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dimanche 19 février 2012

Le Vin de la colère divine de Kenneth Cook


Avec un an de retard, voici le retour de Kenneth Cook (1929-1987) dans les pages de ce blog. Assez longtemps pour avoir vu la sortie en poche (chez J'ai Lu) de ce roman sorti donc en 2011 chez Autrement. Depuis 2006 et la parution de Cinq matins de trop, c'est devenu une tradition pour cet éditeur de rappeler tous les ans au public français l'existence de cet écrivain australien mort il y a 25 ans. J'ignore combien de personnes suivent ces sorties annuelles, mais j'en fais partie et j'espère que quelques personnes lisent avec intérêt les articles que j'en tire (même si je n'ai commencé qu'à partir de Par-dessus bord) et qu'elles ont été jusqu'à lire un des ouvrages traités. Si on jette un coup d'oeil sur la bibliographie de Cook, il reste une bonne dizaine de bouquins à éditer pour Autrement. Croisons les doigts pour qu'il finissent ce qu'ils ont commencé.

Une constante que l'on décèle très vite est le goût pour Kenneth Cook pour la forme courte: la nouvelle avec Le Koala tueur, La Vengeance du Wombat et L'ivresse du kangourou (la parution traditionnelle de cette année, qui clôt cette trilogie comico-animalière) autant que les romans concis (ils dépassent rarement les 200 pages). Le Vin de la colère divine n'échappe pas à ce format.

On quitte toutefois totalement le cadre australien pour se rendre au Vietnam. Le narrateur, jeune engagé que l'on suppose américain (même si je n'ai capté aucun indice permettant de l'affirmer), est dans ce bar asiatique à boire de la bière et à réfléchir, enfin il essaie de réfléchir. On ne sait pas trop à quoi et lui non plus d'ailleurs. En tout cas, il finit par nous raconter ce qu'il fout là. Pas seulement dans ce bar mais aussi loin de chez lui. Voyez-vous, ce jeune soldat de tout juste vingt ans est ce que l'on pourrait considérer comme une couille molle sans véritable conviction, tellement naïf qu'il s'est laissé convaincre par la logique d'une idéologie tordue et parano. Il s'est engagé pour prouver quelque chose à son père borné mais aussi parce qu'il se sentait coupable de ne pas agir contre l'ennemi de son époque: le communiste. Vous remarquerez que le mot "vietnamien" n'est jamais employé de tout le roman. Ce ne sont que des communistes.

Dans ce bar, le narrateur nous confesse qu'il a fait quelque chose de contraire à son objectif premier. Il commence alors à nous raconter son parcours militaire, comment les épreuves et les entraînements ont fait place aux combats, à la confusion et aux horreurs. Quelques personnages sortent du lot: Mick et Mary, les inséparables abrutis, le lieutenant Roberts ou Karl, le pacifiste philosophe qui rate volontairement ses cibles ou l'éphémère Jack Delaney (je vous laisse le découvrir avant de poster l'extrait qui le concerne). Le narrateur voit son admiration partagée entre un Roberts ferme, courageux (on peut dire qu'il a des corones, enfin jusqu'à un certain point), mais d'une logique obtuse et Karl dont il préfère la compagnie à tout autre mais dont les théories l'agacent parce qu'elles contredisent ce qu'on lui a inculqué. Mais cette contradiction éclatera face à toute la violence dont il fera l'expérience. Il fera aussi la rencontre, lors d'une permission, d'un autochtone nommé Santi dont les paroles et le rôle seront hautement symboliques.

Découpé en six chapitres, le roman est marqué par une évolution narrative classique. Le ton du premier chapitre nous apparaît très satirique à la manière d'un sketch de Lenny Bruce. La narrateur est réellement naïf, mais quelques ampoules se sont allumées dans son cerveau au moment où il nous raconte tout ça. Le sourire que le lecteur affiche lors des premières dizaines de pages s'effacera devant les descriptions crues des explosions de napalm et des cadavres déchiquetés.

Beaucoup seront rebutés par un tel roman, en pensant qu'un pamphlet anti-guerre du Vietnam est dépassé, et a perdu de son intérêt à force d'être rabâché (surtout pour le public français, pour qui cette guerre est juste prétexte à blaguer et non pas un traumatisme national). Mais il faut souligner que Le Vin de la colère divine a été publié en 1968 et surtout le lire sans partir dans un postulat réducteur, ne pas se dire qu'il se contente de dire que "la guerre c'est pas bien". Kenneth Cook a toujours su doser les bons ingrédients pour divertir sans donner de leçons.

Même si Le Vin de la colère divine est plus grave, plus universel, il présente aussi un dénominateur commun aux autres publications de l'auteur qu'Autrement nous ont donnés à lire. Les personnages s'embarquent ou se laissent embarquer dans une situation dont ils ont très peu le contrôle et qui finit toujours par ne pas leur être favorable. Alors oui, l'auteur s'amuse parfois (voir la trilogie animalière) mais il ne ménage jamais ses personnages.

A suivre dans les prochaines semaines ou prochains mois (pas plus de six, promis!), un compte rendu de L'Ivresse du kangourou que je ne peux en aucun cas oublier de lire.

Le Vin de la colère divine (The Wine of God's Anger), Kenneth Cook, Autrement (15€)/J'ai Lu (5,70€). Traduit de l'anglais (Australie) par Mireille Vignol.

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