Ceci est un premier roman et il a fallu plus de soixante-dix ans pour que le lecteur français moyen puisse au moins savoir qu'il s'agit d'un classique de la littérature cubaine. Tout le crédit est dû aux éditions Zulma. Il semble, d'après la préface nostalgique d'Eduardo Manet, qu'Enrique Serpa (1900-1968) fut un des grands oubliés de la littérature du vingtième siècle. Journaliste était un plus prestigieux métier quand écrivain n'était même pas considéré comme tel.
Quand Manet n'hésite pas à mettre Serpa dans le même panier que Faulkner et Hemingway, ça ne manque pas d'interpeller. Mais j'ai été moins influencé par cette comparaison que par l'envie de faire une chronique sur ce blog qui ne figurerait pas dans une catégorie sur-représentée (comme la SFFF ou le polar). Pour changer un peu. De plus, me retrouvant seul dans des locaux de Rana Toad quasiment déserté (on en reparlera guys & girls), il faut bien que je diversifie légèrement le spectre de mes chroniques. Les prochaines risquent malheureusement d'être moins surprenantes de ma part... Ne serait-ce que l'anthologie très alléchante dénichée à l'Antre-Monde (142 du Chemin Vert, Paris, métro Père Lachaise), librairie spécialisée dans la littérature de l'imaginaire (dans l'ésotérisme et l'érotisme également). Mais, sans pour autant m'être attardé aux rayons bien fournis "satanisme" et "sacrifices rituels" de cette même librairie, je m'éloigne du droit chemin tracé par mon début d'article.
Sur fond de difficultés économiques des années 1920 à Cuba (sans être spécialiste de la situation politico-économique passée et présente de cette île, je ne pense pas me tromper en pensant qu'elle ne s'est jamais améliorée), le roman raconte comment l'armateur d'une goélette appelée La Buena Ventura, se laissera convaincre par le capitaine Requin, ancien taulard bourru au charisme puissant, de s'adonner à la contrebande (c'est le titre, banane!) d'alcool vers les Etats-Unis. Solution qui s'impose, tellement vivre de pêche s'avère de plus en plus précaire dans ce pays où la misère des taudis s'est étendue sans toucher les nantis. Superstitions, anecdotes, rixes et tromperies conjugales pimentent ces pages que le narrateur noirçit de ses angoisses et méfiances envers un équipage d'un statut social inférieur au sien.
A ce tourment intérieur du personnage, virant presque à la paranoïa, viennent en contrepoint de vagues espoirs de prospérité et une mélancolie inattendue qui vient parfois unir les hommes d'un même voyage. Toute une ambiance maritime servie par une écriture juste et complexe. La traduction de Claude Fell, traître indispensable à ceux qui ne peuvent lire le texte d'origine, m'a brillamment (enfin je lui fait totalement confiance) permis d'étendre ma culture générale d'un titre non négligeable.
Naviguant sur des flots rudes et envoûtants, Contrebande mérite toute l'attention, voire plus, que Zulma a réussi à lui attirer. Cette publication française date d'août 2009, ma chronique est donc tardive, mais j'espère qu'elle contribuera humblement à ce que deux ou trois, c'est un minimum, paire d'yeux (sans vouloir offenser personne, on ne sait jamais avec les radiations) supplémentaires s'y intéressent de plus près.
Contrebande, Enrique Serpa, Zulma, 20€. Préface d'Eduardo Manet. Traduction de l'espagnol (Cuba) par Claude Fell.
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