Une nouvelle collection policière attire forcément mon attention. Surtout si elle s'adresse à un public plus jeune que d'habitude. Mango Jeunesse nous propose "Chambres Noires" et ses quatre titres sortis simultanément en septembre. Dirigée par le crédible (c'est un euphémisme) Jacques Baudou, elle a pour principal objectif de "renouer avec la tradition des récits d'aventures" francophones du XXème siècle. Des noms tels que Maurice Leblanc, Gaston Leroux ou Pierre Véry, qui fait justement partie de cette premièr fournée, viennent à l'esprit. Un but au moins aussi important est certainement de proposer à un public pré-adolescent et adolescent (j'estime la fourchette entre 10 et 17 ans) une alternative à l'envahissante heroic fantasy ou bien de diversifier un genre déjà brillamment défendu par les anglo-saxons. Dire par exemple aux accros de Chérub qu'il existe aussi une voix francophone au moins aussi défendable.
Avant d'aborder le quatuor inauguratif de la collection, laissez-moi gentiment vous farcir le crâne avec une digression nostalgique. Je situe mes premières lectures policières avec une série dont je ne me souviens plus très bien le nom exact. C'était un jeune personnage (Bobby L'astuce, un nom de ce genre) que j'avais découvert avec mes camarades de CM2 dans l'armoire au fond de la classe (petite bibliothèque dans laquelle je me suis réfugié au temps de mon exil pour insubordination). Voisin d'étagère de Fantômette, qui était également très populaire parmi nous, ses enquêtes (plusieurs par volume si je me souviens bien) avaient l'intérêt ludique de ne pas finir avec des explications, mais proposait au lecteur de trouver lui-même la solution. Mais mes souvenirs sont déjà plus clairs quand il me faut évoquer l'importance, sur mon parcours littéraire, des "Trois jeunes détectives", Hannibal, Peter et Bob. Publiées entre la deuxième partie des années 60 et la fn des années 80 (je me réfère grossièrement aux dates données) par Random House aux Etats-Unis, leur quarantaine d'aventures est traduite en France par la "Bibliothèque Verte" sous le nom d'auteur d'Alfred Hitchcock ("en collaboration" avec Robert Arthur, notamment). Les titres, adaptés, tels que Le Crâne qui crânait ou Une Araignée appelée à régner, vont peut-être faire tilt dans la tête de quelques-uns d'entre vous. J'ai eu la bonne idée d'en racheter en occasion la totalité (enfin je pense), avant de savoir qu'ils n'étaient, soupir, plus disponibles (même chez Gibert comme je m'en suis rendu compte peu après). Seules rescapés de ce désastre, vous pouvez encore trouver dans Livre de Poche Jeunesse, Le Perroquet qui bégayait et Les Douze Pendules de Théodule, encore parfois, surprenantes, prescriptions scolaires. Je ne vous demande pas de m'excuser pour ces lignes superflues, je fais ce que je veux.
Nicolas Bouchard, déjà publié chez divers éditeurs et dans des genres comme la science-fiction et le roman historique, rajeunit, dans Les Disparus de la source, Augustine Lourdeix, son personnage récurrent chez Flammarion. Jeune adolescente qui dévore tous les livres qui lui passent sous la main, Augustine retrouve son cousin à la campagne pour les vacances d'été. A peine est-elle arrivée qu'un personnage louche fait son apparition et que des enfants des environs disparaissent les uns après les autres. Une histore qui tient la route et un suspens bien entretenu, agrémentés habilement d'un petit cours sur une partie de l'histoire du mouvement des Rose-Croix dont certains protagonistes nous font l'honneur de faire partie intégrante de l'intrigue. Une annexe présente de petites notices explicatives sur le sujet, pour ceux qui voudraient aller plus loin.
