Comme nombre de contributeurs de ce blog, j’en suis sûr, j’avoue avoir un faible pour tout et tous ce(ux) qui jette(nt) un regard de traviole sur le monde. Le seul titre de cet essai, Freakonomics, a donc suffi à attirer mon attention. Qu’en est-il ? Des auteurs tout d’abord : Stephen J. Dubner, écrivain et journaliste au NY Times Magazine, et Steven D. Levitt, jeune économiste de l’Université de Chicago, dont les travaux, à l’opposé des grandes théories macro-économiques, se dirigent essentiellement vers l’analyse et l’explication économique – donc statistique – d’évènements, de constats ou de faits a priori anodins, voire totalement saugrenus (d’où le titre du livre, et plus globalement le nom donné à la démarche en son ensemble).
Quelques exemples : « Pourquoi les dealers vivent-ils chez leur maman ? » ou « Peut-on s’appeler Loser et réussir dans sa vie ? ». C’est à partir de genre de question que se construisent les études de Levitt, apparemment bien ficelées pour le novice en la matière que je suis, et dont les conclusions sont parfois étonnantes et/ou à rebours des explications traditionnellement avancées.
Sur le premier sujet, à partir de l’analyse des données comptables d’un gang de dealers de Chicago miraculeusement tombées entre les mains d’un étudiant en sociologie, Levitt parvient ainsi à démontrer que loin des clichés véhiculés par certains (souvent à dessein d’ailleurs), l’économie locale de la drogue ne bénéficie qu’à quelques uns et que bien meilleures pour les gamins seraient les perspectives de gagner un peu d’argent au burger du coin plutôt qu’en dealant quelques paquets aux coins des rues. Cela ne surprendra peut-être que peu d’entre vous.
Plus étonnant, dans le chapitre intitulé « Où sont passés les criminels ? », il parvient à établir que la forte baisse de criminalité constatée aux Etats-Unis au milieu des années 90, après un pic vertigineux, en particulier dans les grandes villes, est moins le fruit de la hausse des moyens de sécurité et/ou de l’arsenal législatif mis en œuvre au titre de la « Tolérance Zéro » popularisée à New-York par R. Giuliani, ou même de l’embellie économique bien réelle de l’époque, que d’un arrêt de la cour suprême des années 70 ayant permis une généralisation de l’avortement qui a principalement bénéficié aux populations les plus précaires, donc aux milieux les plus criminogènes. CQFD. Pointe à demi, au travers de cet exemple, une des principales critiques que j’adresserais à ce livre.
Autre cas : La principale réforme de l’administration Bush Jr en matière d’éducation (The Wire – saison 4 !) a été la mise en place d’un système d’évaluation normé permettant de définir l’aptitude des élèves à passer en classe supérieure tout en mesurant « l’efficacité » des écoles et de leurs professeurs. Ce système, disons le, sur le fond, n’avait d‘autre objectif que de légitimer des coupes budgétaires drastiques pour les écoles les moins « performantes ». A partir d’anomalies repérées dans les notations des élèves, Levitt obtient la preuve que celles-ci sont le fruit d’enseignant-tricheur et ont pour conséquence première le développement de parcours scolaires inadaptés aux réelles compétences des gamins, donc à plus d’échec à long terme encore. Cette étude a permis de débusquer les tricheurs, et au passage d’en faire licencier quelques-uns. Noble cause pour ce qui s’agit, à courte vue, des gamins. Car à aucun moment, les auteurs ne pointent l’absurdité et l’immoralité de ce système qui conduit des enseignants, par peur de perdre leur boulot faute de moyens financiers en cas de mauvais résultats avérés, à mettre en péril la scolarité des enfants dont ils ont la charge.
C’est ce dernier exemple qui illustre le mieux ce que je reproche principalement à ce livre, ou plutôt à la démarche de l’économiste dont ce livre se fait l’écho : l’absence fréquente d’approche socio-critique des sujets explorés. Aussi éclairantes soient certaines de ces études, j’ai beaucoup de difficultés à voir un intellectuel se dédouaner de l’utilisation concrète ou symbolique de son travail. Le positivisme me semblait avoir fait long feu. Oppenheimer est passé par là depuis un moment. Et même les sciences les plus dures (physique ou biologie notamment) n’échappent pas aux questionnements éthiques. Or, tant pour le sujet visant la criminalité, dont on voit bien le traitement qui pourrait en être fait par quelque force politique à l’eugénisme latent (le plaidoyer indirect pour l’acquis social que constitue le droit à l’avortement et la critique sous-jacente du discours politico-guerrier et simpliste des tenants du tout sécuritaire atténue en cela mon propos), que concernant le sujet des enseignants, cette dimension politique ou sociologique fait assez souvent défaut. Ajouter à cela un ton, ou une présentation, manquant singulièrement d’auto-critique ou d’argument contradictoire, et je mesure combien ce livre, aussi facile à lire et souvent séduisant qu’il soit, n’est pas à la hauteur de ce que j’avais espéré.
