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dimanche 11 mars 2012

Tout piller, tout brûler de Wells Tower

Je pense vous avoir déjà parlé de la collection "Terres d'Amérique" d'Albin Michel. Sa principale spécialité est évidente, mais celle que l'on ne voit pas forcément dans l'intitulé, c'est que son vaste catalogue contient énomément de recueils de nouvelles, et elle gagne avec moi un client sûr. J'ai découvert de très bonnes choses grâce à elle. Brady Udall, Richard Lange et Craig Davidson en sont de très bons exemples mais malheureusement les seuls.

C'est pourquoi, désormais que j'en ai la possibilité et surtout l'envie, j'ai décidé d'amorcer dans ce blog une série de chroniques (romans et nouvelles) de parutions récentes et moins récentes de cette collection. Autant vous dire que vous allez en bouffer du "Terres d'Amérique"! Publié initialement en 2009, Everything Ravaged, Everything Burned, me semble être le seul ouvrage de Wells Tower pour l'instant.

La mort du père de Bob Munroe ("La côte de brun") déclenche sa petite déchéance dans un engrenage de petits incidents. Sur un chantier, il construira par exemple un escalier de travers. Il trébuche et dégringole donc dans celui de sa vie: il a perdu son job et sa femme l'a chassé du foyer conjugal à cause de son infidélité. Il se retrouve dans une résidence secondaire sur une petite île, aimablement prêtée par son oncle Randall. Il sympathise très vite avec ses voisins et il remplit l'aquarium de Randall d'une bizarre faune aquatique.

Quand Matthew appelle son petit frère Stephen ("Un lien fraternel") pour que celui-ci passe quelques jours chez lui malgré l'éloignement, les choses tournent comme prévu: taquineries du grand frère et petites engueulades. Mais l'affaire que veut lancer Matthew, la décoration de sa maison et une partie de chasse à l'orignal constitueront pour Stephen, l'associal, quelques occupations qui le sortiront de sa routine.

Burt et sa belle-mère Lucy tentent dans "Exécutants d'énergies importantes", de se débrouiller avec Roger, le père, qui perd la boule. Au jardin public de Washington Square, Roger a perdu plusieurs fois aux échecs, sur pari, et Dwayne, le gagnant, ou plutôt l'arnaqueur, exige le réglement de la dette. Elle sera payée au restaurant, non sans quelques scènes embarassantes pour Burt.

Jane a quitté Ed pour Barry, son professeur de méditation ("En bas dans la vallée") en emmenant Marie, leur fille. Elle appelle un jour Ed pour lui demander un service: Barry s'est blessé et lui demande de la ramener chez lui, avec Marie. L'occasion de faire un peu connaissance, mais le chemin réserve quelques surprises.

"Léopard" est narrée à la deuxième personne, ce qui oblige le lecteur à s'identifier à Yancy, un jeune garçon qui ne s'entend pas très bien avec son beau-père. Alors que ce dernier l'envoie chercher le courrier, ce qui suppose un bon quart d'heure de marche vu l'isolement de leur maison, Yancy décide de simuler un malaise pour faire culpabiliser son bourreau. Accessoirement, la boîte aux lettres contient une affiche annonçant qu'un léopard pourrait traîner dans le coin.

Venu vivre avec sa fille, le vieil homme narrateur d'"Une porte dans l'oeil" remarque les nombreuses allées venues exclusivement masculines à la porte d'une voisine. Il aura l'opportunité de trouver un prétexte pour aller voir lui-même ce qui s'y passe.

Jacey, l'adolescente d'"Amérique sauvage", s'offusque que son amie Maya ait une relation amoureuse avec un homme de trente-cinq ans. Au cours d'une rendez-vous avec un certain Buttons le Nabot, arrangé par Maya, mais aussi en sa compagnie, les deux amies se disputent et Jacey va faire naïvement connaissance avec un inconnu. L'humiliation qui s'en suit ne la tuera pas, contrairement à ce qui aurait pu lui arriver autrement.

"A la fête foraine", Henry Lemmons, sept ans se dispute avec le fils du rencard de son père Jim. Il s'éloigne de la foule et le pire se produit: un forain non identifié s'enferme avec lui aux toilettes. Les soupçons du lecteur seront habilement aiguillés d'un personnage à un autre. Une horreur racontée presque avec nonchalance.

La nouvelle éponyme m'a pris dans un total contrepied. C'est plutôt destabilisant de lire huit nouvelles se déroulant aux Etats-Unis, de nos jours, avec des personnages très proches de nous, pour se retrouver d'un coup au temps des vikings lors d'une campagne d'invasion. Pour ne rien arranger, elle est plutôt pâle et moins maîtrisée que les autres, à mes yeux.

A la lecture des premières nouvelles de Tout piller, tout brûler, je partais avec en tête Lâchons les chiens de Brady Udall et toute comparaison donne ce dernier forcément vainqueur. Mais le recueil de Wells Tower, si on le juge sans a priori, révèle ses propres subtilités (même si celles de la nouvelle éponymes m'ont échappé). Les emmerdes, des plus triviales aux plus dramatiques, sont racontées avec cet humour pince-sans-rire ou cette distance résignée que les personnages finissent ou finiront, selon leur âge, par adopter. Car c'est probablement la seule chose qui reste à faire dans un quotidien effleuré, parfois frappé par le funeste.

Un semblant de programme dans l'exploration des "Terres d'Amérique"? Oui, bien sûr. Très bientôt, Le Retour de Silas Jones de Tom Franklin devrait suivre. Je pense faire un tir groupé consacré à Benjamin Percy avec le recueil Sous la bannière étoilée et le roman Le Canyon (chose qui sera répétée dans un avenir indéfini avec Eric Puchner, à savoir La Musique des autres/Famille modèle). Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock est aussi prévu.

Tout piller, tout brûler, Wells Tower, Albin Michel, coll. "Terres d'Amérique" dirigée par Francis Geffard, 20€. Traduit de l'américain par Michel Lederer.

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