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mardi 28 février 2017

Le roman comme réflexion et proposition politique : La commune libre de Saint Martin de Jean-François Aupetitgendre



Depuis une dizaine d'années, et le début de la crise économique et financière qui touche l'ensemble des sociétés capitalistes mondialisées, le questionnement sur le sens et le fonctionnement des institutions politiques et économiques se fait de plus en plus présent. Les répercussions s'en font sentir dans les derniers scrutins électoraux. Rappelons qu'après s'être idéologiquement imposé face aux pays dits communistes, l'organisation du monde mêlant capitalisme mondialisée et démocraties représentatives semblait s'être définitivement imposé, au point que le philosophe Francis Fukuyama parla de « fin de l'Histoire », au sens où la grande majorité de la population avait accepté ce monde nouveau. Les crises structurelles que ce monde connaît depuis 2008 nous ont rappelé que toute organisation politique est voué à disparaître, où à se transformer pour répondre aux attentes de sociétés perpétuellement en mouvement.
La majorité des publications ou interventions politiques et  médiatiques se focalisent sur des solutions venant d'en haut, des élites autoproclamées. Mais de nombreux courants politiques marginalisés (anarchistes, libertaires, communistes, écologistes), et des auteurs issus ou se revendiquant de ces courants, critiques à l'encontre d'un système inégalitaire, hiérarchisé, fermé et élitiste, militent pour une organisation politique, économique et sociale venue d'en bas, des travailleurs et personnes de la société civile ; une organisation pensée et construite par ceux qui vivent et façonnent au quotidien leur espace.

Si ces auteurs et penseurs étaient – et sont – d'accord sur cette pensée, les moyens et actions pour la mettre en œuvre restent toujours sources de conflit. Prenant acte de cette situation, Jean-François Aupetitgendre utilise le genre littéraire , non pour livrer un mode d'emploi, mais pour nous inciter à prendre le problème à bras-le-corps, et engager le débat sur nos modes de vies, et sur nos relations avec les autres. Son roman se pose donc comme base de réflexion pour une commune autogérée, devant garantir la liberté pour tous, la solidarité, l'égalité, et l'équité dans la satisfaction des besoins naturels.
Aupetitgendre raconte l'histoire d'une commune fictive, Saint Martin, possédant tous les problèmes économiques et sociaux identifiés en France, touchée par d'importantes inégalités. Un de ses habitants, un ancien professeur devenu adjoint à la culture de la commune, Mr. Laurent, découvre dans les archives départementales une histoire sur un groupe anarchiste arrêté au XIXe siècle. Parmi les documents se trouvent des documents anarchistes, présentant et défendant leurs idées novatrices. Laurent reprend ce programme pour se présenter aux élections municipales et , à la grande surprise, se fait élire maire. Mr. Laurent entreprend donc de mettre en place ses idées, provoquant étonnement, satisfaction et enthousiasme chez les uns, doutes, colères ou inquiétudes chez les autres.


Chaque chapitre traite d'un sujet en particulier (gestion des déchets, organisation politique ; école ; questions d'alimentation ; logement, la survie des commerces…), et suit une structure similaire : l'exposition du problème rencontré, puis du moyen qui pourrait être mis en place pour le régler ou le diminuer ; l'exposition des différents points de vue, qui amène à l'élaboration d'un arbitrage ; la mise en pratique des décisions prises, et ses conséquences - majoritairement positives dans le roman – pour la commune.
C'est d'ailleurs là l'une des grandes forces du roman de montrer les critiques , désaccords, conflits, tâtonnements provoquées par l'arrivée sur la place publique de ces idées libertaires, qui vont à contre-sens des pensées dominantes.C'est la confrontation, le débat qui sont mis en avant, car faisant partie intégrante de toute vie en groupe.

Si la commune de Saint Martin est fictive, le roman n'est pas pour autant utopiste. La ville décrite est un ramassis de toutes les difficultés et problèmes structurels rencontrés au quotidien en France. Il montre que tous ces problèmes n'existent pas par eux-mêmes, mais sont tous liés, et qu'un problème de résolu entraînera la résolution d'autres difficultés. Enfin, le choix de la commune comme territoire privilégié d'action politique est un rappel que la démocratie directe, vivante, ne pourra se faire qu'à partir d'un territoire réduit, avec un groupe réduit en conscient de ses possibilités d'action.

La Commune libre de Saint Martin réussit donc à lier fiction et réflexion politique, en partant des courants de pensée anarchistes. Elle met en avant la solidarité entre les habitants, que les solutions, les actions politiques pour construire un monde plus juste et libre viendront des locaux et travailleurs eux-mêmes.
Mais toutes les idées et actions présentées ne sont pas des vérités absolues, ou des solutions miracles, et doivent donc être critiquées – ce que l'auteur exprime clairement dans l'introduction, et qui est la base de la réflexion de tout personne ayant des opinions anarchistes. Un livre qui remettra bien des idées en cause, à une époque qui en a bien besoin.


La commune libre de Saint Martin de Jean-François Aupetitgendre, Editions libertaires, 13 euros

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