Bacon, donc. Lukastik voyait une provocation dans la réticence des gens cultivés à donner à leurs animaux domestiques les diminutifs habituels pour leur préférer le nom de personnalités connues.
-Quel Bacon? demanda Lukastic.
-Bacon, le chien, répondit la doctoresse.
-Je voulais dire...
-Vous demandez sans doute à quel Bacon je pensais en baptisant de la sorte ce petit monstre. Eh bien, je pensais à Francis Bacon. Le philosophe, pas le peintre. Et comme ces deux clebs s'entendent à merveille, l'autre s'appelle Burton. D'après Robert Burton, également philosophe et contemporain de Bacon.
-Je sais qui est Robert Burton, déclara Lukastik d'un air vexé.
Il ne supportait pas qu'on le crût inculte. Il souligna donc qu'il comprenait mal pourquoi un imbécile de doberman avait reçu le nom de l'auteur de L'Anatomie de la mélancolie.
-Vous ne connaissez pas ce chien, dit la femme. Il a coutume de se complaire dans des accès de mélancolie. A l'inverse de notre terrier nain Bacon. Lui, c'est un joyeux colérique. Il se complètent. Mais vous avez raison de désapprouver ces noms. J'étais un peu désemparée au moment de me décider. L'absurdité consiste à donner un nom à un animal et à créer ainsi une relation qui a quelque chose d'indécent. Tout comme il est indécent que ces deux-là occupent le canapé. S'ils n'avaient pas de nom, ce serait impensable. Les chiens ne sont pas faits pour les canapés. Mais des créatures qui s'appellent Bacon et Burton - qu'il s'agisse de philosophes ou de roquets -, on peut difficilement leur interdire de s'installer sur une banquette en cuir.
-Vous vous moquez de moi, fit Lukastik.
-Aucunement. Asseyons-nous.
Requins d'eau douce, Heinrich Steinfest, Carnets Nord. Traduit de l'allemand (Autriche) par Corinna Gepner.
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