera bien plus précise que tout autre: rendez-vous compte à quel point les autres membres de la famille Spooner sont seulement esquissés, suffisamment présents mais trop à distance vis-à-vis du lecteur.
Le parcours de Spooner est bien chaotique. Mais Spooner est-il victime des circonstances ou en est-il personnellement responsable? Je ne pose pas la question pour introduire un débat philosophique, bien que la notion de destinée soit au centre de bien de romans américains. Tout d'abord pressenti comme un joueur de baseball exceptionnel, il finira journaliste à la carrière bancale, puis écrivain dont le succès n'est pas explicitement évident. Une auto-référence à Deadwood plantera la graine dans les esprits de ceux qui comme moi ignorait la véritable nature de Spooner le roman et Spooner, le personnage.
Et oui, je n'ai vraiment su qu'il s'agissait d'une autobiographie qu'à la toute fin, moi qui m'amusait de ce tragi-comique comme l'on s'amuse de situations et de personnages imaginaires. Du coup, cette dimension personnelle et touchante m'a éclaté au visage à rebours, donnant à Spooner toute sa raison d'être, autre qu'un excellent divertissement. Bien évidemment, seul Pete Dexter sait à quel point toutes les situations cocasses ou les personnages du roman ont une base dans le réel et quel est la part d'imagination. On peut clairement comparer Spooner avec David Copperfield ou Le Monde selon Garp. Qui oserait nier, par exemple, que l'entraîneur Tinker ou Stanley Faint ont de faux airs dickensiens?
Pete Dexter signe donc une oeuvre personnelle toute en finesse. Il se raconte avec la distance nécessaire pour que le lecteur se laisse instinctivement bercé par l'ambiguïté qui se joue toujours entre le réel et l'imaginaire. Entre les deux extrêmes du rire et des larmes, Spooner possède ce charme nuancé mais puissant qui ne laisse pas de place à l'oubli, l'écueil des écrits médiocre.
Spooner, Pete Dexter, Seuil, coll. "Points", 8,30€. Traduit de l'américain par Olivier Deparis.
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