Ils nous préviennent juste avant d'attaquer le premier tome: l'histoire est "librement inspirée du roman de Mark Twain". Alors n'allez pas grogner, bande de puristes fanatiques, et laisser donc la créativité de Philippe Thirault et Steve Cuzor aller son cours. Bon d'accord, j'admets ma perplexité première en réaction à certains détails: Tom n'est pas Tom Sawyer mais Tom Finn, grand frère de Huck et il n'est ni le gentil gamin débrouillard (personnage nostalgique du roman éponyme) ni le petit pervers censé représenter la dégénérescence du Sud (personnage plus controversé dans l'original Huckleberry Finn). L'époque n'est pas non plus la même: de la presque fin du dix-neuvième siècle, l'aventure est reportée aux années 1930, chose qui acquiert une cohérence si l'on se penche un peu sur les parcours croisés des auteurs (Miss pour Philippe Thirault et Blackjack pour Steve Cuzor.)
Mark Twain ne se retourne pas dans sa tombe, l'histoire bifurque et il serait crétin de se plaindre de cette voie alternative. Beaucoup de points communs bien sûr, le père Finn alcoolique et violent, l'indépendance de Huck, complètement imperméable à ce que la bonne société veut lui inculquer, sa naïveté, les choix auxquels il est confronté et surtout son amitié avec cet avatar de l'esclave Jim qu'est Charley Williams.
Les circonstances de leur fuite en tandem présentent aussi quelques divergences, même si Huck simule sa mort de la même façon, Charley va être suspecté et recherché pour ce meurtre censé accusé le père Finn (Jim s'échappait pour ne pas être vendu). Les différences qui stimulent le mouvement de l'intrigue sont d'une part la recherche de Tom, porté disparu, mais qui semble être le chef fantomatique d'une organisation syndicale sous le surnom de Snake et d'autre part les aspirations musicales de Charley. Ces dernières justifient l'époque des années trente puisque Charley rencontre à l'occasion d'un concours de blues un étrange musicien appelé Lucius Brown qui n'est autre qu'une incarnation fictive du légendaire...mais chut, j'en dis trop. Le blues ponctuent donc de quelques notes les deux tomes déjà parus. A noter que Steve Cuzor a illustré le BD Blues (Ed. Nocturnes) consacré à Leadbelly.
Entre western et road-BD, c'est aussi l'occasion de décrire la vies des white trash, hobos, et autres figures itinérantes du Sud des États-Unis, toujours à la recherche d'un coin où prospérer ou, au moins, survivre.
Mon vocabulaire technique concernant la bande dessinée étant très limité, je me contenterai de dire que les couvertures sont très jolies et que j'aime beaucoup le dessin de Cuzor. Ouais, limité à ce point là, désolé. Du point de vue du scénario, les virages que prennent les rebondissements mènent très agréablement vers un quelque part (reprenant des épisodes du roman adapté ou pas?) qui nous sera révélé que dans le troisième tome, sans date de sortie prévue mais avec un titre, peut-être provisoire, sinon certain: Midnight Crossroad.
O'Boys n'est donc pas à proprement parlé une adaptation BD des Aventures de Huckleberry Finn, mais une variante qui répond à un besoin des auteurs à revisiter des thèmes qui leur sont chers (le peu de renseignements glanés sur leur parcours respectifs donnent envie de creuser un peu, d'ailleurs) ou apporter leur contribution aux recréations d'une œuvre et ainsi l'enrichir.
Interview de P. Thirault sur France 2 (attention, plusieurs vidéos enchaînées): http://www.france2.fr/bd/index.php?page=bd-bande-dessinee-videos&id_document=3997
Courte interview par ActuaBD: http://www.actuabd.com/S-Cuzor-P-Thirault-O-Boys-est-une-ballade-sur-l-humanite-sur-la-relation-entre-les-gens
La bande-annonce promotionnelle de Dargaud: http://www.dargaud.com/front/albums/dossiers/dossier.aspx?id=106
O'Boys t.1: Le Sang du Mississippi et t.2: Deux chats gais sur un train brûlant, Philippe Thirault (scénario) et Steve Cuzor (dessin, et couleur avec Meephe Versaevel), Dargaud, 13,50€ pièce.
3 commentaires:
Lu les deux premiers tomes. Le dessin n'est pas révolutionnaire, ressemble beaucoup à celui d'Hermann - ce qui est loin d'être une insulte.
Le scénario est proprement ahurissant, on croit effectivement se retrouver avec une resucée d'Huckleberry Finn, et au final on lit une chronique brûlante et enfiévrée sur la vie des hobos. Poisseux, jubilatoire, extatique lorsqu'elle parle de blues, cette BD est un must-have pour comprendre la culture américaine d'avant-guerre.
Excellente BD,effectivement super bien documenté sur les hobos de l'époque (on y croise même un précurseur de Jack Kerouac qui lit "The Road"). L'amitié entre un blanc et un noir à l'époque est très bien décrite surtout qu'ils sont avant tout pauvre! Bref une bd à conseiller pour les ados et les moins ados!
Merci de votre visite et pour votre commentaire Thierry. Il faut noter que le troisième tome est sorti en avril 2012.
Enregistrer un commentaire