Depuis une dizaine
d'années, et le début de la crise économique et financière qui
touche l'ensemble des sociétés capitalistes mondialisées, le
questionnement sur le sens et le fonctionnement des institutions
politiques et économiques se fait de plus en plus présent. Les
répercussions s'en font sentir dans les derniers scrutins
électoraux. Rappelons qu'après s'être idéologiquement imposé
face aux pays dits communistes, l'organisation du monde mêlant
capitalisme mondialisée et démocraties représentatives semblait
s'être définitivement imposé, au point que le philosophe Francis
Fukuyama parla de « fin de l'Histoire », au sens où la
grande majorité de la population avait accepté ce monde nouveau.
Les crises structurelles que ce monde connaît depuis 2008 nous ont
rappelé que toute organisation politique est voué à disparaître,
où à se transformer pour répondre aux attentes de sociétés
perpétuellement en mouvement.
La majorité
des publications ou interventions politiques et
médiatiques se focalisent sur des solutions venant d'en haut, des
élites autoproclamées. Mais de nombreux courants politiques
marginalisés (anarchistes, libertaires, communistes, écologistes),
et des auteurs issus ou se revendiquant de ces courants, critiques à
l'encontre d'un système inégalitaire, hiérarchisé, fermé et
élitiste, militent pour une organisation politique, économique et
sociale venue d'en bas, des travailleurs et personnes de la société
civile ; une organisation pensée et construite par ceux qui
vivent et façonnent au quotidien leur espace.
Si ces auteurs et
penseurs étaient – et sont – d'accord sur cette pensée, les
moyens et actions pour la mettre en œuvre restent toujours sources de
conflit. Prenant acte de cette situation, Jean-François
Aupetitgendre utilise le genre littéraire , non pour livrer un mode d'emploi, mais pour nous inciter à prendre le problème à
bras-le-corps, et engager le débat sur nos modes de vies, et
sur nos relations avec les autres. Son roman se pose donc comme base
de réflexion pour une commune autogérée, devant garantir la
liberté pour tous, la solidarité, l'égalité, et l'équité dans
la satisfaction des besoins naturels.
Aupetitgendre
raconte l'histoire d'une commune fictive, Saint Martin, possédant
tous les problèmes économiques et sociaux identifiés en France,
touchée par d'importantes inégalités. Un de ses habitants, un
ancien professeur devenu adjoint à la culture de la commune, Mr.
Laurent, découvre dans les archives départementales une histoire
sur un groupe anarchiste arrêté au XIXe siècle. Parmi les
documents se trouvent des documents anarchistes, présentant et
défendant leurs idées novatrices. Laurent reprend ce programme pour
se présenter aux élections municipales et , à la grande surprise,
se fait élire maire. Mr. Laurent entreprend donc de mettre en place
ses idées, provoquant étonnement, satisfaction et enthousiasme chez
les uns, doutes, colères ou inquiétudes chez les autres.
Chaque chapitre
traite d'un sujet en particulier (gestion des déchets, organisation
politique ; école ; questions d'alimentation ;
logement, la survie des commerces…), et suit une structure
similaire : l'exposition du problème rencontré, puis du moyen
qui pourrait être mis en place pour le régler ou le diminuer ;
l'exposition des différents points de vue, qui amène à
l'élaboration d'un arbitrage ; la mise en pratique des
décisions prises, et ses conséquences - majoritairement positives
dans le roman – pour la commune.
C'est d'ailleurs là
l'une des grandes forces du roman de montrer les critiques ,
désaccords, conflits, tâtonnements provoquées par l'arrivée sur
la place publique de ces idées libertaires, qui vont à contre-sens
des pensées dominantes.C'est la confrontation, le débat qui sont
mis en avant, car faisant partie intégrante de toute vie en groupe.
Si la commune de
Saint Martin est fictive, le roman n'est pas pour autant utopiste. La
ville décrite est un ramassis de toutes les difficultés et
problèmes structurels rencontrés au quotidien en France. Il montre que tous ces problèmes n'existent pas par eux-mêmes, mais
sont tous liés, et qu'un problème de résolu entraînera la
résolution d'autres difficultés. Enfin, le choix de la commune
comme territoire privilégié d'action politique est un rappel que la
démocratie directe, vivante, ne pourra se faire qu'à partir d'un
territoire réduit, avec un groupe réduit en conscient de ses
possibilités d'action.
La
Commune libre de Saint Martin réussit donc à lier fiction et
réflexion politique, en partant des courants de pensée anarchistes.
Elle met en avant la solidarité entre les habitants, que les
solutions, les actions politiques pour construire un monde plus juste
et libre viendront des locaux et travailleurs eux-mêmes.
Mais toutes les
idées et actions présentées ne sont pas des vérités absolues, ou
des solutions miracles, et doivent donc être critiquées – ce que
l'auteur exprime clairement dans l'introduction, et qui est la base
de la réflexion de tout personne ayant des opinions anarchistes. Un
livre qui remettra bien des idées en cause, à une époque qui en a
bien besoin.
La commune
libre de Saint Martin de Jean-François Aupetitgendre, Editions
libertaires, 13 euros
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