Auteure très prolifque dans le policier pour jeunesse, Béatrice Nicodème nous propose un Assassin! (pour l'anecdote, une cliente s'est arrêtée sur le titre et en a conclut que le contenu était trop violent) assez contemporain pour accrocher le lycéen lambda d'aujourd'hui. Entre sa brouille avec son meilleur pote pour une histoire de fille et le retour improbable d'une ancienne connaissance, Damien pense que son quotidien est déjà assez mouvementé. Pourtant quand il commence à recevoir des messages anonymes et une demande de rançon, le poids de sa culpabilité va le faire prendre des chemins qu'il ne soupçonnait pas. Malgré une incohérence flagrante (comment peut-on oublier d'avoir été témoin d'un accident de la route?), ficelle utile pour cacher au lecteur un indice plus qu'important, le roman ne manque pas de rebondissements et se laisse terminer sur une bonne impression.
Réédition en forme d'hommage mais aussi de manifeste symbolique, Signé: Alouette de Pierre Véry a pour protagonistes une bande de gamins qui se prennent d'amitié pour un aveugle qui se promène aux abords de leur école. Certaines choses bizarres, comme des codes secrets qui apparaissent à une fenêtre, coïncident pourtant avec cette louche apparition. Toute la petite bande va s'improviser détectives pour tenter d'élucider ces mystères, mais les choses se compliquent quand l'un d'eux est kidnappé. Du point de vue de l'action et des coups de théâtre, Pierre Véry ne manquait jamais d'être efficace, on ne peut pas lui retirer ça. Toutefois, si l'aspect vieillot ne manque pas de charme (expessions, comportements de l'époque...), l'éditeur a choisi d'assumer certains passages franchement colonialistes, voire racistes, moins douteux pour les années soixante que pour la jeunesse d'aujourd'hui. Le paradoxe qui ressort de ce début de collection c'est que le seul des ouvrages ayant pour personnage un représentant de ce que l'on appelle les "minorités visibles" a beau le décrire comme sympathique, d'autres traits caractéristiques apparaissent forcément plus que déplacés. Je ne veux pas provoquer de controverse ou aire une leçon de morale mais, Les Disparus de la source excepté (il échappe à cette critique grâce a son cadre historique et campagnard), les deux romans qui se présentent clairement comme contemporains aurait pu l'être davantage. Peut-être est-ce une peur inconsciente des auteurs de tomber dans les clichés, après tout...
Le quatrième roman de la collection a pour auteur prestigieux André-François Ruaud, figure emblématique de la paralittérature. Outre sa casquette de directeur littéraire pour Les Moutons électriques, la liste de ses contributions inspire un certain respect. Un exemple ou deux? Je suis généreux: http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9-Fran%C3%A7ois_Ruaud. Le Voleur Masqué a lui aussi un cadre scolaire puisque l'intrigue se déroule dans l'établissement/internat des Chartreux à Lyon. Gros clin d'oeil aux Six Compagnons de Paul-Jacques Bonzon puisque les detectives en herbe ne sont autres que les fils respectifs de Tidou Aubanel et de Lois Gerland ("Gnafron"). Un journal satirique, de fausses moustaches collées au buste du fondateur de l'établissement, des événements drôles autant que mystérieux qui vont mettre en action le goût pour l'enquête, héréditaires donc, de Jigé, Aurélien et Morgane. Mais la suite va se révéler de plus en plus inquiétante. Petite parenthèse, petit clin d'oeil supplémentaire, un personnage est nommé... Véry. Le meilleur effort, à mes yeux de cette première salve de "Chambres Noires".
Bien que gentillets si on les compare à une série très populaire comme Chérub de Robert Muchamore (Casterman), ces quatre titres inauguratifs, s'ils peuvent décevoir les jeunes avides d'adrénaline, peuvent convenir pour les grands lecteurs dont les parents désaprouvent les scènes musclées et l'allusion à des méfaits et délits plus réalistes. Mais, pas de faux procès, la qualité des textes et des intrigues suffit à convaincre que la collection répond honnêtement à ses objectifs.
Les Disparus de la source, Nicolas Bouchard.
Assassin!, Béatrice Nicodème.
Signé: Alouette, Pierre Véry.
Le Voleur masqué, Paul-André Ruaud.
Collection "Chambres Noires", Mango Jeunesse, 9€ pièce.
1 commentaire:
Bonjour,
Merci pour l'info concernant le clin d'oeil à Bonzon.
Je vous invite à visiter le site le plus complet à ce jour sur cet auteur:
http://pagesperso-orange.fr/serge.passions/livres_d_enfants.htm
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