En juin dernier, j'avais chroniqué Rock Progressif d'Aymeric Leroy sans savoir qu'un second ouvrage sur le sujet était sur le point d'être publié. Pourquoi "Remix"? Parce que j'ai trouvé intéressant d'inclure les deux dans un même article. Non pas dans une optique purement comparative, les deux étant référentiels pour tout amateur de ce genre musical. Mon article reprend donc en grande partie (le copié/collé est si grossier que je pourrais me poursuivre en justice pour honteux plagiat) celui publié en juin, avec quelques modifications, auquel se greffe donc mon avis sur Anthologie du Rock Progressif - Voyages en ailleurs de Jérôme Alberola.
N'étant pas musicologue ni aussi calé que nos deux auteurs, je me contenterai d'une définition grossièrement (vous trouverez les nuances dans ces deux ouvrages) résumée: le rock progressif est un mouvement musical ambitieux et libertaire qui tend à s'émanciper du carcan étroit du rock basique, notamment par l'introduction d'instruments inhabituels, une profusion d'idées (ruptures de rythme notamment) dans les morceaux (l'instrumental est donc souvent préféré au chanté) et par de longues suites variant selon la longueur du disque au fil des décennies.
Les éditions Le Mot et le Reste commencent, mine de rien, à bien être représentées dans ce blog: deux chroniques publiées par Taly (Au-delà du Rock et L'underground musical en France) et après One Size Fits All, Eric Dolphy et Pink Floyd (du même Aymeric Leroy), en voici une quatrième de ma part.
Rock Progressif a bénéficié le 2 juin dernier d'une présentation à la librairie L'Arbre à Lettres (celle proche de Denfert-Rochereau), occasion pour moi de rencontrer l'auteur du Pink Floyd cité plus haut ainsi que la personne (que je n'ai malheureusement pas croisée) qui m'a informé, bien qu'involontairement, de l'événement via Facebook (salut et merci, Charlotte).
Un si joli pavé de 450 pages sur un style musical qui me passionne depuis plus d'une dizaine d'années ne pouvait me laisser indifférent. Enfin, relativement passionné puisque je ne connaissais, Genesis excepté, que de manière purement discographique les groupes principalement évoqués (Yes, King Crimson, Emerson, Lake & Palmer, Soft Machine, entre autres). S'attardant pour l'écrasante majorité sur les années 70 (logique et pertinent), l'auteur alterne, sur une trame chronologique, avec ces pionniers (anglais pour la plupart), leur consacrant quelques pages pour chaque album et son contexte (bien plus que musical), ne négligeant même pas les incartades solo et autres projets de certains musiciens.
La carrière chaotique de King Crimson, la grandiloquence mal comprise d'Emerson, Lake & Palmer, la sobriété de Pink Floyd (encore eux), l'influence grandissante du jazz sur Soft Machine, les intuitions autodidactes et alchimiques de Yes, la poésie sombre et torturée de Van Der Graaf Generator... voici surtout dont est composée l'histoire du rock progressif.
N'étant pas musicologue ni aussi calé que nos deux auteurs, je me contenterai d'une définition grossièrement (vous trouverez les nuances dans ces deux ouvrages) résumée: le rock progressif est un mouvement musical ambitieux et libertaire qui tend à s'émanciper du carcan étroit du rock basique, notamment par l'introduction d'instruments inhabituels, une profusion d'idées (ruptures de rythme notamment) dans les morceaux (l'instrumental est donc souvent préféré au chanté) et par de longues suites variant selon la longueur du disque au fil des décennies.
Les éditions Le Mot et le Reste commencent, mine de rien, à bien être représentées dans ce blog: deux chroniques publiées par Taly (Au-delà du Rock et L'underground musical en France) et après One Size Fits All, Eric Dolphy et Pink Floyd (du même Aymeric Leroy), en voici une quatrième de ma part.
Rock Progressif a bénéficié le 2 juin dernier d'une présentation à la librairie L'Arbre à Lettres (celle proche de Denfert-Rochereau), occasion pour moi de rencontrer l'auteur du Pink Floyd cité plus haut ainsi que la personne (que je n'ai malheureusement pas croisée) qui m'a informé, bien qu'involontairement, de l'événement via Facebook (salut et merci, Charlotte).
