"Rana Toad", ça se mange?

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vendredi 24 février 2017

  De tout temps, la vie du jazz a été divisée entre les grands centres - une demi-douzaine de métropoles aux États-Unis - où se déroule l'essentiel de son activité et le reste du pays, des villes plus ou moins importantes mais n'exerçant pas une bien grande influence sur l'ensemble de cette musique.
  Habiter à New York plutôt qu'à Buffalo a toujours été un facteur déterminant. Un jazzman professionnel peut vivre dans une petite ville mais a peu de chances d'acquérir quelconque notoriété. Il demeure un musicien "local", hors du coup, connu des seuls musiciens.
  De nombreux témoignages illustrent cette situation marginale. Le guitariste Joe Pass parlait ainsi d'hommes avec lesquels il joua à Johnstown, en Pennsylvanie: "Mais vous n'avez sûrement jamais entendu parler d'un saxophoniste qui s'appelle Joe Delahunt, ou du pianiste Maso Madcap, ou d'un autre groupe dans lequel j'ai joué... Eh bien ces gens-là ont été des influences. Mais ce sont des musiciens qui ne sont pas sortis de leur trou*." 
  De tels artistes n'étaient pas nécessairement mauvais. La qualité d'ensemble était en général inférieure, comparée à leurs homologues établis dans les grandes métropoles. La plupart d'entre eux étaient des semi-professionnels qui n'avaient pas l'intention de mener une véritable carrière musicale et ne cherchaient donc pas la réussite. Lorsque l'un d'eux s'estimait assez talentueux, il ne restait généralement pas sur les lieux de ses premiers exploits. Il est arrivé, pourtant, qu'un musicien au talent reconnu de tous préférât rester dans l'ombre. Nous pensons notamment à cet "Ellington assassiné", un pianiste nommé Gumb. Comble d'ironie, il était de Washington, comme Duke. "Je me rappelle aussi l’École de Washington, dit Mercer Ellington, le fils de Duke. A cette époque, il y avait là-bas un type du nom de Gumb. Bien qu'il n'ait pas réussi à percer dans la carrière musicale, il avait subi l'influence de James P. Johnson et des autres grands, et sa musique et celle d'Ellington se ressemblaient à un point étonnant. La musique était un passe-temps pour lui, et il est resté chef cuisinier aux chemins de fer de Pennsylvanie**."'

*Interview réalisée par Michel Boujout, Jazz Magazine n°264, mai 1978.
**Stanley Dance, Duke Ellington [The World of Duke Ellington, 1970], traduction Antoinette Roubichou, Paris, Filipachi, 1976, p. 66.
 
La Vie quotidienne des Jazzmen jusqu'au années 50, François Billard, Hachette, 1989.

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