Dans une note adressée aux libraires, le directeur de la "Série Noire", Aurélien Masson, ne laisse aucun doute sur la qualité de ce Quai des enfers. Entre autres, il "n'hésite pas à dire que c'est le meilleur premier roman policier qu'[il] a publié à ce jour". Alors qui ne se dit pas, sceptique, qu'il ne fait qu'appliquer un argument de vente? Mais le libraire impressionnable qui aime le polar se laisse tenter juste en feuilletant quelques pages...
Tout commence avec une barque trouvée par la police fluviale de Paris. Rémi Jullian, amoureux de Paris et seul personnage de cette entame à ne pas disparaître dans les méandres de l'intrigue, découvre ce cadavre de femme aux cheveux noirs et lisses, enveloppée dans un drap blanc. Aucune violence visible, une mort "propre" qui déstabilise mais qui sent à plein nez la mise en scène.
C'est Jonathan Desprez, dit Jo, qui sera chargé de l'affaire. Des circonstances irritantes, un ami parfumeur qu'il faut interroger, l'interruption de ses vacances de fin d'année en famille... L'enquête mènera dans le milieu fermé de l'art sombre, décadent, musique industrielle à la Nine Inch Nails, tableaux, vivants ou morts, d'un mélancolique macabre. Toute l'affaire semble être bouclée au milieu du roman qui prendra un beau virage dans la violence moins maîtrisée, et dans la remise en question des enquêteurs.
Le statut de personnage principal reste relatif. Tous ses collaborateurs, les victimes, les coupables, et les autres (comme Steve, le SDF ami de Rémi) bénéficient de mises en lumière aussi précises les unes que les autres. Dans cette multitude de personnages, un restera pourtant une zone d'ombre jusqu'aux dernières pages, mais chut, vous ne le réaliserez peut-être qu'à ce moment.
Toujours selon les mots d'Aurélien Masson, "ce livre est le fruit d'une enquête de terrain de longue de plusieurs mois". Nous sommes embarqués au fil de l'enquête (ouah, deux clichés en un, qui peut mieux faire?), où sont intégrées des digressions propres aux métiers, fonctions, grade ou même hobbies des personnages. Et c'est là qu'il faut noter la maîtrise d'Ingrid Astier: le vocabulaire est d'une richesse digne d'une standing ovation. Que ce soit dans le domaine policier et ses subdivisions ou de l'art dans toutes ses formes, de différents jargons sont utilisés avec un excellent dosage, elle ne nous perd pas dans des termes obscurs ou hermétiques. (Dans le domaine culinaire, ne soyez pas étonnés, l'auteure s'y est déjà illustrée avant le polar.) De subtils jeux de mots ne sont repérés parfois qu'en deuxième lecture. Les dialogues trahissent très rarement des défauts et les clichés qu'on croit entr'apercevoir... n'en sont finalement pas. Un régal stylistique et sémantique.
Sur la liste du Prix du Roman Noir 2010 (BibliObs-Le Nouvel Observateur), Quai des enfers semble être déjà repéré par nombre d'amateurs comme l'avait fait Zulu de Caryl Férey. Toutefois ne vous trompez pas, la "Série Noire" ne nous ressert pas la même recette. Les deux livres sont très différents dans leur ambiance et n'ont en commun qu'une qualité d'écriture qu'on a du mal à trouver... autre part (je me suis déjà fait assez d'ennemis comme ça).
Un dernier mot aux libraires: conseillez-le.
Bonus:
-des interviews, très riches:
-un billet audio:
-un avis plus nuancé:
Quai des enfers, Ingrid Astier, Gallimard, coll. "Série Noire", 17,50€.
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