Un si joli pavé de 450 pages sur un style musical qui me passionne depuis plus d'une dizaine d'années ne pouvait me laisser indifférent. Enfin, relativement passionné puisque je ne connaissais, Genesis excepté, que de manière purement discographique les groupes principalement évoqués (Yes, King Crimson, Emerson, Lake & Palmer, Soft Machine, entre autres). S'attardant pour l'écrasante majorité sur les années 70 (logique et pertinent), l'auteur alterne, sur une trame chronologique, avec ces pionniers (anglais pour la plupart), leur consacrant quelques pages pour chaque album et son contexte (bien plus que musical), ne négligeant même pas les incartades solo et autres projets de certains musiciens.
La carrière chaotique de King Crimson, la grandiloquence mal comprise d'Emerson, Lake & Palmer, la sobriété de Pink Floyd (encore eux), l'influence grandissante du jazz sur Soft Machine, les intuitions autodidactes et alchimiques de Yes, la poésie sombre et torturée de Van Der Graaf Generator... voici surtout dont est composée l'histoire du rock progressif.
Les scènes européenne (Ange et Magma en France, Le Orme et PFM en Italie, Focus en Hollande...) et américaine (Kansas, les Québécois de Harmonium, Rush) ne sont pas sous-évaluées et c'est dans ces pages que le fan que je suis réalise, qu'en plus d'ignorer beaucoup de choses sur les poids lourds, n'a qu'une connaissance très limitée de ce style musical.
Mouvement créatif et ambitieux à ses débuts, le rock progressif a singulièrement souffert des sautes d'humeurs de critiques opportunistes (ou déçus?) puis, à l'instar du jazz, par l'arrivée inéluctable des horribles années 80 sur lesquelles on s'extasie encore à coups d'émissions spéciales et autres compilations depuis trop longtemps. Peu de groupes ont ainsi survécu à l'appauvrissement dû au formatage systématique de la production musicale. Mais l'ouvrage porte aussi un regard objectif sur les groupes eux-mêmes en mettant en lumière leurs propres responsabilités, parfois véritables actes de sabordage (renouvellement incertain, embourbement dans les clichés du genre, mauvaises stratégies commerciales...).
Non, je ne prendrai pas Genesis pour exemple, le virage pop avec Phil Collins ne m'a jamais gêné contrairement aux puristes. Il faut dire que je n'ai commencé à écouter ce groupe au moment où ledit Philton a quitté le navire et qu'il m'est impossible de ressentir la trahison de ceux qui les suivaient depuis l'ère Peter Gabriel. Par contre, je peux m'en faire une idée en vue du parcours des américains de Spock's Beard (un des fers de lance du revival des années 90) qui présente des coïncidences avec celui de Genesis, qui ne sont pas pointées, par oubli ou par omission, dans l'ouvrage dont je parle.
Je suis tenté de reprocher à l'auteur des détails sur lesquels il s'est intelligemment justifié dès le préambule: il était impossible, et parfois inutile, de s'attarder sur certains groupes. Mais je vais faire ma tête de mule en pointant du doigt le survol injuste de la carrière de Rush (dont la première mention se situe à la page 374!) et l'omission de Beardfish, groupe suédois des années 2000, qui aurait mérité d'être cité au moins rapidement pour les lecteurs qui ne connaissent pas.
Bon, je tourne la page coup de gueule pour passer à celles des éloges. Me gratifier à plusieurs reprises de la présence de Frank Zappa (bien évidemment, soupireront certains) dans ses pages et d'être du même avis que moi sur certains albums de Marillion suffiraient amplement. Mais il faut saluer la connaissance encyclopédique (en 1993, il a co-fondé, avec Olivier Pelletant, la revue spécialisée Big Bang) d'Aymeric Leroy. Je ne m'arrête pas là. Tout au long de ces 450 pages, ce qui saute aux yeux, c'est une lucidité, un sens aigu des nuances qui empêche toute monotonie de s'installer et qui permet chez le lecteur intéressé de bien situer et cerner les formations (les meilleurs albums, les plus faibles, les changements de personnels, la voix des chanteurs, etc) dont il est question. Le vocabulaire musical technique, qui reste incompréhensible pour ma pomme, n'est pas absent pour décrire les nombreux morceaux analysés, mais l'auteur a très bien su se servir d'une sémantique abordable pour les non-musiciens. Ce qui ne manque pas de donner des envies, calepin et stylo à la main, de découvertes réjouissantes pour les oreilles.
