"Rana Toad", ça se mange?

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lundi 17 octobre 2016

  [...] De retour au perron, je repris mon poste, juste à temps pour voir passer l'un de mes promeneurs préférés.
  Il y avait une certaine grandeur dans sa laideur. Il portait toujours une casquette de chasseur ourlée de fourrure, avec les oreillettes rabattues, quel que fût le temps, et un pantalon kaki usé à la corde, dans lequel flottaient deux cannes maigres. D'épaisses lunettes pendaient à son nez, et sa bouche mangée de barbe semblait grimacer de douleur. Ses passages étaient imprévisibles, et il marchait de manière compulsive: on pouvait l'apercevoir en pleine nuit, longeant la voie ferrée sous une pluie battante ou arpentant le quartier historique au lever du soleil.
  Personne ne savait grand-chose sur lui, bien qu'il résidât ici depuis longtemps. J'avais entendu son nom une fois, dans une soirée, Maxwell Creason. On avait donc parlé de lui, ce soir-là. Il était devenu une figure familière dans le coin mais, apparemment, personne ne lui avait jamais adressé la parole ni ne savait de quoi il vivait. On en avait rapidement conclu qu'il devait être un de ces SDF fréquentant les asiles, peut-être même un pensionnaire de l'hospice des Anciens Combattants. Les spéculations n'étaient pas allées plus loin; on avait ricané, moqué son allure, sa façon de marcher, et aucun de ces commentaires n'avait été charitable.
  Quant à moi, je le voyais différemment. Il incarnait à mes yeux un grand point d'interrogation et, d'une certaine façon, le personnage le plus excentrique de tout le comté de Rowan. En vérité, je rêvais de lui emboîter le pas, un jour, et lui demander: -Que voyez-vous quand vous vous promenez ainsi?

Le Roi des Mensonges, John Hart. Traduit de l'anglais (États-Unis) par Philippe Rouard.

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