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lundi 7 mars 2011

Fruits & Légumes d'Anthony Palou


Les pavés (parfois péjoratif), romans-fleuves (appellation poétique) ou gros bouquins (pour faire plus simple), ont toujours exercé sur moi une fascination irrésistible. Il me suffirait de ne citer qu'Irving ou Dickens pour la justifier. Paradoxalement, la nouvelle m'attire beaucoup aussi. Tourne pas rond, là-dedans. Parfois je préférerais être un petit bonhomme en mousse qui s'élance du plongeoir pour ne pas penser à ce genre de contradiction existentielle.

Mais parfois une déception me tombe sur le nez et je me flagelle pour avoir bêtement avoir pensé que le nombre de pages signifie obligatoirement satisfaction personnelle (le mot "qualité" étant toujours discutable).

Deux déceptions toutes récentes dont je tairais les titres et auteurs (je fais fièrement partie de la faible proportion de blogueurs littéraires qui ne parlent que des livres qu'ils ont aimés et qui n'utilisent la mauvaise critique qu'avec parcimonie): la première, un carton d'il y a quelques années, un polar italien, dont j'ai continué à entendre du bien qui a eu une adaptation ciné (j'aurais peut-être dû y passer directos). Prenant dans sa première moitié puis assommant par sa monotonie, il faisait partie de cette fameuse liste que tout grand(e) lecteur(rice) conserve quelque part. Il compte désormais parmi mes mauvais trips littéraires. La seconde déception est un livre emprunté en médiathèque, fruit d'une de ces flâneries dans les rayons dont on espère en tirer une heureuse trouvaille. Vendu comme une rencontre entre Urgences et Stephen King, le premier tiers happe le lecteur pour le piéger dans une bouillie expressionniste et visqueuse qui empire à mesure que l'on parcourt les deux autres tiers.

Je déteste enchaîner les déceptions. Ces deux-là combinées m'ont occupé une bonne semaine et m'ont laissé un goût de fête foirée (non ce n'est pas une allusion cachée, votre mariage était très réussi et je me suis bien mumusé).

Avant de travailler en librairie, j'ai souvent négligé les livres de moins de deux cents pages bicoz-lisez-plus-haut. Cet a priori s'est heureusement émoussé et il m'arrive de mettre la main sur de petits bouquins qui, à défaut de décrire les pérégrinations simultanées d'une vingtaine (voire plus) de personnages, l'écriture de l'auteur(e) aidant, se révèle bien moins indigeste qu'un décevant pavé.

Et j'en viens, enfin, au livre qui était promis dans l'intitulé de mon article. Envisagé tout d'abord comme un prétexte à une dédicace durant les ultimes et derniers mois de 2010 entre quelques planches ou rondins (ça dépend de la façon dont vous aimez construire votre cabane), Fruits & Légumes n'est resté qu'un livre mis en avant sur la table et conseillé dès qu'une occasion se présentait.

Epais de 150 pages (moins si l'on déduit les nombreuses pages blanches entre les chapitres), le roman est une biographie de famille qui va de la petite virée, de Majorque à Quimper (l'auteur n'a eu besoin que d'une demi-page pour la relater, sobriété épicée de phrases souriantes), effectuée par le grand-père, Antonio Pablo Luna Coll, fuyant l'Espagne franquiste à la modeste situation du narrateur, qui, finalement, s'est beaucoup effacé pour évoquer les décennies qu'il a connu ou pas. Quelques personnages, anecdotes, la persévérance des aïeux (le grand-père puis le père) dans le métier de maraîchers malgré l'arrivée des supermarchés, suffisent à emporter humblement le lecteur dans un passé qui n'est pas le sien. L'ouvrage échappe totalement à la platitude (compliment très pudique sous forme de litote) grâce à un ton doux-amer et à la facilité que possède Anthony Palou de relater dans les grandes lignes, sans alourdir ni se complaire, mélancolie et humour parfaitement dosés. Évitant de tomber dans le roman d'initiation, il ne garde que l'essentiel de son enfance, rythmé aux difficultés financières de ses parents. Précision évasive et nostalgique dont la qualité m'a fait oublier les déceptions qui ont pourtant servi de point de départ à mes lignes. Prétexte pour gonfler mon article, car je craignait faire trop court.

Pour ma part petit interlude, assez puissant pour m'aérer les neurones, Fruits & Légumes s'impose par sa simplicité et peut figurer sur la liste des bouquins qui savent convaincre les plus indécrottables détracteurs de la littérature francophone contemporaine. Ce roman démontre, avec tant d'autres, qu'elle n'est pas toujours édifiée sur des propos controversés ou une couverture médiatique excessive.


Fruits & Légumes, Anthony Palou, Albin Michel, 14€.

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