Tous les noms cités ne m'étaient pas inconnus, mais le cas Mike Oldfield, par exemple, mérite après lecture des quelques pages qui lui sont dédiées une oreille plus attentive que dégoûtée par la multi-diffusion incessante d'une seule de ses compositions (Moonlight Shadow) ou d'un raccourci de Tubular Bells, immédiatement associée au film L'exorciste. J'ai entrepris la même démarche pour Yes dont le Owner of a Lonely Heart reste le seul morceau déclencheur d'overdose radiophonique.
Publié lui chez Camion Blanc, un éditeur qui force le respect auprès des fans de rock, metal, punk et assimilés (mais pas que...), Anthologie du rock Progressif - Voyages en ailleurs par Jérôme Alberola pourrait être comparé à un festin. Là où A. Leroy a opté tout le long de son livre pour une présentation chronologique et rigoureuse (dans une proportion largement favorable aux années 70) alternant les péripéties des groupes majeurs, J. Alberola nous a concocté un menu en plusieurs parties:
Une entrée copieuse de 150 pages (en cinq sous-parties) traitant des musiques progressives (dans une acceptation très libre qui fera grincer certaines dents) dans leur évolution globale. Suit le plat de résistance, pendant lequel il va nous présenter 144 albums par ordre alphabétique de leur créateur (et quelques dents continueront à grincer...), en deux grandes époques (1967/1979 et 1980/2010), respectivement et à vue de nose, 30% et 70% (en comptant le très agréable trait d'union d'environ 80 pages consacré exclusivement à Marillion) de cette partie principale.
Je pointe le doigt sur cette divergence majeure entre les deux ouvrages, pour signaler à quel point ils sont complémentaires. Si J. Alberola ouvre des portes, cela ne signifie aucunement qu'A. Leroy en a fermées. Les choix assumés de chacun ne sont que constatés et en aucun cas je me permettrai de critiquer férocement l'un ou l'autre. Il est vrai que j'ai fait quelques légers reproches à Aymeric Leroy concernant Beardfish (Destined Solitaire, dernier album en date des Suédois est décortiqué par J. Alberola) et Rush. Il se trouve qu'Alberola est aussi amateur de metal (Iron Maiden en tête) et de ses dérivés progressifs et cela se ressent nettement. Je peux très bien reprocher à ce dernier la quasi absence (on trouve quand même quelques occurrences) de Frank Zappa, artiste tellement protéiforme que certains peuvent même trouver le terme "progressif" réducteur à son sujet. Vous l'aurez compris les reproches s'annulent, puisque ce que l'on ne trouve pas dans l'un, on le trouve dans l'autre, et vice et versa.
Après cette digression comparative, qui j'espère n'aura pas de mauvaises conséquences, revenons à ce plat de résistance. Pour la période 1967/1979, de grands pans de la discographie de Pink Floyd (de The Piper at the Gates of Dawn à The Wall), Genesis (de Nursery Cryme à Trick of the Tail), Camel (entre Mirage et I Can See Your House From Here) et Yes (de Fragile à Tales from Topographic Oceans) sont bien évidemment traités. Parmi les groupes importants les plus "négligés" (les guillemets parce qu'on trouvera notre compte sur ceux-ci avec A. Leroy) King Crimson n'a droit qu'à son premier album, In the Court of the Crimson King, puisque, c'est un point sur lequel tous les violons s'accordent, c'est à lui que revient le titre de tout premier disque de rock progressif. On retrouve Emerson, Lake & Palmer (album éponyme et Trilogy), et Soft Machine et Van Der Graaf Generator n'ont le droit ici qu'à un seul disque (respectivement Volume 2 et Pawn Hearts).
Les lecteurs les plus influençables seront tentés de revoir leur point de vue sur certaines formations qui ont vu une partie de leur discographie occultée par des succès hors proportion. J'ai pour ma part jeté une oreille naïve et non déçue (comme je l'ai fait pour Mike Oldfield et Yes, voir plus haut) aux premiers albums de Supertramp.
