Récemment, la populaire émission littéraire La Grande Librairie a organisé un grand sondage, "Le livre qui a changé votre vie" ou quelque chose d'approchant. J'ai été un peu déçu de voir le résultat, je l'ai trouvé très convenu. Cette obsession des classiques m'ennuie un peu, non pas qu'ils soient sans intérêt, je ne les ai pour la plupart jamais lus. Ils ont forcément quelque chose d'intemporel, d'indispensable, mais je soupire depuis des années devant le nombre incommensurable de livres à lire, je n'aurai tout simplement plus le temps de me pencher sur beaucoup de classiques. Il est vrai qu'à un moment de ma vie, j'ai bouffé d'une traite tous les romans de Charles Dickens, j'en ai même lu certains plusieurs fois... une véritable monomanie qui a duré un bon temps, mais je n'ai depuis plus ressenti le besoin de lire toute la production d'un auteur classique ou contemporain.
Enfin, bref, pour en revenir à ce sondage... dans la vie d'un gros lecteur, il n'y a pas qu'un seul livre à posséder ce charme presque surnaturel, cette qualité inoubliable. Quelque soit la longueur de la liste que chacun peut faire de ses livres préférés, je ne pense pas qu'ils changent quoi que soit. Pour ma part, tous ces bouquins qui ont alourdi mes poches et allégé mon quotidien ainsi que tous les personnages qu'ils renferment sont plutôt des compagnons de route. Et ils forment ce petit nuage invisible et pourtant si essentiel autour de moi. J'ai découvert par surprise Le Parcours du combattant le jour de sa sortie et j'espérais bien qu'il s'y intègre aussi naturellement que des ouvrages comme Ce que porte la nuit, L'Hôtel New Hampshire, J'ai rêvé de courir longtemps, Room, etc.
Michael Malone est un de ces auteurs américains au parcours inhabituel et méconnu en France que la maison Sonatine a maintenant l'habitude de dénicher. Il est, pour l'anecdote, très connu aux Etats-Unis pour avoir activement participé, dans les années 90, à l'écriture d'un soap-opera intitulé One Life to Live (diffusé en France sous le titre On ne vit qu'une fois). Sur une dizaine de romans à son compteur, seulement deux polars ont été publiés en France: Juges et Assassins chez Points et First Lady chez Seuil. Apparemment, ils sont passés inaperçus. Il est fort probable qu'il en soit autrement avec Le Parcours du combattant.
Raleigh
Whittier Hayes est un assureur à la quarantaine bien entamée. Dans
la communauté de Thermopyles, en Caroline du Nord, tout le monde se
connaît plus ou moins depuis l'enfance, et tout ne semble que
routine ronflante. Raleigh lui-même vit dans l'illusion bien confortable qu'il contrôle le moindre détail de sa vie. Le père de Raleigh, Earley, va chambouler tout ça
en s'échappant de l'hôpital où il passait des examens. Que lui a-t-il pris, au mépris de sa santé, d'acheter une Cadillac toute
neuve et d'embarquer une adolescente noire avec lui pour se rendre à la
Nouvelle-Orléans? Et surtout pourquoi laisse-t-il à Raleigh
cette cassette (audio, le livre a été écrit au début des années 80) pleine d'instructions bizarres? Aussi farfelues
que soient ses exigences, Raleigh va obtempérer sauf que tout sera
loin d'être simple... La Fortune, les coïncidences et les
malentendus vont conspirer pour rendre sa quête imprévisible et
chaotique.
Mais bien plus qu'une suite de rebondissements, dont je vous laisse la surprise, les aventures "sur la Route" (au plus grand épanouissement de Mingo Sheffield) amorcées par Earley sont autant de pièces d'un subtil puzzle, plein de détails placés mine de rien prennent leur sens peu à peu. Malone n'oublie pas de nuancer le divertissement d'éléments sociologiques typiques du sud des Etats-Unis et de thèmes universels comme la filiation, le racisme ou le besoin à défaut de changer les gens, de réparer les erreurs du passé.
Mais bien plus qu'une suite de rebondissements, dont je vous laisse la surprise, les aventures "sur la Route" (au plus grand épanouissement de Mingo Sheffield) amorcées par Earley sont autant de pièces d'un subtil puzzle, plein de détails placés mine de rien prennent leur sens peu à peu. Malone n'oublie pas de nuancer le divertissement d'éléments sociologiques typiques du sud des Etats-Unis et de thèmes universels comme la filiation, le racisme ou le besoin à défaut de changer les gens, de réparer les erreurs du passé.
Je souhaite aussi préciser que ce véritable pavé de plus de 900
pages renferme quantité de personnages secondaires, certains d'une puissance
comique irrésistible (Mingo Sheffield, ce voisin simplet mais d'une extrême gentillesse, Aura, la femme activiste de Raleigh, Gates, son demi-frère irresponsable, débrouillard et toujours de bonne humeur, Simon Berg, vieux mafieux hypocondriaque...), d'autres plus graves (la tante Victoria, figure lucide de cette grande
famille dont les oncles, tantes et cousins sont un peu trop
optimistes, Flonnie Rogers, la sévère gouvernante, Jubal)... il serait criminel de tous vous les dévoiler et puis de toute façon, il est inutile de rendre cet article plus long qu'il ne l'est déjà. Il suffira de dire que quelque soit leur fonction dans le roman, tous
s'avèrent plus complexes qu'à première vue et qu'ils s'entremêlent dans une épopée addictive, hilarante et profondément
humaine.
J'avais dépassé la moitié du roman, quand je me suis rendu compte que Raleigh finit par s'effacer afin que les autres personnages s'expriment jusqu'à constituer le véritable coeur du roman. Pour utiliser une métaphore adéquate et jazzistique (Malone gratifie les mélomanes d'une bande son constituée de morceaux traditionnels et de standards de jazz), Raleigh est un peu la ligne de basse, méthodique et obstinée, autour de laquelle s'enroulent et virevoltent les autres instruments/personnages. Et c'est à ce moment là que ça m'a frappé, j'ai compris pourquoi j'allais définitivement ranger Le Parcours du combattant parmi les compagnons de route dont je parlais dans mon introduction. Il m'a paru très similaire aux Papiers posthumes du Pickwick Club, premier roman de Dickens, suite de sketches peuplés de personnages inoubliables comme le domestique Sam Weller, inséparable de Samuel Pickwick comme l'est Mingo Sheffield de Raleigh Hayes. Et ce n'est pas l'unique ressemblance: j'ai retrouvé la même bonhommie, la même bienveillance en lisant certaines scènes, les titres des chapitres sont descriptifs à la façon des romans picaresques et qualifier les personnages de Malone de dickensiens n'est absolument pas tiré par les cheveux.
Publié à l'origine, il y a trente deux ans, Le Parcours du combattant, roman complet et indémodable, s'adresse à tous ceux qui ont aimé, pour citer du plus contemporain que l'auteur victorien, les romans de John Irving, ceux de Richard Russo, La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole ou encore Karoo de Steve Tesich. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec ses titres, vous pouvez toujours commencer par le périple de Raleigh et les lire ensuite! Je finis et vous laisse respirer en concluant: il était temps que l'on découvre (merci Sonatine!), je n'ai pas peur des mots, l'un de ces rares bijoux denses, drôles et inoubliables.
Le Parcours du combattant, Michael Malone, Sonatine, 23€. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Caroline Nicolas.
Merci à Marie et Clémence de chez Sonatine. Et un merci très spécial à Margaux ("comme le Bordeaux!") qui est à l'origine de mon retour sur ce blog après plus d'un an d'absence.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire