"Rana Toad", ça se mange?

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samedi 13 février 2016

  La vivacité d'esprit dans la conversation était autant admirée que la rapidité des jambes. Dans ses études pénétrantes sur les savoirs afro-américains, Roger Abrahams a développé l'image de "l'homme de mots" comme concept au coeur de la tradition noire. Cet homme de mots, fut-il prédicateur, conteur, joli coeur, baratineur, divinateur, chanteur ou blagueur de rue, devait, par-dessus tout, être rapide et réactif dans son usage improvisé du langage. [...] Il déversait un torrent de bons mots, de contes incroyables et d'extravagances de toutes sortes sur ses auditeurs éblouis. Dans le Bronx d'aujourd'hui, on appelle ça le snapping. Un snappeur ne doit jamais être à court de répartie pour déstabiliser ses rivaux. Par essence, l'homme de mots, selon Abrahams, est un maître des changements instantanés de sujet et de point de vue. Les exploits du rimailleur en reggae de la Jamaïque, du créateur de calypso de Trinidad, du rappeur américain et, à cet égard, du musicien de jazz, dépendent tous de l'improvisation instantanée.
  Ces observations semblent faire partie d'un cadre bien plus vaste. Ces dernières années, en partie pour trouver des réponses aux nombreuses questions que la recherche dans le Delta m'avait amené à soulever, j'ai élaboré un mode d'examen comparatif et interculturel du style d'interprétation. En voici l'une des découvertes les plus claires: les performances des Noirs d'Afrique étaient les plus élevées du monde en termes de versatilité et de rapidité - ils recouraient le plus aux changements marqués de niveau, de direction, d'usage des membres, d'allure et d'énergie s'agissant de la danse, et aussi aux modifications dans la qualité de la voix, le tempo, le registre, l'ensemble, l'humeur, la métrique, l'harmonie et la mélodie s'agissant de la musique - parallèlement, ils passaient avec la plus grande facilité d'un style à un autre, collectivement et en parfaite coordination. Le style noir est exceptionnellement et collectivement enclin à l'accélération. D'ailleurs, il est évident que ce centrage sur l'accélération simultanée est l'un de ses traits les plus distinctifs, tant en Afrique que dans les Amériques.

Le Pays où naquit le blues, Alan Lomax, Les Fondeurs de Briques. Traduit de l'américain par Jacques Vassal.

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