Jérôme Alberola ne ménagera pas les puristes en leur réservant quelques surprises (la réaction dépendra de chacun...) comme la présence de... dois-je vraiment gâcher la découverte? Ceux qui veulent savoir n'auront qu'à surligner le texte en blanc: Serge Gainsbourg et Jean-Michel Jarre.
J'ai évoqué plus haut les 80 pages consacrées à Marillion. Avant de passer en revue la discographie complète du groupe (à ce jour, s'entend; albums live et compilations exceptés), J. Alberola s'explique en quelques pages élogieuses mais argumentées sur le pourquoi de cette mise en exergue. Le parcours sans cesse surprenant de Marillion évite le chaotique et peut se targuer d'une imaginative constance. Oui, certains albums sont sans aucun doute plus faibles que d'autres, mais sachons donc leur pardonner (hum, j'ai du mal pour Somewhere Else). Toute cette séquence discographique exhaustive permettra aux fans de comparer leurs points de vue sur tels ou tels albums et aux pas-tout-à-fait-fans ou pas-du-tout-fans d'explorer plus à fond les productions du groupe.
La partie 1980/2010 de l'ouvrage accordera la même exhaustivité pour IQ et Pendragon (à un ou deux albums près pour ce dernier) et se montrera principalement élogieuse à propos de formations incontournables des années 90 comme Porcupine Tree et Spock's Beard (seulement la période 1995-2002, et on ne lui en voudra pas, même si le dernier album X, sorti au même moment que le livre, démontre un agréable retour aux sources. J'avais été quelque peu frustré par l'adjectif "indigeste" employé par Aymeric Leroy à propos de Snow, à mes yeux le meilleur album des américains avec que Neil Morse déraille). The Flower Kings sont bien sûr de la fête, même s'il leur est reproché leur relative irrégularité. Les deux albums (Back in the World of Adventures et Adam & Eve) cités pour ce groupe suédois, mené par le très occupé Roine Stolt, ne sont pas à mon avis les plus appropriés.
Parmi les nombreuses entrées isolées, on remarquera la présence des grosses pointures des années 70: Pink Floyd et leurs controversés deux derniers albums; le Calling All Stations de Genesis, malheureusement seul album avec Ray Wilson au chant, que l'auteur considère comme une sorte de rédemption des années 80 (suis-je le seul à aimer les deux grandes époques de leur parcours? et tiens, pendant que j'y suis, Bret Easton Ellis a écrit, par le prisme du personnage principal d'America Psycho, quelques lignes à propos du Genesis des 80's que les curieux iront chercher); et Yes qui, pour des raisons de droits, sortait en 1989 Anderson Bruford Wakeman Howe.
Certaines formations obscures (After Crying, Seven Reizh...) sont si bien accueillies dans ces pages que, si vous n'en êtes pas familiers, vous effectuerez quelques recherches poussés par la curiosité ou l'envie de découverte. Cela a été mon cas par exemple pour Frost et Unitopia notamment.
Jérôme Alberola continue aussi à agacer les puristes en citant Muse, Radiohead (cité aussi par Aymeric Leroy comme un des groupes les plus novateurs des années 90) ou Röyksopp (dont la propension à être utilisé comme bande-son pour des publicités, à l'instar du surestimé Moby, freine toute mon envie de faire confiance à l'auteur et de jeter une oreille plus attentive à leur compositions). Il est donc fortement conseillé de se munir d'un esprit très ouvert pour ne pas hurler à l'hérésie. Le mien à ses limites mais l'"audace" d'Alberola ne m'a pas choqué, elle m'a plutôt fait sourire, non par désaccord, mais parce que au-delà de la surprise première, les plus indulgents liront ses arguments et mettront en question leur imperméabilité à certains préjugés. Un autre français aura le droit d'être loué pour un de ces albums, choix surprenant encore une fois... mais je vous laisse la découverte.
Plusieurs petites annexes (présentation des têtes pensantes/leaders, morceaux particulièrement longs, survol de groupes non progressifs, bibliographie) clôturent le tout avec en bonus une ouverture non négligeable (avec Dream Theater, Symphony X et... Iron Maiden) sur le prog-metal (qui mériterait un ouvrage à lui tout seul). Évolution du progressif au sens large oblige, l'auteur ne pouvait passer outre (il se limite toutefois) cette subdivision toujours en expansion.
