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mardi 11 janvier 2011

L'Usine à Lapins de Larry Brown


Initialement publié en 2005 dans la collection "La Noire" de Gallimard, L'Usine à Lapins est encore un de ces romans que l'on m'a conseillé il y a un bon moment, gardé dans un coin de mon cerveau. Même si on le trouvera le plus souvent dans le rayon polar (il a été édité en "Folio Policier" en 2008), les passages méritant d'être considérés digne du genre ne prennent qu'une place réduite, même si tout démarre avec un contrat foiré par Frankie, tueur à gages de son état. Un roman à multi-voix, le dernier (si l'on excepte l'inachevé et posthume A Miracle of Catfish) publié par son auteur, décédé en 2004.

Des petites vies paumées qui s'entrecroisent: Eric, accompagné de son chien, qui va se prendre d'amitié pour Arthur, un septuagénaire qui n'arrive plus à satisfaire une femme, Helen, beaucoup plus jeune que lui. Helen qui traîne dans les bars dans l'espoir d'autre chose et accumule les contraventions pour conduite en état d'ivresse.
Anjalee quant à elle se prostitue, s'embourbe dans des aventures malchanceuses et se retrouve recherchée pour coups et blessures sur une employée de maison de retraite un peu trop zélée. Wayne, le marin en permission, rencontre Anjalee et n'arrive pas à l'oublier.
L'unijambiste Mlle Muffett entretient une relation conflictuelle avec... le chien de son patron, Mr. Hamburger, gérant d'une usine... de viande. Domino, employé du même Hamburger, au passé sordide, qui s'empêtre dans une cavale à cause d'un cerf renversé sur la route d'une livraison.
Merlot, professeur d'université se retrouve sur le chemin de Domino, mais ça lui permet de rencontrer Penelope, femme flic, et de partir en virée avec elle, même s'il n'ose pas lui révéler qu'il garde un fardeau embarassant chez lui.

Voilà, des existences pas toutes roses, victimes de circonstances qu'ils se résignent à accepter. Rien d'extraordinaire à part ces petites révélations un peu tardives que Larry Brown distille stratégiquement, mine de rien. Le lecteur oublie alors le sentiment que le roman ne mène pas forcément quelque part et se prend de sympathie pour tous ces gens de l'Amérique profonde, qui ne font pas toujours les bons choix (le meilleur exemple étant celui de Domino, pris dans un engrenage inextricable, sanglant et tragique). Nous savons, en refermant le livre qu'ils continueront leurs vies tant bien que mal, avec leurs espoirs et leurs déceptions d'êtres humains.
Larry Brown constitue avec beaucoup de tendresse une mosaïque si bien équilibrée qu'aucun personnage ne peut être qualifié de "principal". Une réalité crue qui ne tombe pas dans la complaisance gratuite, dépeinte dans l'esprit d'un roman qu'auraient pu écrire des frères Coen assistés d'un Charles Bukowski. Ou le contraire.


L'Usine à Lapins, Larry Brown, Gallimard, coll. "Folio Policier", 7,80€. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Furlan.

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