Elle passe devant la bibliothèque de son quartier - un bel immeuble edwardien - et voit qu'une bombe est tombée dessus.
L'explosion a soufflé son toit comme un couvercle, et l'étage supérieur s'est écrasé sur les salles de lecture. Toute la façade s'est écroulée. Troublant la géométrie des salles ordonnées, des poutrelles s'appuient aux murs restés debout, tels des crayons dans un bocal. Les murs sont tapissés de livres. La bombe ne les a pas endommagés, bien que l'étage du haut se soit effondré et ait totalement enseveli les rayonnages au centre.
Kathleen découvre avec surprise, à l'intérieur de la bibliothèque en ruine, six ou sept hommes qui feuillettent les ouvrages. Comme elle, ce sont des gens ordinaires qui rentrent du travail. Ils ont des chapeaux et des manteaux. Ils portent des serviettes et des sacs de cuir. Ils font en sorte de s'éviter, l'air absorbé, concentrés sur les titres. Les affaires continuent.
La raison ne peut pas comprendre la réalité, et l'imagination ne peut pas la manipuler. C'est la leçon que Kathleen a retenu de la vie. La raison et l'imagination sont deux facettes de la même clé tordue. Elle n'ouvre rien. Elle ne révèle rien. Entrez dans le monde en espérant de la magie; la cause et l'effet réduiront votre attente en miettes. Regardez objectivement le monde, et sous vos yeux tout prend un aspect fantastique, absurde.
Quelle que soit la stratégie choisie et adoptée par Kathleen, celle-ci la déçoit. Il n'y a pas de boussole dans cette vie, il n'existe aucun moyen d'en mesurer la latitude et la longitude. La mort est la seule certitude. Elle le sait à présent. Aussi les murs blancs et froids de sa Seconde Chance se sont-ils dressés autour d'elle. Tapie derrière eux, emprisonnée par eux, Kathleen s'est blindée. Plus jamais elle ne se laissera tromper.
Les Cartes du monde, Simon Ings, Panama. Traduction de l'anglais par Anne Rabinovitch.
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