Quelques lignes concernant des détails formels. Le ton employé par l'auteur (il le revendique haut et fort) se laisse aller à des envolées passionnées que certains pourront juger too much (ils préfèreront l'efficace sobriété d'Aymeric Leroy), mais cela contribue en grande partie à convaincre le lecteur. Après tout, la retenue et l'exubérance sont les dynamiques importantes même des musiques progressives dans leur ensemble varié et parfois paradoxal.
Les raisons ne sont pas exposées, mais même si la présence de photos illustre l'ouvrage, aucune pochette d'album n'est reproduite (elles le sont par A. Leroy et Le Mot et le Reste). Est-ce une question de budget ou la volonté d'exercer l'imagination des lecteurs qui ne connaissent pas les pochettes? Peu importe au fond.
Avant de clôturer mon compte rendu d'une lecture étalée sur plusieurs mois, je tiens particulièrement à signaler que les deux auteurs ne se connaissent pas (peut-être cela a-t-il changé). Toutefois, dans Voyages en ailleurs, page 39, Jérôme Alberola salue respectueusement, and I quote, l'"investissement épatant" des "administrateurs actifs et assidus [des sites spécialisés sur Internet]" et en cite quelques-uns nommément, dont, fin du suspense, Aymeric Leroy. En fin d'ouvrage, la bibliographie d'Alberola fait également état de la sortie de la publication du Mot et du Reste, tout en précisant "non lu" mais "semble conforme à l'érudition de son auteur". Vous l'aurez donc compris, toute tentative d'opposer les deux publications, malgré les comparaisons que je me suis permis, serait pour le moins stupide.
Nous avons affaire à deux passionnés qui donnent envie, quelque soit le niveau de connaissance du lecteur, de réécouter ce qu'il connaît déjà et d'écouter d'autres groupes qu'il connaît trop peu voire pas du tout. Peut-être que certains lecteurs ne connaissent après tout de Pink Floyd que The Wall ou de Genesis que We Can't Dance. Malgré les différences formelles de leur présentation, les choix qu'ils assument, les controverses qu'ils peuvent potentiellement déclencher auprès des chipoteurs et autres puristes (aux esprits moins ouverts qu'on pourrait le penser), Aymeric Leroy et Jérôme Alberola, à défaut d'être les premiers à s'être attelés à la tâche, méritent des remerciements chaleureux de la part des nombreux fans qui liront soit l'un d'entre eux soit les deux. Et je peux vous assurer que les quelques 1200 pages combinées compensent largement, en satisfactions et découvertes, le trou dans le portefeuille.
Rock Progressif, Aymeric Leroy, Le Mot et le Reste, coll. "Formes", 452 p., 25€.
Anthologie du Rock Progressif - Voyages en ailleurs, Jérôme Alberola, Camin Blanc, 808 p., 38€.
Mouvement créatif et ambitieux à ses débuts, le rock progressif a singulièrement souffert des sautes d'humeurs de critiques opportunistes (ou déçus?) puis, à l'instar du jazz, par l'arrivée inéluctable des horribles années 80 sur lesquelles on s'extasie encore à coups d'émissions spéciales et autres compilations depuis trop longtemps. Peu de groupes ont ainsi survécu à l'appauvrissement dû au formatage systématique de la production musicale. Mais l'ouvrage porte aussi un regard objectif sur les groupes eux-mêmes en mettant en lumière leurs propres responsabilités, parfois véritables actes de sabordage (renouvellement incertain, embourbement dans les clichés du genre, mauvaises stratégies commerciales...).
Non, je ne prendrai pas Genesis pour exemple, le virage pop avec Phil Collins ne m'a jamais gêné contrairement aux puristes. Il faut dire que je n'ai commencé à écouter ce groupe au moment où ledit Philton a quitté le navire et qu'il m'est impossible de ressentir la trahison de ceux qui les suivaient depuis l'ère Peter Gabriel. Par contre, je peux m'en faire une idée en vue du parcours des américains de Spock's Beard (un des fers de lance du revival des années 90) qui présente des coïncidences avec celui de Genesis, qui ne sont pas pointées, par oubli ou par omission, dans l'ouvrage dont je parle.
