Crooked Letter, Crooked Letter est le titre original du Retour de Silas Jones. Il fait référence au moyen utilisé pour apprendre aux enfants pour épeler correctement "Mississippi". Cette "lettre tordue" c'est le s. Mais pour tout vous dire, je ne pourrai pas vous expliquer le sens que lui donne Tom Franklin dans son roman. Excepté son cadre. Plus pragmatique, le titre français fait allusion au fait que Silas Jones s'est eclipsé pendant vingt ans avant de revenir dans ce patelin paumé qu'est Chabot dans l'état du Mississippi. Laissant derrière lui la seule amitié qui ait vraiment compté.
Même si la tête d'affiche est partagée, ainsi que le point de vue, je suis personnellement convaincu que le personnage principal est davantage Larry Ott, l'ami en question, que celui qui à l'honneur de figurer dans le titre franzosisch. Larry est blanc, Silas est noir. Une bonne raison de s'éviter, de s'ignorer aux yeux de la communauté du village. Tout deux sont des solitaires forcés, pour des raisons différentes, et ils sympathisent donc naturellement étant réciproquement les seuls à s'accepter tels qu'ils sont.
Timide et d'un physique quelconque, Larry a toujours été cette cible facile, blagues et brimmades en tout genre, et les choses empirent quand il est accusé d'avoir tué Cindy Walker, la seule fille qui lui fît l'honneur d'un rencart. Désormais surnommé Larry Le Pourri, il ne sera jamais inculpé, faute de preuves, mais sera rejeté de tout le monde, personne ne croyant en son innocence. Encaissant toutes les injures, il persiste à reprendre le garage de son père, où personne ne s'arrête, sauf les étrangers de passage. Il passe ses journées à lire. Du Stephen King (dont les références parsèment les pages du roman) ou des pulps d'horreur, ce qui n'arrange pas sa réputation de barge.
Quand la fille d'une famille puissante du coin, les Rutherford, disparaît à son tour, sur qui donc vont s'écraser, implacables, les premiers et derniers soupçons? Après s'être retenu toutes ces années Larry Le Pourri a laissé ses pulsions meurtrières le guider. Quoi de plus simple comme affaire n'est-ce pas?
L'amitié partagée entre Silas et Larry semble ne pas avoir survécu, sévèrement écornée par deux mots, et ce avant même la disparition de Cindy Walker. Alors pourquoi se laisse-t-il aiguillé par ses intuitions et s'écarte de ses simples fonctions d'agent de circulation (entre autres) pour mener son enquête? Des révélations inattendues n'y seront pas étrangères.
D'une écriture pudique et prenante (la scène d'ouverture est d'une efficacité redoutable), Le Retour de Silas Jones m'a beaucoup fait penser à Little Bird de Craig Johnson (je vous parlerai très certainement de sa suite, Le Camp des morts, bientôt) l'un de mes gros coups de coeur de l'année dernière. L'aspect polar bien plus en veilleuse, pourtant. On compatit avec Larry autant qu'on a pu le faire avec Walt Longmire (le héros de Johnson), et tout en étant entretenue, l'ambiguité (est-il vraiment innocent?) laisse place aux yeux du lecteur à la conviction que Larry n'a pas pu faire ce dont on l'accuse (en êtes-vous aussi si sûrs?).
La mère de Larry prie pour qu'on lui envoie un ami. Silas, poussé par les circonstances, je lui accorde, fait quelques entorses à sa loyauté. Le seul et véritable ami que Larry pourrait trouver est paradoxalement inaccessible, puisqu'il s'agit du lecteur. En tout cas, c'est ce que j'ai ressenti envers Larry, une amitié virtuelle lecteur/personnage que Tom Franklin a su habilement créer de sa plume. J'espère qu'il en sera de même pour vous et que je ne vous en ai pas trop raconté (il est rare que j'en dise plus que la quatrième de couverture).
J'ai terminé Le Retour de Silas Jones, satisfait d'avoir encore découvert un auteur de la collection "Terres d'Amérique" mais frustré par son étendue et le temps qui me manquera pour rattraper mon retard. Surtout qu'une exploration en détail du catalogue en question m'a donné un aperçu sérieusement alléchant d'une (voire deux) bonne dizaine de titres dont certains sont malheureusement épuisés (damn!).
Le Retour de Silas Jones, Tom Franklin, Albin Michel, coll. "Terres d'Amérique" dirigée par Francis Geffard (non vraiment, y'a pas de quoi, tout le plaisir est pour moi), 22,90€. Traduit de l'américain par Michel Lederer.
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