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lundi 31 octobre 2011

Un Parfum de Jitterbug de Tom Robbins

Avant de lire ce quatrième livre publié par les éditions Gallmeister, le peu que j'avais pu lire à propos de Tom Robbins avait suffi à m'intriguer. J'avais bien essayé de me procurer la version originale d'Une bien étrange attraction, mais je n'avais pas réussi à l'avoir et en avais du coup repoussé la lecture. Tom Robbins n'en est pas moins resté dans ma liste d'auteurs à lire plus tard.

Auteur culte aux Etats-Unis, il semble être passé inaperçu en France, malgré quelques apparitions chez Le Cherche Midi (Féroces Infirmes, Retour des pays chauds en 2001 et Villa Incognito en 2005) ou 10/18 (Même les cow-girls ont du vague à l'âme, 2004, Mickey Le Rouge, 2005). C'est Gallmeister qui a sérieusement envisagé d'éditer avec régularité son oeuvre méconnue. Jugez plutôt: un titre par an dans la collection "Americana" (Comme la grenouille sur son nénuphar en 2009, Une bien étrange attraction en 2010 et donc Un Parfum de Jitterbug cette année) et une réédition de Même les cow-girls ont du vague à l'âme en 2010 dans leur collection de poche "Totem". Si l'on fait attention aux dates de publications originales de ces quatre romans (respectivement 1994, 1971, 1984 et 1976), on se demande si Tom Robbins n'aurait pas été condamné, si Gallmeister ne s'était pas un peu mouillé, à la confidentialité (même 10/18 avait du retard pour Même les cow-girls... qui au passage était pourtant déjà passé par la case cinéma grâce à Gus Van Sant en... 1993).
Les premières pages d'Un Parfum de Jitterbug nous présentent des personnages contemporains à la date de publication (je ne dis pas "de nos jours", puisque beaucoup de choses ont changé depuis 1984) dans trois endroits différents. On se rend très vite compte qu'ils appartiennent au monde très fermé de l'industrie du parfum, chacun à leur échelle. A Seattle, Priscilla, serveuse parce qu'il faut bien gagner sa vie, mais aussi apprentie chimiste, rêve d'une autre condition. A la Nouvelle-Orléans, Lilly Devalier, reconnue dans le milieu, et son assistante V'lu Jackson (on découvrira, au cours du livre, la véritable raison de sa présence en ce lieu), sont enveloppées d'une certaine aura mystique dûe à leur relation avec le mystérieux Bingo Pyjama. Et, à Paris, les cousins Claude et Marcel LeFever sont à la tête d'une société dont les racines plongent loin dans le passé. Autre dénominateur commun à tous ces personnages, et là se trouve le fil rouge, the crux of the biscuit, roulement de tambour, un légume qui ne paie pas de mine: la betterave. En effet des specimens de ce légume sont mystérieusement livrés à Priscilla, V'lu et Marcel. Et si le roman fait un bond de plus de neuf cents ans en arrière, d'un coup comme ça, c'est moins pour nous surprendre que pour expliquer le pourquoi du comment.

Le roi Alobar est le personnage principal de toute cette curieuse intrigue. Dans son royaume nordique, le souverain est exécuté dès que se manifeste le moindre signe extérieur de vieillissement. C'est vous dire l'angoisse qui le tenaille à la vue de son premier cheveu blanc. Hélas pour lui, l'éxécution aura bien lieu. Mais il sera sauvé "post-mortem" par un subterfuge de Wren, la favorite de son harem. A partir de là débute le tour du monde de notre cher Alobar, et aussi sa traversée des siècles. Hé oui, il va vivre plus de neuf cents ans grâce à deux rencontres: l'une avec des moines Bandaloop et l'autre avec la femme qui l'accompagnera tout au long, ou presque, de son périple, Kudra, rencontrée en Inde. L'initiation avec les premiers sera sublimée dans son histoire d'amour avec la seconde. Pour ceux qui s'intéressent à la mythologie, le dieu Pan aura aussi son importance.

Voici résumées les grandes lignes d'Un Parfum de Jitterbug, sans aucun doute détenteur du record du plus grand nombre d'occurrence du mot "betterave" dans un roman. Si vous ne trouvez pas tout ça déjà hors normes, sachez que Tom Robbins en a fait une odyssée mystico-comique sexuellement décomplexée, pleine de théories scientifiquement discutables mais passionnantes au niveau romanesque. Ajoutez-y une multitude de métaphores burlesques, anachronismes et autres absurdités controlées et vous hésiterez à qualifier l'auteur soit de doux dingue soit d'iconoclaste. Ce sont de toutes façons les barges incompris qui font les oeuvres les plus intéressantes, celles qui sortent des sentiers battus.

Un Parfum de Jitterbug, Gallmeister, coll. "Americana", 24,90€. Traduit de l'américain par François Happe.

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