Je suis tenté de reprocher à l'auteur des détails sur lesquels il s'est intelligemment justifié dès le préambule: il était impossible, et parfois inutile, de s'attarder sur certains groupes. Mais je vais faire ma tête de mule en pointant du doigt le survol injuste de la carrière de Rush (dont la première mention se situe à la page 374!) et l'omission de Beardfish, groupe suédois des années 2000, qui aurait mérité d'être cité au moins rapidement pour les lecteurs qui ne connaissent pas.
Bon, je tourne la page coup de gueule pour passer à celles des éloges. Me gratifier à plusieurs reprises de la présence de Frank Zappa (bien évidemment, soupireront certains) dans ses pages et d'être du même avis que moi sur certains albums de Marillion suffiraient amplement. Mais il faut saluer la connaissance encyclopédique (en 1993, il a co-fondé, avec Olivier Pelletant, la revue spécialisée Big Bang) d'Aymeric Leroy. Je ne m'arrête pas là. Tout au long de ces 450 pages, ce qui saute aux yeux, c'est une lucidité, un sens aigu des nuances qui empêche toute monotonie de s'installer et qui permet chez le lecteur intéressé de bien situer et cerner les formations (les meilleurs albums, les plus faibles, les changements de personnels, la voix des chanteurs, etc) dont il est question. Le vocabulaire musical technique, qui reste incompréhensible pour ma pomme, n'est pas absent pour décrire les nombreux morceaux analysés, mais l'auteur a très bien su se servir d'une sémantique abordable pour les non-musiciens. Ce qui ne manque pas de donner des envies, calepin et stylo à la main, de découvertes réjouissantes pour les oreilles.
Tous les noms cités ne m'étaient pas inconnus, mais le cas Mike Oldfield, par exemple, mérite après lecture des quelques pages qui lui sont dédiées une oreille plus attentive que dégoûtée par la multi-diffusion incessante d'une seule de ses compositions (Moonlight Shadow) ou d'un raccourci de Tubular Bells, immédiatement associée au film L'exorciste. J'ai entrepris la même démarche pour Yes dont le Owner of a Lonely Heart reste le seul morceau déclencheur d'overdose radiophonique.
Publié lui chez Camion Blanc, un éditeur qui force le respect auprès des fans de rock, metal, punk et assimilés (mais pas que...), Anthologie du rock Progressif - Voyages en ailleurs par Jérôme Alberola pourrait être comparé à un festin. Là où A. Leroy a opté tout le long de son livre pour une présentation chronologique et rigoureuse (dans une proportion largement favorable aux années 70) alternant les péripéties des groupes majeurs, J. Alberola nous a concocté un menu en plusieurs parties:
Une entrée copieuse de 150 pages (en cinq sous-parties) traitant des musiques progressives (dans une acceptation très libre qui fera grincer certaines dents) dans leur évolution globale. Suit le plat de résistance, pendant lequel il va nous présenter 144 albums par ordre alphabétique de leur créateur (et quelques dents continueront à grincer...), en deux grandes époques (1967/1979 et 1980/2010), respectivement et à vue de nose, 30% et 70% (en comptant le très agréable trait d'union d'environ 80 pages consacré exclusivement à Marillion) de cette partie principale.
Je pointe le doigt sur cette divergence majeure entre les deux ouvrages, pour signaler à quel point ils sont complémentaires. Si J. Alberola ouvre des portes, cela ne signifie aucunement qu'A. Leroy en a fermées. Les choix assumés de chacun ne sont que constatés et en aucun cas je me permettrai de critiquer férocement l'un ou l'autre. Il est vrai que j'ai fait quelques légers reproches à Aymeric Leroy concernant Beardfish (Destined Solitaire, dernier album en date des Suédois est décortiqué par J. Alberola) et Rush. Il se trouve qu'Alberola est aussi amateur de metal (Iron Maiden en tête) et de ses dérivés progressifs et cela se ressent nettement. Je peux très bien reprocher à ce dernier la quasi absence (on trouve quand même quelques occurrences) de Frank Zappa, artiste tellement protéiforme que certains peuvent même trouver le terme "progressif" réducteur à son sujet. Vous l'aurez compris les reproches s'annulent, puisque ce que l'on ne trouve pas dans l'un, on le trouve dans l'autre, et vice et versa.
