Premier roman de Mary Relindes Ellis, Wisconsin tourne autour d'une poignée de personnages. John Lucas, père violent et exécrable, comble ses soirées au bar du coin avec ses vantardises douteuses sur son passé militaire (preuves en sont les médailles qu'il aurait méritées). Il se réjouira du départ pour le Viet Nam de son fils aîné James, volontaire par échappatoire à cette brute paternelle. Figure jusqu'au bout antipathique, il sera le seul personnage à ne pas bénéficier d'une focalisation particulière.
Le départ de James, il se situe dans les premières pages, est un point de rupture direct pour son petit frère Bill ainsi que pour sa mère, Claire. Par ricochet, Ernie et Rosemary Morrisseau, les voisins, en ressentiront également les retombées pendant les décennies à suivre. Au fil des souvenirs et des blessures de chacun de ces personnages, dans une narration à voix multiples, les secrets se dévoilent et les liens affectifs se ressèrent.
Le choix du point de vue narratif, partagé entre la troisième personne, pour Ernie et Bill, et la première pour Claire et Rosemary, pourrait être facilement sujet à quelques réfléxions simplistes. Cependant les personnalités masculines et féminines sont tout aussi bien maitrisées par l'auteur. James n'a-t-il pas d'ailleurs une voix à part, à travers les lettres qu'il envoie à son frère? Son absence sprectrale et paradoxalement omniprésente se révèlera comme centrale au rapprochement de ces intimités tourmentées.
Je pourrais chipoter sur le choix du titre en français, non pas à cause de sa pertinence, mais parce qu'il glisse du choix initial et signifiant de l'auteure à quelque chose de trop géographiquement générique. Le titre original, The Turtle Warrior, fait référence au jeu favori du petit Bill qui, muni d'une carapace de tortue comme bouclier et d'une épée en bois, anéantit tous ses ennemis. Invisibles et vulnérables dans leur forme ludique, ils laisseront place pour ce garçon à la douceur écorchée à d'autres obstacles moins symboliques. De ceux auxquels Bill croira échapper par l'alcool. Je ne vous dis pas à quel moment du livre il se débarasse de cet attirail si protecteur.
Il est presque difficile d'en dire plus sur les qualités de ce premier roman. Servi par des descriptions du décor naturel du Midwest empruntes de sensibilité et par un souffle tel qu'on en attend des meilleurs auteurs américains, Wisconsin n'a pas réussi à me décevoir par de fausses promesses.
Wisconsin, Mary Relindes Ellis, 10/18, 8,60€. Traduit de l'américain par Isabelle Maillet.
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