La liste n'étant décidément pas assez longue, Gallmeister a décidé en 2009 de lancer une série policière à héros récurrent. Dans sa ligne éditoriale bien évidemment, avec grands espaces américains, indiens et tout l'toutim. J'ai l'air de me plaindre comme ça, de caricaturer, mais Gallmeister est une maison qui a largement fait ses preuves au rayon qualité. Et puis surtout, je n'ai absolument rien contre les grands espaces américains (ni les toulousains, Les Grands Espaces de Fabien Pichon, L'Harmattan, toujours disponible, enfin je pense), les indiens ou même contre tout l'toutim, vivre et laisser vivre, hein. Une introduction donc, qui essaie de faire sa maligne, et qui n'a pour but que de présenter le premier roman (sur cinq pour l'instant) de la série mettant en scène le shérif Walt Longmire, dans son comté (reculé, froid, venteux enfin vous avez compris) d'Absaroka, Wyoming (hé quand c'est pas dans l'Montana...).
Walt Longmire, proche de la retraite et en recherche d'une relève, jongle avec un effectif un peu bancal: Vic, enbauchée comme bouche-trou pour exécuter les tâches ingrates, Turk, antipathique neveu du précédent shérif et Ruby qui le harcèle de post-it impératifs. Les responsabilités se fondent dans une routine paisible mais troublée, quelques années plus tôt, par l'ignoble viol de Melissa Little Bird par quatre garçons du coin. Crime d'autant plus scandaleux puisque Little Bird est mentalement déficiente. Un procès qui a traîné et un verdict trop léger a entretenu le ressentiment de la part de la communauté Cheyenne, mais pas seulement. L'injustice semble être réparée quand Cody Pritchard, le plus méprisable des quatre garçons, est retrouvé dans le fond d'une falaise, tué d'une balle gros calibre et recouvert de merde de mouton.
Dans une première partie, Walt se mentira à lui-même en supposant un accident de chasse. Mais le lecteur à une longueur d'avance: le titre original (The Cold Dish) et la mise en exergue d'un aphorisme très connu de Choderlos de Laclos, laisse à penser qu'il s'agit plutôt de vengeance. Une aide considérable sera apportée par Omar, un chasseur très calé sur les armes et dont les répliques pince-sans-rire raviront les amateurs de personnages excentriques.
Narrés du point de vue exclusif de Walt, le roman et son atmosphère passent par plusieurs phases. L'humour nonchalant des premières pages s'assombrit et s'étiole au gré de l'enquête, surtout quand la liste des suspects ne comporte que des connaissances dont l'implication s'avérerait autant de crève-coeurs. En bonne position, Henry Standing Bear, grand cousin de Melissa, et ami très proche de Walt avec qui il forme un duo attachant, cimenté par les années et les piques ironiques.
Le décor rude et venteux prend son importance avec une scène de blizzard, épique également pour son expérience mystique (vous pouvez aussi en avoir une à la librairie l'Antre-Monde, 142 rue du Chemin Vert, Paris, métro Père-Lachaise) à laquelle il fallait bien s'attendre. Quoi d'étonnant quand l'arme qui est confiée à Walt est hantée par l'esprit des Vieux Cheyennes? Même si les cinéphiles penseront immédiatement à "l'indien zarbi à moitié à poil", cette utilisation stéréotypée du folklore indien n'écorne en rien la bonne facture indéniable du roman.
Ne prenez pas mes sarcasmes pour le reflet d'obstacles dissuasifs à la lecture de Little Bird. Sans dévoiler quoi que ce soit, le justicier homicide n'est pas celui qu'on croit (damn, on se fait toujours avoir par les bons auteurs!) et la confrontation finale, teintée d'un humour triste, est inhabituelle et poignante.
Un autre point de plus au crédit de Craig Johnson, Walter Longmire est un personnage diablement sympathique. Il me rappelle le Pat Coyne d'Hugo Hamilton (Déjanté et Triste Flic, chez Phébus, deux incontournables du roman noir irlandais). Impossible de ne pas l'aimer vu la façon pudique et douce-amère dont Craig Johnson traite le deuil de sa femme et l'absence de sa fille Cady, dont la seule trace sont ses messages laissés au répondeur.
Sa douleur n'apparaît que par petites touches. L'initiative métaphorique (Walt vit depuis quatre ans dans une maison aux travaux tristement inachevés) et concrète prise par Henry Standing Bear pour remettre un peu d'ordre dans l'existence de son ami, n'aura pas de résultats immédiats. Pour le savoir, peut-être faut-il s'atteler à la lecture du Camp des Morts, paru le 1er avril 2010. J'ignorerai, pour sûr, les aléas du calendrier en supposant que ce deuxième volet n'est pas une blague foireuse et qu'il confirmera les qualités solides de Little Bird. Qualités reconnues par le jury du Prix du Roman Noir du Nouvel Observateur en 2010.
Je viens d'apprendre tout juste avant de publier ces lignes que, pfui, j'ai du retard, moi, un troisième volet L'Indien blanc venait de sortir. Forcément, ils vont vite, les cinq romans de la série n'attendent que la traduction. Une nouvelle inédite de Craig Johnson avec Walt est téléchargeable sur le site des éditions Gallmeister. Et last but not least une série télévisée est en projet au pays des cow-boys. Je croise les doigts pour qu'elle diverge tout comme Dexter et The Walking Dead de sa grande soeur.
Little Bird, Craig Johnson, Gallmeister, coll. "Noire", 23,90€ ou coll. "Totem", 10€. Traduit de l'américain par Sophie Aslanides.
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