Après cette digression comparative, qui j'espère n'aura pas de mauvaises conséquences, revenons à ce plat de résistance. Pour la période 1967/1979, de grands pans de la discographie de Pink Floyd (de The Piper at the Gates of Dawn à The Wall), Genesis (de Nursery Cryme à Trick of the Tail), Camel (entre Mirage et I Can See Your House From Here) et Yes (de Fragile à Tales from Topographic Oceans) sont bien évidemment traités. Parmi les groupes importants les plus "négligés" (les guillemets parce qu'on trouvera notre compte sur ceux-ci avec A. Leroy) King Crimson n'a droit qu'à son premier album, In the Court of the Crimson King, puisque, c'est un point sur lequel tous les violons s'accordent, c'est à lui que revient le titre de tout premier disque de rock progressif. On retrouve Emerson, Lake & Palmer (album éponyme et Trilogy), et Soft Machine et Van Der Graaf Generator n'ont le droit ici qu'à un seul disque (respectivement Volume 2 et Pawn Hearts).
Les lecteurs les plus influençables seront tentés de revoir leur point de vue sur certaines formations qui ont vu une partie de leur discographie occultée par des succès hors proportion. J'ai pour ma part jeté une oreille naïve et non déçue (comme je l'ai fait pour Mike Oldfield et Yes, voir plus haut) aux premiers albums de Supertramp.
Jérôme Alberola ne ménagera pas les puristes en leur réservant quelques surprises (la réaction dépendra de chacun...) comme la présence de... dois-je vraiment gâcher la découverte? Ceux qui veulent savoir n'auront qu'à surligner le texte en blanc: Serge Gainsbourg et Jean-Michel Jarre.
J'ai évoqué plus haut les 80 pages consacrées à Marillion. Avant de passer en revue la discographie complète du groupe (à ce jour, s'entend; albums live et compilations exceptés), J. Alberola s'explique en quelques pages élogieuses mais argumentées sur le pourquoi de cette mise en exergue. Le parcours sans cesse surprenant de Marillion évite le chaotique et peut se targuer d'une imaginative constance. Oui, certains albums sont sans aucun doute plus faibles que d'autres, mais sachons donc leur pardonner (hum, j'ai du mal pour Somewhere Else). Toute cette séquence discographique exhaustive permettra aux fans de comparer leurs points de vue sur tels ou tels albums et aux pas-tout-à-fait-fans ou pas-du-tout-fans d'explorer plus à fond les productions du groupe.
La partie 1980/2010 de l'ouvrage accordera la même exhaustivité pour IQ et Pendragon (à un ou deux albums près pour ce dernier) et se montrera principalement élogieuse à propos de formations incontournables des années 90 comme Porcupine Tree et Spock's Beard (seulement la période 1995-2002, et on ne lui en voudra pas, même si le dernier album X, sorti au même moment que le livre, démontre un agréable retour aux sources. J'avais été quelque peu frustré par l'adjectif "indigeste" employé par Aymeric Leroy à propos de Snow, à mes yeux le meilleur album des américains avec que Neil Morse déraille). The Flower Kings sont bien sûr de la fête, même s'il leur est reproché leur relative irrégularité. Les deux albums (Back in the World of Adventures et Adam & Eve) cités pour ce groupe suédois, mené par le très occupé Roine Stolt, ne sont pas à mon avis les plus appropriés.
Parmi les nombreuses entrées isolées, on remarquera la présence des grosses pointures des années 70: Pink Floyd et leurs controversés deux derniers albums; le Calling All Stations de Genesis, malheureusement seul album avec Ray Wilson au chant, que l'auteur considère comme une sorte de rédemption des années 80 (suis-je le seul à aimer les deux grandes époques de leur parcours? et tiens, pendant que j'y suis, Bret Easton Ellis a écrit, par le prisme du personnage principal d'America Psycho, quelques lignes à propos du Genesis des 80's que les curieux iront chercher); et Yes qui, pour des raisons de droits, sortait en 1989 Anderson Bruford Wakeman Howe.
Certaines formations obscures (After Crying, Seven Reizh...) sont si bien accueillies dans ces pages que, si vous n'en êtes pas familiers, vous effectuerez quelques recherches poussés par la curiosité ou l'envie de découverte. Cela a été mon cas par exemple pour Frost et Unitopia notamment.
