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lundi 28 décembre 2009

Color our world blackened: Zulu de Caryl Férey


Il y a peut-être 3 ou 4 ans maintenant, j'avais beaucoup regretté qu'une revue comme feu Shangaï Express n'ait pu continuer ses efforts au-delà du quatrième numéro. Pas seulement parce que j'ai eu la mauvaise idée de m'y abonner (45€ que je n'ai pas récupérés, d'ailleurs), mais aussi parce qu'elle promettait une qualité suffisante pour combler le vide laissé par Mystère-Magazine (que je suis bien évidemment trop jeune pour avoir connu, mais que je collectionne).

Une histoire de Caryl Férey, dont je ne saurai jamais la fin (quoiqu'en cherchant...), était proposée chaque mois, par épisode, dans Shangaï Express. Assez prometteuse pour figer le nom de son auteur dans mon crâne. Un ou deux romans (Haka et Utu fresque-dyptique australo-néo-zélandaise particulièrement) s'était donc ajoutés à une liste virtuelle de prochaines lectures.

Je ne raconterai pas de bobards en vous disant que j'avais lu Zulu lors de sa sortie en avril 2008 et que j'avais prédit tous les prix qu'il allait recevoir. Bien au contraire, le service de presse gentiment fourni par Gallimard est resté, à mon grand regret, trop longtemps dans le débarras au fond de la boutique. Oh j'avais bien l'intention de l'ouvrir un jour où l'autre, et il restait dans un coin de ma tête. Les Prix ont contribué certes à me décider de le faire mais c'est une cliente qui a enfoncé le clou (expression bien choisie, n'est-ce pas, si vous avez déjà lu le bouquin). Une cliente avisée et amatrice de bons polars qui vous dit que c'est le "coup de poing" de l'année est un argument décisif. "C'est pas toi, logiquement qui aurait dû lui conseiller le bouquin, à l'origine?" Eh bien euh... d'abord, euh, c'est pas le sujet du débat, recentrons tout ça, voulez-vous? (Ouf, belle pirouette)

Zulu a pour cadre l'Afrique du Sud où, comme chacun sait, tout se passe bien depuis la fin de l'Apartheid. Si bien que l'imminente Coupe du Monde de saut en parachute à trottinette avec cocktail à la main s'y déroulera très prochainement. Hein? de football? c'est ce que j'ai dit. Il y a juste quelques petits détails à régler pour accueillir correctement les touristes.

Le Zulu en question, c'est Ali Neuman, chef de la police criminelle de Cape Town. Lui et ses subordonnés Brian Epkeen et Dan Fletcher vont mettre le pied dans une affaire dont l'échelle atteint des sphères insoupçonnées à premières vues. Mafias nigérienne et américaine, drogues bien plus puissantes qu'un Schoko-Bons doublé d'un mini Snickers (vous avez déjà essayé?), et violence des townships, voici les ingrédients principaux.

Les personnages, cabossés par des tragédies passées et présentes, bénéficient d'une consistance qu'il faut saluer. La narration est aussi rude que les rues qu'ils sillonnent, aussi impitoyable que les atrocités qu'elle leur réserve. De temps en temps, quelques courtes phrases tentent d'adoucir le tout. Distillées au compte-gouttes, elles trahissent l'humanité qui s'est planquée de peur de détonner dans cette toile aux couleurs sombres. L'enquête à proprement parlé est ponctuée de scènes coup-de-boule, concoctées avec amour, on en doute pas. Rangez vos zygomatiques, vous n'en verrez, presque, pas l'utilité.

De nombreuses digressions historiques ou sociales permettent d'avoir un aperçu de l'état du pays. D'une apparence très documentaire, elles ne sont toutefois pas aussi déprimantes qu'une lecture de la dernière édition de L'état du monde, chez La Découverte (faut être blindé dans les sens figuré et argotique, autant pour les écrire que pour les lire). Un bel effort de l'auteur pour intégrer une documentation pertinente (pour ne pas dire pointue), citée à la fin du livre (entre autres, deux références chez L'Harmattan et une chez Karthala, v'voyez...).

Zulu est un parfait complément aux enquêtes de Francis Zondi, La Mémoire courte et Le Noir qui marche à pied (http://ranatoad.blogspot.com/2008/08/la-page-noire.html) écrites par Louis-Ferdinand Despreez, qui lui est originaire d'Afrique du Sud. Originaire de Caen (y'en a qui connaissent, oh oh), Caryl Férey a beaucoup voyagé dans les pays qu'il décrit. La lecture des trois romans pourrait être sujet à débat. Ces deux auteurs noircissent-ils le tableau?

Avant d'aller me faire un poulet au barbecue, voici quand même une interview de l'auteur qui met certains détails en lumière, suivie d'une chronique dont le résumé est un peu trop pompé sur la quatrième (vous comprenez pourquoi j'évite lâchement cet esquif quand l'intrigue du polar atteint une certaine complexité?): http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article2079.
Et, juste à titre indicatif, l'impressionnant palmarès (pompé sur Wikipédia): Grand prix de Littérature Policière 2008, Prix du Roman Noir Nouvel Observateur/Bibliops 2009, Grand Prix des Lectrices de Elle, catégorie Policier 2009, Prix Jean Amila-Meckert 2009, Prix des Lecteurs Quai du Polar 2009, Grand Prix du Roman Noir Français 2009, Prix Mystère de la Critique 2009.

Zulu, Caryl Férey, Gallimard, Coll. "Série Noire", 19,50€.

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