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dimanche 13 juin 2010

They're Pretty Good Musicians: Rock Progressif de Aymeric Leroy


Les éditions Le Mot et le Reste commencent, mine de rien, à bien être représentées dans ce blog: deux chroniques publiées par Taly (Au-delà du Rock et L'underground musical en France) et après One Size Fits All, Eric Dolphy et Pink Floyd (du même Aymeric Leroy), en voici une quatrième de ma part.

Rock Progressif a bénéficié le 2 juin dernier d'une présentation à la librairie L'Arbre à Lettres (celle proche de Denfert-Rochereau), occasion pour moi de rencontrer l'auteur du Pink Floyd cité plus haut ainsi que la personne (que je n'ai malheureusement pas croisée) qui m'a informé, bien qu'involontairement, de l'événement via Facebook (salut et merci, Charlotte).

Définition grossièrement résumée, le rock progressif fut un mouvement ambitieux et libertaire qui voulait s'émanciper du carcan étroit du rock basique, notamment par l'introduction d'instruments inhabituels, une profusion d'idées dans les morceaux (l'instrumental était donc préféré au chanté) et par de longues suites variant selon la longueur du disque au fil des décennies.

Un si joli pavé de 450 pages sur un style musical qui me passionne depuis plus d'une dizaine d'années ne pouvait me laisser indifférent. Enfin, relativement passionné puisque je ne connaissais, Genesis excepté, que de manière purement discographique les groupes principalement évoqués (Yes, King Crimson, Emerson, Lake & Palmer, Soft Machine, entre autres). S'attardant pour l'écrasante majorité sur les années 70 (logique et pertinent), l'auteur alterne, sur une trame chronologique, avec ces pionniers (anglais pour la plupart), leur consacrant quelques pages pour chaque album et son contexte (bien plus que musical), ne négligeant même pas les incartades solo et autres projets de certains musiciens.

La carrière chaotique de King Crimson, la grandiloquence mal comprise d'Emerson, Lake & Palmer, la sobriété de Pink Floyd (encore eux), l'influence grandissante du jazz sur Soft Machine, les intuitions autodidactes et alchimiques de Yes, la poésie sombre et torturée de Van Der Graaf Generator... voici surtout dont est composée l'histoire du rock progressif.

Les scènes européenne (Ange et Magma en France, Le Orme et PFM en Italie, Focus en Hollande...) et américaine (Kansas, les Québécois de Harmonium, Rush) ne sont pas sous-évaluées et c'est dans ces pages que le fan que je suis réalise, qu'en plus d'ignorer beaucoup de choses sur les poids lourds, n'a qu'une connaissance très limitée de ce style musical.

Mouvement créatif et ambitieux à ses débuts, le rock progressif a singulièrement souffert des sautes d'humeurs de critiques opportunistes (ou déçus?) puis, à l'instar du jazz, par l'arrivée inéluctable des horribles années 80 sur lesquelles on s'extasie encore à coups d'émissions spéciales et autres compilations depuis trop longtemps. Peu de groupes ont ainsi survécu à l'appauvrissement dû au formatage systématique de la production musicale. Mais l'ouvrage porte aussi un regard objectif sur les groupes eux-mêmes en mettant en lumière leurs propres responsabilités, parfois véritables actes de sabordage (renouvellement incertain, embourbement dans les clichés du genre, mauvaises stratégies commerciales...).

Non, je ne prendrai pas Genesis pour exemple, le virage pop avec Phil Collins ne m'a jamais gêné contrairement aux puristes. Il faut dire que je n'ai commencé à écouter ce groupe au moment où ledit Philton a quitté le navire et qu'il m'est impossible de ressentir la trahison de ceux qui les suivaient depuis l'ère Peter Gabriel. Par contre, je peux m'en faire une idée en vue du parcours des américains de Spock's Beard (un des fers de lance du revival des années 90) qui présente des coïncidences stupéfiantes avec celui de Genesis, qui ne sont pas pointées, par oubli ou par omission, dans l'ouvrage dont je parle.

Du côté du négatif, je suis tenté de reprocher à l'auteur des détails sur lesquels il s'est intelligemment justifié dès le préambule: il était impossible, et parfois inutile, de s'attarder sur certains groupes. Mais je vais faire ma tête de mule en pointant du doigt le survol injuste de la carrière de Rush (dont la première mention se situe à la page 374!) et l'omission de Beardfish, groupe suédois des années 2000, qui aurait mérité d'être cité au moins rapidement pour les lecteurs qui ne connaissent pas. Bon, je tourne la page coup de gueule pour passer à celles des éloges.

Me gratifier à plusieurs reprises de la présence de Frank Zappa (bien évidemment, soupireront certains) dans ses pages et d'être du même avis que moi sur certains albums de Marillion suffiraient amplement. Mais il faut saluer la connaissance encyclopédique (en 1993, il a co-fondé, avec Olivier Pelletant, la revue spécialisée Big Bang, c'est un peu de la triche) d'Aymeric Leroy. Je ne m'arrête pas là. Tout au long de ces 450 pages, ce qui saute aux yeux, c'est une lucidité, un sens aigu des nuances qui empêche toute monotonie de s'installer et qui permet chez le lecteur intéressé de bien situer et cerner les formations (les meilleurs albums, les plus faibles, les changements de personnels, la voix des chanteurs, etc) dont il est question. Le vocabulaire musical technique, qui reste incompréhensible pour ma pomme, n'est pas absent pour décrire les nombreux morceaux analysés, mais l'auteur a très bien su se servir d'une sémantique abordable pour les non-musiciens. Ce qui ne manque pas de donner des envies, calepin et stylo à la main, de découvertes réjouissantes pour les oreilles.

Merci à Aymeric de m'avoir remercié suite à mon article sur Pink Floyd, la dernière fois que mon nom était cité, c'était un homonyme photographe et breton (et réciproquement). Je le serai très probablement sur le prochain (qui parlera de quoi ou de qui? une thèse hypothétique et uchronique (un des mots préférés de Taly avec "néo-folk") du parcours avorté de Jean-Jacques Goldman dans le rock progressif français?) et je l'en remercie d'avance.


Rock Progressif, Aymeric Leroy, Le Mot et le Reste, coll. "Formes", 25€.

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