Jérôme Alberola continue aussi à agacer les puristes en citant Muse, Radiohead (cité aussi par Aymeric Leroy comme un des groupes les plus novateurs des années 90) ou Röyksopp (dont la propension à être utilisé comme bande-son pour des publicités, à l'instar du surestimé Moby, freine toute mon envie de faire confiance à l'auteur et de jeter une oreille plus attentive à leur compositions). Il est donc fortement conseillé de se munir d'un esprit très ouvert pour ne pas hurler à l'hérésie. Le mien à ses limites mais l'"audace" d'Alberola ne m'a pas choqué, elle m'a plutôt fait sourire, non par désaccord, mais parce que au-delà de la surprise première, les plus indulgents liront ses arguments et mettront en question leur imperméabilité à certains préjugés. Un autre français aura le droit d'être loué pour un de ces albums, choix surprenant encore une fois... mais je vous laisse la découverte.
Plusieurs petites annexes (présentation des têtes pensantes/leaders, morceaux particulièrement longs, survol de groupes non progressifs, bibliographie) clôturent le tout avec en bonus une ouverture non négligeable (avec Dream Theater, Symphony X et... Iron Maiden) sur le prog-metal (qui mériterait un ouvrage à lui tout seul). Évolution du progressif au sens large oblige, l'auteur ne pouvait passer outre (il se limite toutefois) cette subdivision toujours en expansion.
Quelques lignes concernant des détails formels. Le ton employé par l'auteur (il le revendique haut et fort) se laisse aller à des envolées passionnées que certains pourront juger too much (ils préfèreront l'efficace sobriété d'Aymeric Leroy), mais cela contribue en grande partie à convaincre le lecteur. Après tout, la retenue et l'exubérance sont les dynamiques importantes même des musiques progressives dans leur ensemble varié et parfois paradoxal.
Les raisons ne sont pas exposées, mais même si la présence de photos illustre l'ouvrage, aucune pochette d'album n'est reproduite (elles le sont par A. Leroy et Le Mot et le Reste). Est-ce une question de budget ou la volonté d'exercer l'imagination des lecteurs qui ne connaissent pas les pochettes? Peu importe au fond.
Avant de clôturer mon compte rendu d'une lecture étalée sur plusieurs mois, je tiens particulièrement à signaler que les deux auteurs ne se connaissent pas (peut-être cela a-t-il changé). Toutefois, dans Voyages en ailleurs, page 39, Jérôme Alberola salue respectueusement, and I quote, l'"investissement épatant" des "administrateurs actifs et assidus [des sites spécialisés sur Internet]" et en cite quelques-uns nommément, dont, fin du suspense, Aymeric Leroy. En fin d'ouvrage, la bibliographie d'Alberola fait également état de la sortie de la publication du Mot et du Reste, tout en précisant "non lu" mais "semble conforme à l'érudition de son auteur". Vous l'aurez donc compris, toute tentative d'opposer les deux publications, malgré les comparaisons que je me suis permis, serait pour le moins stupide.
Nous avons affaire à deux passionnés qui donnent envie, quelque soit le niveau de connaissance du lecteur, de réécouter ce qu'il connaît déjà et d'écouter d'autres groupes qu'il connaît trop peu voire pas du tout. Peut-être que certains lecteurs ne connaissent après tout de Pink Floyd que The Wall ou de Genesis que We Can't Dance. Malgré les différences formelles de leur présentation, les choix qu'ils assument, les controverses qu'ils peuvent potentiellement déclencher auprès des chipoteurs et autres puristes (aux esprits moins ouverts qu'on pourrait le penser), Aymeric Leroy et Jérôme Alberola, à défaut d'être les premiers à s'être attelés à la tâche, méritent des remerciements chaleureux de la part des nombreux fans qui liront soit l'un d'entre eux soit les deux. Et je peux vous assurer que les quelques 1200 pages combinées compensent largement, en satisfactions et découvertes, le trou dans le portefeuille.
Rock Progressif, Aymeric Leroy, Le Mot et le Reste, coll. "Formes", 452 p., 25€.
Anthologie du Rock Progressif - Voyages en ailleurs, Jérôme Alberola, Camin Blanc, 808 p., 38€.
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