Freakonomics, Stephen D. Levitt & Stephen J. Dubner, Folio - Actuel 2007, 336 pages, 7,10 euros. Traduit de l’américain par Anatole Muchnik.
Quelques exemples : « Pourquoi les dealers vivent-ils chez leur maman ? » ou « Peut-on s’appeler Loser et réussir dans sa vie ? ». C’est à partir de genre de question que se construisent les études de Levitt, apparemment bien ficelées pour le novice en la matière que je suis, et dont les conclusions sont parfois étonnantes et/ou à rebours des explications traditionnellement avancées.
Sur le premier sujet, à partir de l’analyse des données comptables d’un gang de dealers de Chicago miraculeusement tombées entre les mains d’un étudiant en sociologie, Levitt parvient ainsi à démontrer que loin des clichés véhiculés par certains (souvent à dessein d’ailleurs), l’économie locale de la drogue ne bénéficie qu’à quelques uns et que bien meilleures pour les gamins seraient les perspectives de gagner un peu d’argent au burger du coin plutôt qu’en dealant quelques paquets aux coins des rues. Cela ne surprendra peut-être que peu d’entre vous.
Plus étonnant, dans le chapitre intitulé « Où sont passés les criminels ? », il parvient à établir que la forte baisse de criminalité constatée aux Etats-Unis au milieu des années 90, après un pic vertigineux, en particulier dans les grandes villes, est moins le fruit de la hausse des moyens de sécurité et/ou de l’arsenal législatif mis en œuvre au titre de la « Tolérance Zéro » popularisée à New-York par R. Giuliani, ou même de l’embellie économique bien réelle de l’époque, que d’un arrêt de la cour suprême des années 70 ayant permis une généralisation de l’avortement qui a principalement bénéficié aux populations les plus précaires, donc aux milieux les plus criminogènes. CQFD. Pointe à demi, au travers de cet exemple, une des principales critiques que j’adresserais à ce livre.
Autre cas : La principale réforme de l’administration Bush Jr en matière d’éducation (The Wire – saison 4 !) a été la mise en place d’un système d’évaluation normé permettant de définir l’aptitude des élèves à passer en classe supérieure tout en mesurant « l’efficacité » des écoles et de leurs professeurs. Ce système, disons le, sur le fond, n’avait d‘autre objectif que de légitimer des coupes budgétaires drastiques pour les écoles les moins « performantes ». A partir d’anomalies repérées dans les notations des élèves, Levitt obtient la preuve que celles-ci sont le fruit d’enseignant-tricheur et ont pour conséquence première le développement de parcours scolaires inadaptés aux réelles compétences des gamins, donc à plus d’échec à long terme encore. Cette étude a permis de débusquer les tricheurs, et au passage d’en faire licencier quelques-uns. Noble cause pour ce qui s’agit, à courte vue, des gamins. Car à aucun moment, les auteurs ne pointent l’absurdité et l’immoralité de ce système qui conduit des enseignants, par peur de perdre leur boulot faute de moyens financiers en cas de mauvais résultats avérés, à mettre en péril la scolarité des enfants dont ils ont la charge.
C’est ce dernier exemple qui illustre le mieux ce que je reproche principalement à ce livre, ou plutôt à la démarche de l’économiste dont ce livre se fait l’écho : l’absence fréquente d’approche socio-critique des sujets explorés. Aussi éclairantes soient certaines de ces études, j’ai beaucoup de difficultés à voir un intellectuel se dédouaner de l’utilisation concrète ou symbolique de son travail. Le positivisme me semblait avoir fait long feu. Oppenheimer est passé par là depuis un moment. Et même les sciences les plus dures (physique ou biologie notamment) n’échappent pas aux questionnements éthiques. Or, tant pour le sujet visant la criminalité, dont on voit bien le traitement qui pourrait en être fait par quelque force politique à l’eugénisme latent (le plaidoyer indirect pour l’acquis social que constitue le droit à l’avortement et la critique sous-jacente du discours politico-guerrier et simpliste des tenants du tout sécuritaire atténue en cela mon propos), que concernant le sujet des enseignants, cette dimension politique ou sociologique fait assez souvent défaut. Ajouter à cela un ton, ou une présentation, manquant singulièrement d’auto-critique ou d’argument contradictoire, et je mesure combien ce livre, aussi facile à lire et souvent séduisant qu’il soit, n’est pas à la hauteur de ce que j’avais espéré.
Freakonomics, Stephen D. Levitt & Stephen J. Dubner, Folio - Actuel 2007, 336 pages, 7,10 euros. Traduit de l’américain par Anatole Muchnik.
Pour aller plus loin (en anglais) : http://freakonomicsbook.com/
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