[...] En tant que clients réguliers des soirées dansantes en plein air et membres à part entière de la scène du ghetto, ces gamins plutôt rusés, parfaitement conscients de la quête perpétuelle de nouvelle musique des opérateurs de sound-systems, savaient exactement quel profit tirer de ces "slates" ou de ces "plates" et comment maximaliser leur potentiel pour améliorer leurs revenus et leur statut.
Les plus titrés de ces chanteurs issus des concours amateurs n'hésitaient pas à investir une partie de leurs gains dans l'enregistrement de leurs titres les plus populaires, puis s'en allaient démarcher les petits sound-systems du voisinage pour en tirer le meilleur prix. Les négociations avaient généralement lieu au cours d'une soirée, permettant de tester le disque sur place et en direct. Si la foule réagissait, l'artiste pouvait en espérer à peu près cinq livres. Sinon, il ne lui restait plus qu'à entrer sagement chez lui jusqu'à ce que les gens de son quartier aient oublié l'affront qu'il venait de subir [...].
Il faut absolument garder à l'esprit qu'un propriétaire de sound-system - même le plus modeste - ne pouvait se résoudre qu'en tout dernier recours à acheter ses disques chez un commerçant patenté. Toute la concurrence pouvant faire de même, autant se promener avec une casquette portant l'inscription "loser". C'est pourquoi ce type de transactions était sans doute plus important pour les sound-men que pour les chanteurs. Jusqu'à ce que les vainqueurs de tremplins amateurs se remettent à enregistrer, les propriétaires de petits sound-systems devaient se rabattre sur les disques d'importation dont les gros ne voulaient pas. Mais la production de ces disques "faits à la main" constituaient un circuit parallèle d'une immense valeur pour les sound-systems de deuxième ou troisième division car, n'étant produits qu'en un seul exemplaire, ils représentaient l'unique moyen de diffuser de la musique qu'on ne pouvait entendre ailleurs [...].
Bass Culture - Quand le Reggae était Roi, Lloyd Bradley, Allia. Traduit de l'anglais par Manuel Rabasse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire